NOUVELLE ANNÉE
CURIOSITÉS DU CALENDRIER
Si quelque habitant de Vénus ou de Mars venait faire un tour sur notre globe aux environs du pre
mier janvier, peut-être serait-il fort surpris de voir tous les citoyens et citoyennes se congratuler si vi
vement d avoir une année de moins à vivre en ce bas-monde. Sans doute la vie ne vaut pas cher, le,s années s’envolent vite, et Lamartine a eu raison de dire de chacune d elles :
C est encore un pas vers la tombe Où des ans aboutit le cours,
Encore une feuille qui tombe I)e la couronne dé nos jours !
Mais enfin, en face de l’orgie des étrennes de toute nature que la vieille année lance au seuil de la nouvelle, et devant la tempête de cadeaux et de compliments qui souffle en tourbillons pendant quinze jours sur toute l humanité, masculine et féminine, adulte ou enfantine, notre observateur extra-terrestre ne pourrait s’empêcher de conclure que vraiment tout le monde est dans la joie, dans
le délire, du bonheur d’approcher un peu plus du tombeau. A toutes les bizarreries de la nature hu
maine, notre voyageur céleste ajouterait encore, sans doute, l’inconséquence, et son impression serait évidemment que si nous sommes doués de fa
cultés intellectuelles, la logique n’est pas notre qualité dominante.
Quoi qu il en soit, nous voici arrivés à la 1892e année de l’ère chrétienne. Et, à ce propos, que l on me permette de répondre à la question tant de fois po
sée et souvent si singulièrement discutée depuis quelque temps sur le commencement et la tin d’un siècle. Il est assez inexplicable que la moitié des discuteurs déclare que l’année 1900 appartiendra au vingtième, par la raison qu’un enfant de 0 an et quelques mois existe bel et bien.
Or, il est constant que la première année de notre ère a été comptée l’an 1, et non pas l’an 0. Le pre
mier siècle a commencé l’an 1 et a fini l’an 100. Le deuxième siècle a commencé l’an 101 et a fini l’an 200. Le dix-neuvième siècle a commencé l’an 1801 et finira le 31 décembre de l’an 1900.
L an 1 veut dire l’an premier, et non pas un an accompli plus une nouvelle année courante.
Le vingtième siècle commencera donc le 1er janvier 1901. Cela n’empêchera pas sans doute de nou
veaux paradoxes de venir embrouiller la question, et peut-être quelque théâtriculet reprendra-t-il la petite pièce de circonstance jouée en 1800 sous le titre d’une actualité séculaire : En quel siècle vivons-nous, bon Dieu!... car il y a cent ans, on discutait déjà la chose exactement comme aujourd’hui.
Nos lecteurs savent que l’ère chrétienne n’a pas été imaginée il y a dix-huit siècles, et ne date pas pratiquement de la naissance de Jésus, encore moins de sa conception, malgré l’ancienne formule ah incarnatione Christi. Cette ère fut proposée pour la première fois au sixième siècle seulement, par un moine du nom de Denys, surnommé le Petit, qui vivait à Rome vers l’an 580. Ses calculs l’avaient conduit à admettre pour l’incarnation de Jésus l’an de Rome 753, et cette base est le fondement de 1ère chrétienne, qui n’a été adoptée qu’en l’an 800, par ordre de Charlemagne après son couronnement. Mais le calcul de Denys le Petit est en erreur de quatre ans, attendu que, d’après la tradition même,
Jésus est né sous le règne d’Hérode, lequel est mort l’an de Rome 750. Des calculs qu’il serait trop long de reproduire ici indiquent pour la naissance de Jésus
la fin de l’année 749 de la fondation de Rome et pour sa mort la 36e année après cette date. L’ère chrétienne adoptée, qui fait mourir Jésus à trentetrois ans, est trop courte de. quatre ans. Le 1er jan
vier de l’an 1 est le 1er janvier de l’an 750, et non de l’an 754. L année 1892 est en réalité la 1890° après la naissance de Jésus.
