dant si la case aux Moulins était encore bien éloignée.
« non, me répondit-elle après le remereîment d’u sage, Dios tachsé pagarasunki (Dieu seul te payera). Guidez-vous sur le bruit de la cascade ; dans dix minutes au plus vous serez devant la maison. »
Je plongeai tout entière la large molette de mes éperons chiliens dans les flancs de ma mule, qui partit comme si elle avait eu des ailes.
Cinq minutes s’étaient à peine écoulées que je descendais le petit sentier tortueux qui conduit à la bara
que de los Molinos. L’obscurité était effrayante. Guidé par le bruit de quelques voix, je m’avançai vers la par
tie habitée des bâtiments, et après avoir attaché ma mule â un pilier de pierre qui se trouva là par hasard, j’allai coller mon œil aux ouvertures de la porte derrière laquelle brillait une grande lueur.
L intérieur de celte cahute offrait l’aspect sordide qui distingue tout ranclio péruvien. Les murs, formés de boue et de paille, étaient remplis de cavi
tés habilement ménagées qui servaient de nids aux poules du propriétaire, ou recélaient, comme un en cas, des objets de toutes formes et de toutes couleurs. Le foyer était situé au milieu de la chambre. Le com
bustible qui l’alimentait était celui connu dans le pays sous le nom de bosta, des excréments de Hamas et de mules ramassés par les enfants sur les chemins. Une ouverture pratiquée dans le toit laissait échapper la fumée.
Aux solives noircies, attachées entre elles par des courroies de chipa (lanières taillées dans la peau d’un bœuf) étaient appendus comme des trophées dans une panoplie, des pelotons de laine, des épis de
maïs, des sogas nouvellement tressées, des peaux de mouton encore sanglantes. Dans les recoins, jetés pêlemêle avec l’incurie de l’Indien serrano, des lambeaux de bayeta, des vêtements en loques, des monceaux de suif, puis des patates amoncelées, du chuno blanc et
Amérique méridionale. — Sterra-Nevada. — Costume de voyage.
noir, du gunapo ou maïs germé, des quartiers de sessina (mouton séché), puis encore un encombre
ment de pots, de plats et de jarres où bouillonnait une chicha en ferment. Pour tentures, des crevasses,
des mèches de paille tombées du toit et des toiles d’araignée. Quant au ton local de ce bouge, c’était quelque chose d’intermédiaire entre certains fonds de cabaret de Teniers et de Van Ostade. Le bitume y dominait,
Autour du foyer, une femme et deux enfants étaient accroupis dans les cendres, concurremment avec un grand chien maigre qui regardait le feu.
Je heurtai la porte du genou avec l’impatience d’un homme transi et affamé. La porte, retenue par un simple loquet en bois, ne résista pas à cette secousse et s’ouvrit toute grande. La femme et les enfants je
tèrent un cri de frayeur, le chien maigre grogna sourdement, et le calme se rétablit.
« Un chasqui, chargé de mon almofrez, n’est-il pas venu ici ce soir? dis-je à l’Indienne.
— Je n’ai vu personne , répondit la femme avec le laconisme qui distingue l’indigène des hauts sommets de la Sierra.
— Alors où vais-je passer la nuit ? Pouvez-vous me céder cette chambre? »
L’Indienne me regarda en face, puis reporta sa vue sur les enfants, et ne répondit pas.
« Mais au moins donnez-moi quelque chose à manger, repris-je, car je meurs de faim. »
f Je me rappelai trop tard que l’Indien porteur de Y almofrez s’était aussi chargé des alforjas, et je son
geai avec un regret que la faim redoublait, que ces alforjas contenaient d’excellent pain blanc d’Oropesa, un énorme fromage collavino, trois boîtes de conserves et une bouteille de vin de Xérès.
La femme sourit de ce sourire narquois qui déride le visage grave de l’Indien quand il s’apprête à coin
Amérique mér.dionele, — Pérou. — Villages de Maras et Urubamba.
mettre envers le blanc, ou viracocha, une malignité quelconque.
« Manancancha, me répondit-elle (il n’y a rien). »
Je m’étais si bien attendu à cette réponse, que je n’en fis aucun cas. — Je réitérai ma demande. « N’avez-vous pas un morceau de mouton, quelque fromage, des œufs?» répliquai-je.
Le fatal manancancha s’échappa des lèvres de l’Indienne une seconde fois.
Alors, impatienté, je me mis à fureter dans tous les recoins du misérable bouge, et découvris bientôt dans une des ca
vités de la muraille six œufs et une poignée d’ognons.
