fies colliers de plusieurs milliers de francs qu el
les ne quittent ni jour ni nuit. On comprend que les assassinats soient fré
quents chez ces pauvres créatures ; les gens de sac et de corde qui frappent
à leur porte ne résistent guère à la tentation de tordre, tout en le cares sant, le cou charmant au
tour duquel s enroule une si séduisante parure. — J ai vu une de ces filles qui, volée et laissée pour morte, portait encore, après plusieurs années, l’empreinte des deux doigts qui l avaient étran
glée. Quand elles ont amassé la sommé qui leur paraît nécessaire, elles se marient aux hom
mes de leur tribu, et la chronique affirme (je n ai aucune peine à le croire) quelles sont en général d’irréprochables épouses.
Au reste, bonnes filles, sans tapage, sans effrontei’ie, sans mots grossiers, elles fument placi
dement leur cigarette au seuil de l’étroit gourbi qui leur est assigné (car chacune d’elles a sa petite case indépendante, dans une rue spéciale dont elles ne peuvent sortir que deux ou trois fois par an, aux grandes fêtes arabes), fort décentes dans leur attitude et pleines de déférence pour l’autorité militaire de qui elles relèvent. Elles supportent mal les fami
liarités intempestives en dehors du huis-clos. Je me souviens qu’un jour, à Lagliouat, traversant leur quartier, je vis un soldat facétieux arriver à pas de loups sur le dos d une Ouled et enlacer subitement sa taille :1emouvement de colère fie cette femme me cloua surplace d’admiration, et le soufflet qu’elle appliqua sur la joue de l’imprudent, retentit encore à mon oreille.
Les soirs de Bitta (1) elles arrivent en bataillon serré, au rendez-vous de la fête, se rangent en cercle et s’assoient sur leurs talons, ayant une petite bougie allumée devant chacune d elles. Les musisiens, installés depuis long
temps, accélèrent leur infernal tam-tam qu’accompagne le chant de la Nouba, Alors la danse recommence. Il n y a jamais qu une ou deux danseuses à la fois au milieu du cercle; les oripeaux de leur costume scintillent vaguement à la lueur tremblottante des petites bougies que la brise agite, les voiles de tulle qui les enveloppent tombent en plis chastes et gracieux, leurs mouvements lents et doux sont empreints d une volupté mélancolique, qui emporte les spec
tateurs à mille lieues des ébats folâtres de la ballerine de théâtre. Cela répond bien à la nature rêveuse et pleine de dignité de l’Arabe. On comprend que les hommes de ce pays passent des nuits entières étendus autour de ces femmes, à les regarder dans un silence profond et une sorte d’ivresse extatique.
En masse, avec le bariolage éclatant de leurs jupes et l effet original de leur lourde coiffure bardée d or, elles semblent jolies; individuellement elles sont fort laides. Bien que douces et humbles, elles sentent toujours la fille, et j ai hâte de les quitter pour passer à la vraie femme arabe dont la farouche dignité a véritablement un grand charme.
La femme des tribus, c est-à-dire celle qui vit sous la tente, au hasard des pâturages ou dans les gourbis d un k sar (2), mène une vie horriblement dure. Mahomet lui a tracé son tableau de travail dans le Coran, et ses seigneurs et maîtres ne lui permettent pas de s en écarter. En voici un court extrait :
DEVOIRS DES FEMMES
« Elles ont à traire les brebis et les chamelles, A faire le beurre,
A moudre les grains,
A seller et desseller le cheval, A lui mettre la couverture,
A le faire boire, à lui donner l orge,
A tenir l’étrier quand l homme descend ou monte, A faire le bois et l eau,
A préparer les aliments,
A traiter les chameaux, aidées par le berger.
Elles tissent les lits, les coussins, les sacs à fardeaux, les étoffes en laine teintes en rouge, en bleu, en jaune; les rideaux qui séparent les hommes des femmes.
Elles fabriquent avec de la terre glaise de la poterie, des vases à boire, des fourneaux, des plats à faire cuire le pain, la viande, le kouskous.