Malgré l’erreur reconnue, il serait évidemment impossible de rien changer aujourd’hui à cette origine, base de toutes les dates historiques de l Europe depuis plus de mille ans.
Quant au commencement de l’année, il a été fixé, en effet, pendant très longtemps, à l incarnation,
autrement dit à la visite de l’ange Gabriel, c’est-à- dire à neuf mois avant la naissance de Jésus, soit au 25 mars. Cet usage, très répandu en Europe, a même duré jusqu’en l an 1745, chez les habitants de Pise, et le calcul de Denys avait même reçu le so
briquet de « calcul pisan ». Les rois de France adoptèrent tantôt le 25 mars, tantôt Noël, tantôt
Pâques, et c’est ce dernier usage qui régnait lorsqu’en 1563 Charles IX fixa le commencement de l’année au 1er janvier. D’autres continuaient de suivre l usage romain de commencer l’année au 1er mars, comme au temps de Jules César. Ces di
vers systèmes de chronologie sont souvent une source de confusions inextricables dans la lecture
des chroniqueurs du moyen-âge. Pâques étant la date la plus mobile qui se puisse imaginer, puis
qu’elle peut correspondre à tous les jours compris entre le 22 mars et le 25 avril, on rencontre des années qui ont eu deux mois d’avril presque complets, par exemple l’année 1347.
Il faut avouer, du reste, que rien n’est plus arbitraire que la fixation du changement d’année. Pour
quoi le 1er janvier, le 25 décembre, le 25 mars, ou quelque autre date que ce soit? La terre tournant autour du soleil suivant une ellipse peu différente d’une circonférence, une telle figure n’a ni com
mencement ni fin, de sorte que la nature elle-même ne s’est pas chargée de marquer où l’année com
mence et où elle finit. Pourtant les saisons existent.
L’impression la plus naturelle, semble-t-il, serait de commencer l’année avec les beaux jours, au 1e1’ mai, par exemple. Oui, mais le printemps de notre hémisphère boréal, c’est, l’automne de l’hé
misphère austral, et quand le linceul de l’hiver étend ses neiges sur la France, l Allemagne et la Russie, la Patagonie et la Nouvelle-Zélande se dé
lectent aux rayons du soleil d’été. Voilà pourquoi les noms, d’ailleurs si euphoniques, du calendrier républicain ne peuvent être appliqués au globe entier : ils ne sont pas astronomiques, et, j’en de
mande bien pardon à tous les corps d’états du monde entier, nul ne peut rien construire de du
rable en fait de mesures du temps ou de l’espace, comme en fait de n’importe quoi, si l on est en dé
saccord avec messieurs les astronomes. Les rois,
les ministres, les décrets, passent; le ciel reste, et la terre est dans le ciel.
Donc, thermidor de Paris étant pluviôse de Buenos-Ayres, et floréal de Melbourne étant brumaire de Londres, c’est là un calendrier inacceptable pour l’ensemble du globe.
La République française avait fixé le commencement de l’année au 1er vendémiaire ou 22 septem
bre, jour de la proclamation de la République, qui,
par un accord qu en un autre temps on eût qualifié de providentiel, se trouve coïncider avec l’équinoxe. En effaçant la couleur politique, ce que les autres nations avaient évidemment le droit de faire, la date astronomique restait, et elle n’est pas plus mauvaise qu’une autre. Elle est même digne d’at
tention, l équinoxe d’automne de notre hémisphère est l équinoxe du printemps de l’autre, et c’est là une date qui prend son origine dans la nature. Seu
lement, si l’on choisissait comme date rationnelle le 22 septembre, il faudrait aussi fixer là le pre
mier jour du premier mois, et trouver douze noms de mois applicables aux deux hémisphères.
Comme il n’y a pas la moindre logique dans les événements humains, tous les systèmes absurdes de calendrier se succéderont avant qu’on en adopte un rationnel, si jamais on y arrive. Sans contredit, le système le plus rationnel serait de commencer l’année soit à l’un des équinoxes, soit à l’un des solstices, attendu que les deux points extrêmes (le l ellipse décrite par la terre autour du soleil, le périhélie et l’aphélie, ne sont pas fixes, mais se déplacent do siècle en siècle, et font le tour des saisons en 21,000 ans.
