mes terribles que recouvre le grand silence du désert. Il y a de beaux- jours pour les romanciers de l avenir dans ces pays inconnus. La maternité y fleurit, comme 1 amour, dans sa sève naturelle; les enfants absorbent les mères; ils sont c ailleuis adorables, ces bambins, avec leurs petits membres nus et potelés, et leurs, grands yeux noirs tout rayonnants de malice et de tendresse.
I est difficile de définir chez des natures aussi primitives l attraction bizaiie quelles lont éprouver quand on les étudie de près ; parler de leur charme serait dérisoire ; il est insaisissable et pourtant réel. Elles semblent un écho d harmonies lointaines, lointaines, et, tout en les contemplant dans leur decheance présente, on se dit que la femme est bien un instrument divin.
Beaucoup d entre elles, en Afrique, sont nées pythonisses. J’ai voulu me rendre compte des phénomènes nerveux ou magnétiques, susceptibles de se produire chez des créatures absolument neuves et ignorantes du parti qu’elles pourraient tirer de leurs aptitudes; j’ai été étonné du résultat. Evidemment le charlatanisme est loin d être tout dans les sciences occultes, car l on trouve
rait au Sahara des sujets bien autrement intéressants que ceux de Bernheim ou de Lux s. Lue grande et lorte tille de la tribu des Larbaas, qui n a jamais quitté son ksar d El-Assalia, s endormit sous mes yeux en respirant la fumée de deux charbons de benjoin. Ce sommeil, affreusement pénible d’abord et calmé après une crise nerveuse effroyable, mit la voyante dans un tel état de lucidité, qu elle me dit des choses passées d une exactitude parfaite et m en
annonça d’autres fort imprévues, qui se réalisèrent en France quelques mois plus tard.
J en reviens toujours a mon premier grief : ce qui éloigne invinciblement de ces femmes, c est leur malpropreté; elle émane de leur personne aussi bien que du sol. Tout sent mauvais ici, à commencer par la nature; aucune fleur qui corrige les putréfactions de l air; point d’eau courante qui emporte celles du sol; une poussière grise et tenace s attachant à tout, il est probable que les Arabes souffrent eux-mêmes de la fadeur de leur terre, car ils s’oignent des parfums les plus pénétrants : clous de girofle, beurre rance, huile de roses, benjoin, tout cela, mêlé à une crasse personnelle et à des lainages que quinze lessives hollandaises ne purifieraient pas, compose une odeur spéciale qui devient inhérente à leur race, et se reproduit chez les plus jeunes enfants.
J’avais amené un jour, près du lit de ma fillette malade, une petite Arabe fort gentille appartenant à un riche marchand de la ville; elle était couverte de bijoux; les deux enfants jouèrent ensemble sur le lit pendant une heure. Le lendemain il fallut faire désinfecter les couchages, tellement le parfum de la jeune indigène écœurait toute la maison.
Ce souvenir me remet eu mémoire un mariage arabe auquel j eus la curiosité d assister. J’avais vu, la veille, l’arrivée des cavaliers formant l escorte du marié; c’était un groupe de vingt-cinq à trente Arabes de Hère mine, caracolant sur des chevaux ardents. Le marié, tout jeune, vingt ans peut-être, un peu borgne comme le grand nombre d entre eux, fils d un Caïd du Djebel-Amour, chevau
chait en tète. On fit une fantasia devant la maison de l’accordée, et tout rentra dans le silence. Le4endemain je demandai à voir la jeune épouse. On me remit aux mains d un garçonnet de quinze ans, lequel me présenta à ces dames ; elles étaient réunies une douzaine, maîtresses et servantes, dans une sorte de chambre à four, sans fenêtre-et sans siège ; un mauvais lit de fer, acheté dans quelque vente d’européen, dépouillé de son sommier et couvert, en guise de matelas de loques sordides, servait de divan à la femme du Caïd, belle-mère future de la mariée. Les autres femmes l entouraient, accroupies ou debout, riant ou causant ; le parfum arabe flottait dans l air avec une telle intensité
que je serais tombée suffoquée si une série d éternuements ne m’avait sauvée. Nous commen
çâmes les salamalecs et les baisements de mains ; la femme du Caïd m offrit une place à cô
té d elle; je l occupai avec, résignation, car la susceptibilité arabe est ombrageuse. Mais je n ai pas besoin de dire de quel supplice je devins la proie:
quiconque s est étendu sur un tapis du Djebel le comprendra.