Pour les déménagements, elles lèvent la tente, la roulent en paquet, la chargent sur un chameau. Dans la migration, elles marchent à pied, condui
sant souvent à la main la jument que suit un poulain, toujours fagotant du bois en route et ramassant de l herbe pour le bivouac du soir.
A l’arrivée, elles dressent les tentes. »
1 Fête en plein air que donnent les Arabes à l occasion d un mariage ou d’un événement heureux.
2 Tillage arabe.
Dans les villes, elles tissent des tapis ou des vêtements, et se réunissent trois ou quatre de la même famille derrière l énorme métier qui ressemble à la grille d un cloître ; elles restent là accroupies pendant des années, sans que rien ne change dans leur existence, sans qu’elles aient l’idée d une autre distraction que leur caquetage d oiseaux. Les hommes, en dehors des maris, ne les approchent pas. L Arabe, flâneur par excellence, sort de chez lui — où il enferme ses femmes entre quatre murs, sans fenêtre — et va s étendre, au soleil ou à l ombre, suivant la saison, serré contre quelques autres collègues qui forment un cercle étroit, et ces paquets humains qu on distingue à peine du sol, tant ils sont poussiéreux, passent ainsi des journées entières à bavarder sans s’arrêter.
La malpropreté des intérieurs défie ce qu une imagination européenne peut concevoir ; nos « habillés de soie » (révérence gardée) s y trouveraient incommodés. On pénètre dans les habitations par l endroit que nous dissimulons le plus soigneusement dans les nôtres et qui, chez eux, est bien vérita
blement défensif ; il donne accès sur une petite cour carrée, longue de quel
ques pieds, qui l ait l effet d un tombeau; là grouillent un tas d’enfants nus,
pêle-mêle avec le cheval, l âne, les poules et la chèvre ; la terre battue du sol est humide de tous les immondices de cette population. A droite et à gauche de la cour, une sorte de hangar, où des débris de tapis, de burnous, de haïcks, forment le lit commun de la famille; l àtre noirci, fumant de deux maigres tisons, n a aucune prise d air extérieur, et tous les sièges du logis sont représentés par un banc de pierre, taillé dans l épaisseur du mur. Le seul ustensile de cuisine qu on découvre est une cafetière, instrument sacré chez l’Arabe. —
Danse des Ouled-Naïls.
Comment des femmes jeunes et quelquefois jolies peuvent-elles exister làdedans? C’est un problème que je n ai pas résolu. Les Arabes vivent dehors, mais ces malheureuses créatures, cloîtrées à jamais dans ces bouges infects, devraient être vouées à la mort avant leur quinzième année.
Elles ne le sont qu à une flétrissure lamentable; leur jeunesse a la durée et l’éclat d’un rayon de soleil. Délicieuses à la première heure de puberté dans leur fine et mince structure de Vénus Astarté, elles sont, dix ans plus tard, horribles vieilles femmes édentées, chassieuses, difformes, vraies sorcières de Macbeth dignes de figurer dans les drames d un Shakespeare africain. La seule chose qu elles conservent jusqu à la quarantaine, c est une démarche singulièrement gracieuse; elles ont presque toutes ce qu au siècle de Louis XIV on appelait « un port de reine «. A les voir passer rapides et légères (car les femmes du peuple, qui sont obligées de sortir de chez elles pour les courses
du ménage, ne s attardent jamais dans les rues) enveloppées des pieds à la tête dans le haïck blanc ou le haïck bleu marine, Don Juan les suivrait avec un battement de cœur, tant ces silhouettes droites et hères sont pleines d illu
sions. Mais qu une main indiscrète entrouvre les plis du haïck (ce qui m est souvent arrivé), ô horreur ! Les musées de médecine ne sont pas peuplés de spectres plus atroces; rien .n’y survit de la femme que deux prunelles noires comme de l encre qui vous fixent avec une expression gaie et curieuse.
