Jadis l imagination était la bonne fée de ce pauvre monde qui a reçu au berceau tant de méchants cadeaux des autres fées, ses marraines. Elle le con
solait de ce qu’il possède par la chère vision de ce qu’il ne possédera jamais ; elle lui donnait le désir inassouvi qui dépasse tellement la jouissance ; elle peuplait un monde fantastique d adorables chimères : sérails mystérieux, beautés captives, femmes aux yeux de velours et aux ardents baisers, qui pas
saient, voilées et attirantes, dans les récits des voyageurs. Hélas ! la bonne fée a déployé ses ailes et s’est envolée vers d’autres mondes, mécontente de se heurter sans cesse ici-bas à notre locomotion indiscrète, aux découvertes pratiques de la science, à ce maladif amour de vérité qui possède l homme de nos jours, qui le rend si dédaigneux et si ingrat envers les Actions dont elle avait bercé ses ancêtres.
Il :est certain que nous sommes assoiffés de réalités et, dussions-nous souvent éloigner avec dé
goût leur coupe de nos lèvres, nous y révenons pour la vider jusqu’au fond, plutôt que de ne pas boire la vie telle qu’elle est : impure et. enivrante.
Sous ce rapport le voyageur est la quintessence du réaliste. Parti de son home avec mille illusions dans la cervelle, il n y rentre satisfait qu’après les avoir semées toutes sur la route parcourue. Il est content de conclure tacitement, au fond de sa pen
sée, que, dans ses grandes lignes, l espèce humaine est la même partout ; que les chefs-d’œuvre de l’art sont empreints à la longue d une ennuyeuse monotonie et que, seule, la nature fort maussade parfois, dépasse souvent notre attente et nous sur
prend par des beautés qui n’ont jamais lassé des yeux mortels.
De tous les pays le plus décevant est l’Afrique. On y arrive ébloui par une lumière radieuse, grisé par un soleil qui lait chanter les murs. Cette terre sans arbre, sans végétation, étincelle comme un diamant taillé à mille facettes; elle semble, littéra
lement, le miroir du ciel. L’Arabe qui passe dans le lointain aux pieds des montagnes bleues, enveloppé de son burnous flottant, au galop endiablé de sa légère et gracieuse monture, paraît un être fantas
tique. Il n’est pas jusqu’au chameau lui-même qui n emprunte au grandiose du cadre qui l entoure un aspect imposant. Puis tout à coup le soleil dis
paraît, et vous n avez plus sous les yeux que la hideuse misère d un sol calcin, et de créatuies en haillons, poussant devant elles des animaux famé
liques. La, toute beauté n’est qu une silhouette, une ombre qui passe, une apparence insaississable ; et quelles réalités dans l’horreur des choses vivantes!
Fabrication du couscous.
J arrive de ce pays, des confins de cette contrée Touareg, la lionne du jour. Chacun sait que dompter la bête sauvage, l’apprivoiser, l’exploiter surtout, est une des toquades de notre An de siècle. Ce sera dans l’histoire uni
verselle une page piquante que celle qui montrera la vieille Europe, civilisée jusqu’aux plus intimes corruptions, républicaine, incrédule, s’acharnant à convertir l’Afrique barbare, féodale et croyante. Je ne crois guère au succès de l’entreprise avant des siècles et des siècles, mais qui vivra verra. L’histoire en aura le dernier mot.
Depuis quelques années on a prodigieusement.écrit sur une foule de questions africaines : relations de voyage, projets de chemin de fer, marche sur In-Salali, expédition au lac Tchad, œuvre anti-esclavagiste. — Je m’arrête, je n’en finirais pas. — On a peu ou point parlé de la femme. Il semble acquis à l expérience des voyageurs quelle est un simple agent de reproduction,duquel il n’y a rien a tirer en dehors des produits sui generis.
C’est trop de dédain et une grave erreur. De ce que la femme est déformée et enlaidie par un travail au-dessus de ses forces, de ce qu’elle est maintenue dans une éternelle enfance intellectuelle, de ce que sa malpropreté la rend répugnante à nos goûts européens, il n’en résulte pas qu’elle cesse d’être là, ainsi que dans les autres parties du monde, la che
ville ouvrière de l’humanité. Et, comme en tout projet dont on souhaite la réussite il est indispensable de s’assurer son concours sans lequel l’homme ne finit rien, je conseille fort aux civilisateurs de l’Afrique de songer à la conquérir.
Ce ne sera pas facile, car elle possède au suprême degré l’attachement aux usages con
sacrés, alors qu’ils sont le plus défavorables à son émancipation. C’est une esclave qui
adore ses chaînes ; elle se ferait tuer pour empêcher qu’on les brise. Dans le Sud, c’est la femme arabe qui supporte le plus diffici
lement notre joug; ellenous déteste tout en nous souriant, et elle empêche autant qu’elle le peut ses enfants de parler notre langue et de se frotter à notre contact. Elle-même ne se laisse point séduire. J’ai été fort humilié dans mon amour-propre national de constater que le pantalon rouge, si triomphant ailleurs, est en Afrique, auprès des naturelles du pays,
absolument piteux. Il voudrait bien... Mais il
a dû reconnaître, après tentatives réitérées, que, d’une part, les belles étaient trop bien gardées, et, de 1 autre, excessivement peu curieuses de courir i aventure; il en reste vexé, car il n ignore pas qu’elles ne connaissent aucun scru
pule de ce genre avec leurs compatriotes. Rien n’est donc plus rare qu une bonne fortune indigène dans le monde militaire. Je dirai même que le cas
n existe pas, ni dans le passé, ni dans le présent; s il pouvait se produire dans l’avenir,la question africaine serait résolue et nous irions à Tombouctou sans tirer un coup de fusil.
En attendant cette solution improbable, faisons connaissance avec nos ennemies.
Elles sont de trois catégories; je commencerai par la moins intéressante : les Ouled-Nails (ou danseuses) qui semblent me mettre en contradiction avec ce que je disais plus haut de l’ostracisme de l amour chez les femmes arabes. Celles-ci se vendent sans honte et sans scrupule à qui les paie ; elles appar
tiennent à une tribu dont la spécialité est ce commerce. Durant un certain nombre d’années, de quatorze à dix-huit ou vingt ans, cette tribu admet que ses filles trafiquent de leurs charmes, pour se composer une dot quelles étalent sur leur poitrine en rangs serrés de louis d’or ; elles arrivent ainsi à porter
FEMMES DU SUD
Jeune fille de Laghouat.