Les Romains, dans le calendrier de Jules César, que nous suivons toujours en principe, commen
çaient l’année au 1er mars, et la numération des mois correspondait à cette origine. Septembre était le 7e, octobre le 8°, novembre le 9° et décembre le 10e. En reportant l’origine de l’année au 1er janvier,
on a laissé aux mois leurs noms primitifs, de sorte que septembre est devenu le 9°, octobre le 10e, no
vembre le 11e, et décembre le 12e; ce qui n’a pas plus de sens. Il eût été logique de changer les noms, comme les Romains l’avaient déjà fait pour sept mois, en donnant les noms de Mars, Aphrodite,
Maïa, Junon, Jules et Auguste, aux six premiers, et ceux de Janus et Februo (dieu des morts) aux deux derniers.
Il faut avouer, du reste, qu’à certains égards les choses ne sont pas absolument simples dans la na
ture elle-même. Ainsi, le mouvement de la terre autour du soleil ne s’accomplit pas en un nombre exact de jours, mais, comme chacun le sait, en 335 jours plus une fraction. Cette maudite fraction empêche et empêchera toujours de faire un calendrier parfait.
Si cette fraction était juste d’un quart de jours, il suffirait d’ajouter un jour à l’année tous les qua
tre ans, et tout serait réglé. Mais l’année n’est pas de 365 jours 6 heures juste; elle est de 365 jours 5 heures 48 minutes 47 secondes et demie. Ces Il minutes 12 secondes et demie de différence sont fort embarrassantes et difficiles à caser.
C’est ce qui fait que le calendrier de Jules César, qui intercalait tout simplement une année bissex
tile tous les quatre ans, nous faisait cadeau de trois jours de trop en quatre cents ans. Au seizième siècle, la différence était déjà de dix jours. En continuant ainsi, l’équinoxe de printemps, au lieu d’arriver le 21 mars, serait arrivé graduellement le
10 mars, le 1er mars le 20 février, etc. rétrogradant les mois.
Les astronomes du temps du pape Grégoire XIII corrigèrent leurs devanciers du temps de Jules Cé
sar, et proposèrent de supprimer d’abord les dix jours d’erreur, puis de décider que dans l’avenir les années séculaires ne seraient plus bissextiles, à l’exception d’une sur quatre. Il y a une règle bien simple pour trouver si une année séculaire est bis
sextile ou non : c’est d’effacer les deux zéros de la droite; si les-chiffres restants sont divisibles par quatre, l’année est bissextile; sinon, non. Ainsi les années 1700, 1800 et 1900, sont bissextiles dans le calendrier Julien et ne le sont pas dans le Grégorien; 2000 le sera dans les deux.
Voilà toute la différence entre l’ancien calendrier et le moderne. Il reste bien encore une petite cor
rection à faire, de deux jours 10 heures en dix mille ans : nos arrière-neveux la feront sans doute.
Le pape ordonna donc que le lendemain du 4 octobre 1582 s’appellerait le 15. Mais, en dehors des paj s obéissant à la juridiction spirituelle du pon
tife romain, personne ne voulut rien changer aux habitudes. On préféra rester en désaccord avec la nature que de se mettre d’accord avec une décision papale.
On tergiversa indéfiniment. La moitié do l’Europe avait.adopté la réforme, que l’autre moitié datait
encore selon l’usage, ce qui ne laissait pas de créer pas mal d’embarras. L’Angleterre ne se décida qu’en 1752, ce qui est encore bien beau de sa part, car on sait qu’elle continue de résister opiniâtre
ment à, l’adoption du système métrique et de l’unité des poids et mesures — Utile Britannia! — Mais c’était presque une révolution, car, chez eux l’année commençant alors le 25 mars, il s’agissait en même temps de la faire commencer le 1er janvier, et de supprimer, non pas dix jours, mais trois mois ! Vieillir tout d’un coup de trois mois, c’est terrible !