En dépit de cette existence horriblement matérielle et de cette dégradation physique, l âme et le cœur ont plus d intensité de vie que chez nous. La passion coule à flots chez ces créatures, et les emporté souvent dans des dra
Une Ouled-Naïl.
les ne quittent ni jour ni nuit. On comprend que les assassinats soient fré
quents chez ces pauvres créatures ; les gens de sac et de corde qui frappent
à leur porte ne résistent guère à la tentation de tordre, tout en le cares sant, le cou charmant au
tour duquel s enroule une si séduisante parure. — J ai vu une de ces filles qui, volée et laissée pour morte, portait encore, après plusieurs années, l’empreinte des deux doigts qui l avaient étran
glée. Quand elles ont amassé la sommé qui leur paraît nécessaire, elles se marient aux hom
mes de leur tribu, et la chronique affirme (je n ai aucune peine à le croire) quelles sont en général d’irréprochables épouses.
Au reste, bonnes filles, sans tapage, sans effrontei’ie, sans mots grossiers, elles fument placi
dement leur cigarette au seuil de l’étroit gourbi qui leur est assigné (car chacune d’elles a sa petite case indépendante, dans une rue spéciale dont elles ne peuvent sortir que deux ou trois fois par an, aux grandes fêtes arabes), fort décentes dans leur attitude et pleines de déférence pour l’autorité militaire de qui elles relèvent. Elles supportent mal les fami
liarités intempestives en dehors du huis-clos. Je me souviens qu’un jour, à Lagliouat, traversant leur quartier, je vis un soldat facétieux arriver à pas de loups sur le dos d une Ouled et enlacer subitement sa taille :1emouvement de colère fie cette femme me cloua surplace d’admiration, et le soufflet qu’elle appliqua sur la joue de l’imprudent, retentit encore à mon oreille.
Les soirs de Bitta (1) elles arrivent en bataillon serré, au rendez-vous de la fête, se rangent en cercle et s’assoient sur leurs talons, ayant une petite bougie allumée devant chacune d elles. Les musisiens, installés depuis long
temps, accélèrent leur infernal tam-tam qu’accompagne le chant de la Nouba, Alors la danse recommence. Il n y a jamais qu une ou deux danseuses à la fois au milieu du cercle; les oripeaux de leur costume scintillent vaguement à la lueur tremblottante des petites bougies que la brise agite, les voiles de tulle qui les enveloppent tombent en plis chastes et gracieux, leurs mouvements lents et doux sont empreints d une volupté mélancolique, qui emporte les spec
tateurs à mille lieues des ébats folâtres de la ballerine de théâtre. Cela répond bien à la nature rêveuse et pleine de dignité de l’Arabe. On comprend que les hommes de ce pays passent des nuits entières étendus autour de ces femmes, à les regarder dans un silence profond et une sorte d’ivresse extatique.
En masse, avec le bariolage éclatant de leurs jupes et l effet original de leur lourde coiffure bardée d or, elles semblent jolies; individuellement elles sont fort laides. Bien que douces et humbles, elles sentent toujours la fille, et j ai hâte de les quitter pour passer à la vraie femme arabe dont la farouche dignité a véritablement un grand charme.
La femme des tribus, c est-à-dire celle qui vit sous la tente, au hasard des pâturages ou dans les gourbis d un k sar (2), mène une vie horriblement dure. Mahomet lui a tracé son tableau de travail dans le Coran, et ses seigneurs et maîtres ne lui permettent pas de s en écarter. En voici un court extrait :
DEVOIRS DES FEMMES
« Elles ont à traire les brebis et les chamelles, A faire le beurre,
A moudre les grains,
A seller et desseller le cheval, A lui mettre la couverture,
A le faire boire, à lui donner l orge,
A tenir l’étrier quand l homme descend ou monte, A faire le bois et l eau,
A préparer les aliments,
A traiter les chameaux, aidées par le berger.
Elles tissent les lits, les coussins, les sacs à fardeaux, les étoffes en laine teintes en rouge, en bleu, en jaune; les rideaux qui séparent les hommes des femmes.
Elles fabriquent avec de la terre glaise de la poterie, des vases à boire, des fourneaux, des plats à faire cuire le pain, la viande, le kouskous.