« Ce sont les œufs de ma poule, » exclama l’Indienne avec des larmes dans la voix.
Je lui jetai quatre réaux, c’est-à-dire vingt fois la valeur de ses œufs, et la priai de les cuire.
Elle ramassa la pièce d’argent qu’elle serra dans sa chuspa, et se mit en devoir de m’obéir.
En un clin d’œil les œufs durcis et les ognons crus étaient placés devant moi dans un plat de terre. Je m’assis sur un escabeau branlant, et dévorai silencieu
sement ma maigre pitance en maudissant tout bas l’Indien qui m’obligeait à sou
per de la sorte, et qui, pour couronner l’œuvre, allait me contraindre à dormir
à la belle étoile, avec ma selle pourAmérique méridional. — Pérou. — Po.it d’osier sur la rivière de Qullabim a entr j P.i i ; ir et Oliantay-Tampu.
oreiller et mon poncho pour couverture.
Je songeai, mais, hélas ! trop tard, que le maudit, au lieu de se rendre à los Mo
linos, s’était arrêté dans le dernier fau
bourg du Cuzco pour y consommer son cacharpari, cette fête d’adieux symbo
liques en usage dans la Sierra-Nevada,
que tout Indien, à la veille d’entreprendre un voyage, ne manque jamais de faire en
compagnie de ses proches et de ses amis. Peut-être à l’heure où je maugréais tout bas en épluchant mes œufs durs et croquant mes ognons, mon chasqui,
enfermé dans quelque chicheria, perdu dans les fumées de l’ivresse, dansait au son du charango ( petite guitare à cinq cordes) quelque bruyant zapateo, sans s’inquiéter si j’étais bien ou mal couché. Quant aux effets confiés à sa garde, je
n’en avais nul souci. La fidélité dé ces coureurs m’était assez connue.
Mon repas terminé, je me levai sans mot dire et allai desseller ma mule. Le pauvre animal piaffait de froid et d’impa
tience. Je lui jetai la bride sur le cou, en ayant soin de faire un nœud aux lon
gues” rênes tucumanes, et la laissai libre d’aller chercher son souper, son gîte et le reste. Mue par son seul instinct, elle regarda quelques secondes à droite et à gauche, aspira l’air fortement, puis devi
na sans doute que le fourrage n’était pas très-éloigné, car elle descendit le sentier
« non, me répondit-elle après le remereîment d’u sage, Dios tachsé pagarasunki (Dieu seul te payera). Guidez-vous sur le bruit de la cascade ; dans dix minutes au plus vous serez devant la maison. »
Je plongeai tout entière la large molette de mes éperons chiliens dans les flancs de ma mule, qui partit comme si elle avait eu des ailes.
Cinq minutes s’étaient à peine écoulées que je descendais le petit sentier tortueux qui conduit à la bara
que de los Molinos. L’obscurité était effrayante. Guidé par le bruit de quelques voix, je m’avançai vers la par
tie habitée des bâtiments, et après avoir attaché ma mule â un pilier de pierre qui se trouva là par hasard, j’allai coller mon œil aux ouvertures de la porte derrière laquelle brillait une grande lueur.
L intérieur de celte cahute offrait l’aspect sordide qui distingue tout ranclio péruvien. Les murs, formés de boue et de paille, étaient remplis de cavi
tés habilement ménagées qui servaient de nids aux poules du propriétaire, ou recélaient, comme un en cas, des objets de toutes formes et de toutes couleurs. Le foyer était situé au milieu de la chambre. Le com
bustible qui l’alimentait était celui connu dans le pays sous le nom de bosta, des excréments de Hamas et de mules ramassés par les enfants sur les chemins. Une ouverture pratiquée dans le toit laissait échapper la fumée.
Aux solives noircies, attachées entre elles par des courroies de chipa (lanières taillées dans la peau d’un bœuf) étaient appendus comme des trophées dans une panoplie, des pelotons de laine, des épis de
maïs, des sogas nouvellement tressées, des peaux de mouton encore sanglantes. Dans les recoins, jetés pêlemêle avec l’incurie de l’Indien serrano, des lambeaux de bayeta, des vêtements en loques, des monceaux de suif, puis des patates amoncelées, du chuno blanc et
Amérique méridionale. — Sterra-Nevada. — Costume de voyage.
noir, du gunapo ou maïs germé, des quartiers de sessina (mouton séché), puis encore un encombre
ment de pots, de plats et de jarres où bouillonnait une chicha en ferment. Pour tentures, des crevasses,
des mèches de paille tombées du toit et des toiles d’araignée. Quant au ton local de ce bouge, c’était quelque chose d’intermédiaire entre certains fonds de cabaret de Teniers et de Van Ostade. Le bitume y dominait,
Autour du foyer, une femme et deux enfants étaient accroupis dans les cendres, concurremment avec un grand chien maigre qui regardait le feu.