Les belles Londoniennes firent d’abord une guerre sourde à une pareille proposition, laissant entendre qu’il nj avait pas de raison pour ne pas recom
mencer de temps en temps le même tour; les ouvriers, de leur côté, perdant en apparence un trimestre de leur année, se révoltèrent pour tout de bon, et, le jour de la proclamation du bill, le peuple poursuivit lord Chesterlield dans les rues de la cité, aux cris répétés de : « liendes-nouS nos trois mois! » Mais il n’y eut pas d’effusion de sang, et la terre continua de tourner.
Aujourd’hui encore, la Russie n’ose pas toucher au calendrier Julien, consacré par la religion orthodoxe : elle est en retard de douze jours sur le so
leil; dans neuf ans elle le sera de treize, à moins
que le czar Alexandre II complète son règne par une réforme scientifique qui s’impose à un peuple civilisé. Mais qui sait s il n’y jouerait pas sa couronne 1
Encore un point. L’année n a pas une durée absolument fixe non plus : elle varie de 38 secondes audessus et au-dessous de sa durée moyenne.
Elle a lentement diminué depuis le commencement de notre ère. Un centenaire de nos jours a réellement vécu vingt minutes de moins qu’un cen
tenaire du temps de l’empereur chinois Hoang-Ti.
La plus courte durée de l’année aura lieu en l’an 7600, avec 70 secondes de moins qu’en l’an 3040 avant notre ère...
C’est insignifiant. L’important dans la nature, dans la vie humaine comme dans celle des autres êtres, c’est l action du soleil le long de l’année, action très multiple et fort curieuse. En France seule,
Il naît, par exemple, cent soixante mille enfants de plus en mars qu’en juin...
Mais ne nous égarons pas dans les aspects physiologiques des mois et des jours, et terminons cette causerie sur le calendrier en souhaitant à nos lecteurs une longue série d’années digne du meil
leur des mondes. La planète que nous habitons n’est-elle pas un peu ce que nous la faisons nousmêmes ?
Camille Flammarion.
CURIOSITÉS DU CALENDRIER
Si quelque habitant de Vénus ou de Mars venait faire un tour sur notre globe aux environs du pre
mier janvier, peut-être serait-il fort surpris de voir tous les citoyens et citoyennes se congratuler si vi
vement d avoir une année de moins à vivre en ce bas-monde. Sans doute la vie ne vaut pas cher, le,s années s’envolent vite, et Lamartine a eu raison de dire de chacune d elles :
C est encore un pas vers la tombe Où des ans aboutit le cours,
Encore une feuille qui tombe I)e la couronne dé nos jours !
Mais enfin, en face de l’orgie des étrennes de toute nature que la vieille année lance au seuil de la nouvelle, et devant la tempête de cadeaux et de compliments qui souffle en tourbillons pendant quinze jours sur toute l humanité, masculine et féminine, adulte ou enfantine, notre observateur extra-terrestre ne pourrait s’empêcher de conclure que vraiment tout le monde est dans la joie, dans
le délire, du bonheur d’approcher un peu plus du tombeau. A toutes les bizarreries de la nature hu
maine, notre voyageur céleste ajouterait encore, sans doute, l’inconséquence, et son impression serait évidemment que si nous sommes doués de fa
cultés intellectuelles, la logique n’est pas notre qualité dominante.
Quoi qu il en soit, nous voici arrivés à la 1892e année de l’ère chrétienne. Et, à ce propos, que l on me permette de répondre à la question tant de fois po
sée et souvent si singulièrement discutée depuis quelque temps sur le commencement et la tin d’un siècle. Il est assez inexplicable que la moitié des discuteurs déclare que l’année 1900 appartiendra au vingtième, par la raison qu’un enfant de 0 an et quelques mois existe bel et bien.
Or, il est constant que la première année de notre ère a été comptée l’an 1, et non pas l’an 0. Le pre
mier siècle a commencé l’an 1 et a fini l’an 100. Le deuxième siècle a commencé l’an 101 et a fini l’an 200. Le dix-neuvième siècle a commencé l’an 1801 et finira le 31 décembre de l’an 1900.