Pour les déménagements, elles lèvent la tente, la roulent en paquet, la chargent sur un chameau. Dans la migration, elles marchent à pied, condui
sant souvent à la main la jument que suit un poulain, toujours fagotant du bois en route et ramassant de l herbe pour le bivouac du soir.
A l’arrivée, elles dressent les tentes. »
1 Fête en plein air que donnent les Arabes à l occasion d un mariage ou d’un événement heureux.
2 Tillage arabe.
Dans les villes, elles tissent des tapis ou des vêtements, et se réunissent trois ou quatre de la même famille derrière l énorme métier qui ressemble à la grille d un cloître ; elles restent là accroupies pendant des années, sans que rien ne change dans leur existence, sans qu’elles aient l’idée d une autre distraction que leur caquetage d oiseaux. Les hommes, en dehors des maris, ne les approchent pas. L Arabe, flâneur par excellence, sort de chez lui — où il enferme ses femmes entre quatre murs, sans fenêtre — et va s étendre, au soleil ou à l ombre, suivant la saison, serré contre quelques autres collègues qui forment un cercle étroit, et ces paquets humains qu on distingue à peine du sol, tant ils sont poussiéreux, passent ainsi des journées entières à bavarder sans s’arrêter.
La malpropreté des intérieurs défie ce qu une imagination européenne peut concevoir ; nos « habillés de soie » (révérence gardée) s y trouveraient incommodés. On pénètre dans les habitations par l endroit que nous dissimulons le plus soigneusement dans les nôtres et qui, chez eux, est bien vérita
blement défensif ; il donne accès sur une petite cour carrée, longue de quel
ques pieds, qui l ait l effet d un tombeau; là grouillent un tas d’enfants nus,
pêle-mêle avec le cheval, l âne, les poules et la chèvre ; la terre battue du sol est humide de tous les immondices de cette population. A droite et à gauche de la cour, une sorte de hangar, où des débris de tapis, de burnous, de haïcks, forment le lit commun de la famille; l àtre noirci, fumant de deux maigres tisons, n a aucune prise d air extérieur, et tous les sièges du logis sont représentés par un banc de pierre, taillé dans l épaisseur du mur. Le seul ustensile de cuisine qu on découvre est une cafetière, instrument sacré chez l’Arabe. —
Danse des Ouled-Naïls.
Comment des femmes jeunes et quelquefois jolies peuvent-elles exister làdedans? C’est un problème que je n ai pas résolu. Les Arabes vivent dehors, mais ces malheureuses créatures, cloîtrées à jamais dans ces bouges infects, devraient être vouées à la mort avant leur quinzième année.
Elles ne le sont qu à une flétrissure lamentable; leur jeunesse a la durée et l’éclat d’un rayon de soleil. Délicieuses à la première heure de puberté dans leur fine et mince structure de Vénus Astarté, elles sont, dix ans plus tard, horribles vieilles femmes édentées, chassieuses, difformes, vraies sorcières de Macbeth dignes de figurer dans les drames d un Shakespeare africain. La seule chose qu elles conservent jusqu à la quarantaine, c est une démarche singulièrement gracieuse; elles ont presque toutes ce qu au siècle de Louis XIV on appelait « un port de reine «. A les voir passer rapides et légères (car les femmes du peuple, qui sont obligées de sortir de chez elles pour les courses
du ménage, ne s attardent jamais dans les rues) enveloppées des pieds à la tête dans le haïck blanc ou le haïck bleu marine, Don Juan les suivrait avec un battement de cœur, tant ces silhouettes droites et hères sont pleines d illu
sions. Mais qu une main indiscrète entrouvre les plis du haïck (ce qui m est souvent arrivé), ô horreur ! Les musées de médecine ne sont pas peuplés de spectres plus atroces; rien .n’y survit de la femme que deux prunelles noires comme de l encre qui vous fixent avec une expression gaie et curieuse.
En dépit de cette existence horriblement matérielle et de cette dégradation physique, l âme et le cœur ont plus d intensité de vie que chez nous. La passion coule à flots chez ces créatures, et les emporté souvent dans des dra
Une Ouled-Naïl.