Je heurtai la porte du genou avec l’impatience d’un homme transi et affamé. La porte, retenue par un simple loquet en bois, ne résista pas à cette secousse et s’ouvrit toute grande. La femme et les enfants je
tèrent un cri de frayeur, le chien maigre grogna sourdement, et le calme se rétablit.
« Un chasqui, chargé de mon almofrez, n’est-il pas venu ici ce soir? dis-je à l’Indienne.
— Je n’ai vu personne , répondit la femme avec le laconisme qui distingue l’indigène des hauts sommets de la Sierra.
— Alors où vais-je passer la nuit ? Pouvez-vous me céder cette chambre? »
L’Indienne me regarda en face, puis reporta sa vue sur les enfants, et ne répondit pas.
« Mais au moins donnez-moi quelque chose à manger, repris-je, car je meurs de faim. »
f Je me rappelai trop tard que l’Indien porteur de Y almofrez s’était aussi chargé des alforjas, et je son
geai avec un regret que la faim redoublait, que ces alforjas contenaient d’excellent pain blanc d’Oropesa, un énorme fromage collavino, trois boîtes de conserves et une bouteille de vin de Xérès.
La femme sourit de ce sourire narquois qui déride le visage grave de l’Indien quand il s’apprête à coin
Amérique mér.dionele, — Pérou. — Villages de Maras et Urubamba.
mettre envers le blanc, ou viracocha, une malignité quelconque.
« Manancancha, me répondit-elle (il n’y a rien). »
Je m’étais si bien attendu à cette réponse, que je n’en fis aucun cas. — Je réitérai ma demande. « N’avez-vous pas un morceau de mouton, quelque fromage, des œufs?» répliquai-je.
Le fatal manancancha s’échappa des lèvres de l’Indienne une seconde fois.
Alors, impatienté, je me mis à fureter dans tous les recoins du misérable bouge, et découvris bientôt dans une des ca
vités de la muraille six œufs et une poignée d’ognons.
« Ce sont les œufs de ma poule, » exclama l’Indienne avec des larmes dans la voix.
Je lui jetai quatre réaux, c’est-à-dire vingt fois la valeur de ses œufs, et la priai de les cuire.
Elle ramassa la pièce d’argent qu’elle serra dans sa chuspa, et se mit en devoir de m’obéir.
En un clin d’œil les œufs durcis et les ognons crus étaient placés devant moi dans un plat de terre. Je m’assis sur un escabeau branlant, et dévorai silencieu
sement ma maigre pitance en maudissant tout bas l’Indien qui m’obligeait à sou
per de la sorte, et qui, pour couronner l’œuvre, allait me contraindre à dormir
à la belle étoile, avec ma selle pourAmérique méridional. — Pérou. — Po.it d’osier sur la rivière de Qullabim a entr j P.i i ; ir et Oliantay-Tampu.
oreiller et mon poncho pour couverture.
Je songeai, mais, hélas ! trop tard, que le maudit, au lieu de se rendre à los Mo
linos, s’était arrêté dans le dernier fau
bourg du Cuzco pour y consommer son cacharpari, cette fête d’adieux symbo
liques en usage dans la Sierra-Nevada,
que tout Indien, à la veille d’entreprendre un voyage, ne manque jamais de faire en
compagnie de ses proches et de ses amis. Peut-être à l’heure où je maugréais tout bas en épluchant mes œufs durs et croquant mes ognons, mon chasqui,
enfermé dans quelque chicheria, perdu dans les fumées de l’ivresse, dansait au son du charango ( petite guitare à cinq cordes) quelque bruyant zapateo, sans s’inquiéter si j’étais bien ou mal couché. Quant aux effets confiés à sa garde, je
n’en avais nul souci. La fidélité dé ces coureurs m’était assez connue.
Mon repas terminé, je me levai sans mot dire et allai desseller ma mule. Le pauvre animal piaffait de froid et d’impa
tience. Je lui jetai la bride sur le cou, en ayant soin de faire un nœud aux lon
gues” rênes tucumanes, et la laissai libre d’aller chercher son souper, son gîte et le reste. Mue par son seul instinct, elle regarda quelques secondes à droite et à gauche, aspira l’air fortement, puis devi
na sans doute que le fourrage n’était pas très-éloigné, car elle descendit le sentier