L an 1 veut dire l’an premier, et non pas un an accompli plus une nouvelle année courante.
Le vingtième siècle commencera donc le 1er janvier 1901. Cela n’empêchera pas sans doute de nou
veaux paradoxes de venir embrouiller la question, et peut-être quelque théâtriculet reprendra-t-il la petite pièce de circonstance jouée en 1800 sous le titre d’une actualité séculaire : En quel siècle vivons-nous, bon Dieu!... car il y a cent ans, on discutait déjà la chose exactement comme aujourd’hui.
Nos lecteurs savent que l’ère chrétienne n’a pas été imaginée il y a dix-huit siècles, et ne date pas pratiquement de la naissance de Jésus, encore moins de sa conception, malgré l’ancienne formule ah incarnatione Christi. Cette ère fut proposée pour la première fois au sixième siècle seulement, par un moine du nom de Denys, surnommé le Petit, qui vivait à Rome vers l’an 580. Ses calculs l’avaient conduit à admettre pour l’incarnation de Jésus l’an de Rome 753, et cette base est le fondement de 1ère chrétienne, qui n’a été adoptée qu’en l’an 800, par ordre de Charlemagne après son couronnement. Mais le calcul de Denys le Petit est en erreur de quatre ans, attendu que, d’après la tradition même,
Jésus est né sous le règne d’Hérode, lequel est mort l’an de Rome 750. Des calculs qu’il serait trop long de reproduire ici indiquent pour la naissance de Jésus
la fin de l’année 749 de la fondation de Rome et pour sa mort la 36e année après cette date. L’ère chrétienne adoptée, qui fait mourir Jésus à trentetrois ans, est trop courte de. quatre ans. Le 1er jan
vier de l’an 1 est le 1er janvier de l’an 750, et non de l’an 754. L année 1892 est en réalité la 1890° après la naissance de Jésus.
Malgré l’erreur reconnue, il serait évidemment impossible de rien changer aujourd’hui à cette origine, base de toutes les dates historiques de l Europe depuis plus de mille ans.
Quant au commencement de l’année, il a été fixé, en effet, pendant très longtemps, à l incarnation,
autrement dit à la visite de l’ange Gabriel, c’est-à- dire à neuf mois avant la naissance de Jésus, soit au 25 mars. Cet usage, très répandu en Europe, a même duré jusqu’en l an 1745, chez les habitants de Pise, et le calcul de Denys avait même reçu le so
briquet de « calcul pisan ». Les rois de France adoptèrent tantôt le 25 mars, tantôt Noël, tantôt
Pâques, et c’est ce dernier usage qui régnait lorsqu’en 1563 Charles IX fixa le commencement de l’année au 1er janvier. D’autres continuaient de suivre l usage romain de commencer l’année au 1er mars, comme au temps de Jules César. Ces di
vers systèmes de chronologie sont souvent une source de confusions inextricables dans la lecture
des chroniqueurs du moyen-âge. Pâques étant la date la plus mobile qui se puisse imaginer, puis
qu’elle peut correspondre à tous les jours compris entre le 22 mars et le 25 avril, on rencontre des années qui ont eu deux mois d’avril presque complets, par exemple l’année 1347.
Il faut avouer, du reste, que rien n’est plus arbitraire que la fixation du changement d’année. Pour
quoi le 1er janvier, le 25 décembre, le 25 mars, ou quelque autre date que ce soit? La terre tournant autour du soleil suivant une ellipse peu différente d’une circonférence, une telle figure n’a ni com
mencement ni fin, de sorte que la nature elle-même ne s’est pas chargée de marquer où l’année com
mence et où elle finit. Pourtant les saisons existent.
L’impression la plus naturelle, semble-t-il, serait de commencer l’année avec les beaux jours, au 1e1’ mai, par exemple. Oui, mais le printemps de notre hémisphère boréal, c’est, l’automne de l’hé
misphère austral, et quand le linceul de l’hiver étend ses neiges sur la France, l Allemagne et la Russie, la Patagonie et la Nouvelle-Zélande se dé
lectent aux rayons du soleil d’été. Voilà pourquoi les noms, d’ailleurs si euphoniques, du calendrier républicain ne peuvent être appliqués au globe entier : ils ne sont pas astronomiques, et, j’en de
mande bien pardon à tous les corps d’états du monde entier, nul ne peut rien construire de du
rable en fait de mesures du temps ou de l’espace, comme en fait de n’importe quoi, si l on est en dé
saccord avec messieurs les astronomes. Les rois,
les ministres, les décrets, passent; le ciel reste, et la terre est dans le ciel.
Donc, thermidor de Paris étant pluviôse de Buenos-Ayres, et floréal de Melbourne étant brumaire de Londres, c’est là un calendrier inacceptable pour l’ensemble du globe.
La République française avait fixé le commencement de l’année au 1er vendémiaire ou 22 septem
bre, jour de la proclamation de la République, qui,
par un accord qu en un autre temps on eût qualifié de providentiel, se trouve coïncider avec l’équinoxe. En effaçant la couleur politique, ce que les autres nations avaient évidemment le droit de faire, la date astronomique restait, et elle n’est pas plus mauvaise qu’une autre. Elle est même digne d’at
tention, l équinoxe d’automne de notre hémisphère est l équinoxe du printemps de l’autre, et c’est là une date qui prend son origine dans la nature. Seu
lement, si l’on choisissait comme date rationnelle le 22 septembre, il faudrait aussi fixer là le pre
mier jour du premier mois, et trouver douze noms de mois applicables aux deux hémisphères.
Comme il n’y a pas la moindre logique dans les événements humains, tous les systèmes absurdes de calendrier se succéderont avant qu’on en adopte un rationnel, si jamais on y arrive. Sans contredit, le système le plus rationnel serait de commencer l’année soit à l’un des équinoxes, soit à l’un des solstices, attendu que les deux points extrêmes (le l ellipse décrite par la terre autour du soleil, le périhélie et l’aphélie, ne sont pas fixes, mais se déplacent do siècle en siècle, et font le tour des saisons en 21,000 ans.
Les Romains, dans le calendrier de Jules César, que nous suivons toujours en principe, commen
çaient l’année au 1er mars, et la numération des mois correspondait à cette origine. Septembre était le 7e, octobre le 8°, novembre le 9° et décembre le 10e. En reportant l’origine de l’année au 1er janvier,
on a laissé aux mois leurs noms primitifs, de sorte que septembre est devenu le 9°, octobre le 10e, no
vembre le 11e, et décembre le 12e; ce qui n’a pas plus de sens. Il eût été logique de changer les noms, comme les Romains l’avaient déjà fait pour sept mois, en donnant les noms de Mars, Aphrodite,
Maïa, Junon, Jules et Auguste, aux six premiers, et ceux de Janus et Februo (dieu des morts) aux deux derniers.
Il faut avouer, du reste, qu’à certains égards les choses ne sont pas absolument simples dans la na
ture elle-même. Ainsi, le mouvement de la terre autour du soleil ne s’accomplit pas en un nombre exact de jours, mais, comme chacun le sait, en 335 jours plus une fraction. Cette maudite fraction empêche et empêchera toujours de faire un calendrier parfait.
Si cette fraction était juste d’un quart de jours, il suffirait d’ajouter un jour à l’année tous les qua
tre ans, et tout serait réglé. Mais l’année n’est pas de 365 jours 6 heures juste; elle est de 365 jours 5 heures 48 minutes 47 secondes et demie. Ces Il minutes 12 secondes et demie de différence sont fort embarrassantes et difficiles à caser.
C’est ce qui fait que le calendrier de Jules César, qui intercalait tout simplement une année bissex
tile tous les quatre ans, nous faisait cadeau de trois jours de trop en quatre cents ans. Au seizième siècle, la différence était déjà de dix jours. En continuant ainsi, l’équinoxe de printemps, au lieu d’arriver le 21 mars, serait arrivé graduellement le
10 mars, le 1er mars le 20 février, etc. rétrogradant les mois.
Les astronomes du temps du pape Grégoire XIII corrigèrent leurs devanciers du temps de Jules Cé
sar, et proposèrent de supprimer d’abord les dix jours d’erreur, puis de décider que dans l’avenir les années séculaires ne seraient plus bissextiles, à l’exception d’une sur quatre. Il y a une règle bien simple pour trouver si une année séculaire est bis
sextile ou non : c’est d’effacer les deux zéros de la droite; si les-chiffres restants sont divisibles par quatre, l’année est bissextile; sinon, non. Ainsi les années 1700, 1800 et 1900, sont bissextiles dans le calendrier Julien et ne le sont pas dans le Grégorien; 2000 le sera dans les deux.
Voilà toute la différence entre l’ancien calendrier et le moderne. Il reste bien encore une petite cor
rection à faire, de deux jours 10 heures en dix mille ans : nos arrière-neveux la feront sans doute.
Le pape ordonna donc que le lendemain du 4 octobre 1582 s’appellerait le 15. Mais, en dehors des paj s obéissant à la juridiction spirituelle du pon
tife romain, personne ne voulut rien changer aux habitudes. On préféra rester en désaccord avec la nature que de se mettre d’accord avec une décision papale.
On tergiversa indéfiniment. La moitié do l’Europe avait.adopté la réforme, que l’autre moitié datait
encore selon l’usage, ce qui ne laissait pas de créer pas mal d’embarras. L’Angleterre ne se décida qu’en 1752, ce qui est encore bien beau de sa part, car on sait qu’elle continue de résister opiniâtre
ment à, l’adoption du système métrique et de l’unité des poids et mesures — Utile Britannia! — Mais c’était presque une révolution, car, chez eux l’année commençant alors le 25 mars, il s’agissait en même temps de la faire commencer le 1er janvier, et de supprimer, non pas dix jours, mais trois mois ! Vieillir tout d’un coup de trois mois, c’est terrible !
Les belles Londoniennes firent d’abord une guerre sourde à une pareille proposition, laissant entendre qu’il nj avait pas de raison pour ne pas recom
mencer de temps en temps le même tour; les ouvriers, de leur côté, perdant en apparence un trimestre de leur année, se révoltèrent pour tout de bon, et, le jour de la proclamation du bill, le peuple poursuivit lord Chesterlield dans les rues de la cité, aux cris répétés de : « liendes-nouS nos trois mois! » Mais il n’y eut pas d’effusion de sang, et la terre continua de tourner.
Aujourd’hui encore, la Russie n’ose pas toucher au calendrier Julien, consacré par la religion orthodoxe : elle est en retard de douze jours sur le so
leil; dans neuf ans elle le sera de treize, à moins
que le czar Alexandre II complète son règne par une réforme scientifique qui s’impose à un peuple civilisé. Mais qui sait s il n’y jouerait pas sa couronne 1
Encore un point. L’année n a pas une durée absolument fixe non plus : elle varie de 38 secondes audessus et au-dessous de sa durée moyenne.
Elle a lentement diminué depuis le commencement de notre ère. Un centenaire de nos jours a réellement vécu vingt minutes de moins qu’un cen
tenaire du temps de l’empereur chinois Hoang-Ti.
La plus courte durée de l’année aura lieu en l’an 7600, avec 70 secondes de moins qu’en l’an 3040 avant notre ère...
C’est insignifiant. L’important dans la nature, dans la vie humaine comme dans celle des autres êtres, c’est l action du soleil le long de l’année, action très multiple et fort curieuse. En France seule,
Il naît, par exemple, cent soixante mille enfants de plus en mars qu’en juin...
Mais ne nous égarons pas dans les aspects physiologiques des mois et des jours, et terminons cette causerie sur le calendrier en souhaitant à nos lecteurs une longue série d’années digne du meil
leur des mondes. La planète que nous habitons n’est-elle pas un peu ce que nous la faisons nousmêmes ?
Camille Flammarion.