J’en fus distraite néanmoins par une autre inquiétude : on m of
frit du café, chose qui ne se refuse jamais, et les lois de l’hos
pitalité exigent que l’hôtesse trempe d’abord ses lèvres dans la tasse avant de la passer à son invitée. Or il y avait autour de moi des bouches atroces... Grâce au ciel, le café étant brûlant, il fallait le laisser refroi
dir; j’en profitai pour réclamer avec instance la présence de la .mariée dont on finissait la toi
lette, et qui n’arrivait pas. On
lui expédiait émissaire sur émissaire pour m être agréable, car toutes ces femmes parais
saient se soucier autant d elle que de la première bambine venue. Enfin elle parut à la porte, ensevelie dans des voiles de pleureuse, l’air lamentable,
essayant de timides sanglots. Il paraît que c’est le suprême bon ton de prendre ces poses de victime parée pour le sacrifice. Je lui fis mon com
pliment de condoléances d’autant plus sincère qu elle était affreusement laide, la pauvrette, et que je comprenais bien que la désagréable surprise de l’époux à l heure du berger dût lui causer une appréhension terrible. Quant à moi j espérais,à la faveur de mon petit discours, gagner la porte et m’esquiver sans avaler mon café : vaine tactique ! deux ou trois femmes me l’apportèrent sous le nez en accomplissant avec zèle les prescriptions du savoir-vivre arabe. Je
dus suivre leur exemple. O prophète ! si ce sont là lés houris de la vie future, je sais nombre degens qui déserteront ton paradis.
Les différentes classes sociales sont difficiles à saisir chez les femmes arabes, l ignorance et l’assujettissement les nivelant toutes à l’œil européen. La maîtresse n’en sait pas plus que la servante et souvent moins, car la vie pratique lui manque. Ce qui la distingue, c est la fainéantise des habitudes.
La femme de grande tente ne fait rien du matin au soir, et comme elle est, plus que les autres, condamnée à une claustration absolue, il devrait en résulter un ennui formidable. Néanmoins elle parait fort satisfaite de son sort, et je n ai saisi nulle trace de tentatives quelconques pour se rapprocher de notre genre de vie et se lier avec des Françaises; elles ont la curiosité denos toilettes, de nos bijoux, de nos enfants, pas du tout celle de nos mœurs.
Jeune femme arabe.
La jolie femme arabe a un charme très câlin, très enfantin, on la sent toute prête à se blottir dans des bras aimés. Elle ne vise pas, comme la femme eu
ropéenne, à se masculiniser; elle est toute entière à son rôle d’esclave soumise
et amoureuse, voulant plaire à son maître. Sa toilette est restée ce qu elle était dès l antiquité la plus reculée : un prétexte à bijoux et à riches orne
ments qui marquent son opulence ; aussi ses modes ne varient-elles pas. C’est plutôt un costume qu une toilette. J ai été reçue souvent par la femme d’un Agha qui m’honorait de ses plus grandes parures. Je l ai vue ravissante dans le sombre éclat de sa beauté de Sulamite. Une coiffe de drap d’or cachait la moitié de sa chevelure noire comme du charbon, tandis que l autre moitié, ra
battue sur son front en frange épaisse, se mêlait aux pendeloques de diamants d’un léger diadème, moins brillant que les grands yeux de gazelle qu il abritait. Sur le corsage de foulard rose retombaient les rangs d’un collier de perles; des chaînes, des agrafes de pierreries, retenaient le soyeux haïck blanc qui, des épaules, glissait jusqu’à terre en gracieuses draperies sans cacher deux petits pieds charmants, chaussés de babouches en drap d or. La femme, très jeune encore, dix-huit ans à peine, belle comme une Rébecca à la fontaine, avait surtout de saisissant cette grâce timide et chaste dans une dignité sereine que je n ai vue qu’à l’aristocratie arabe.
Dire que ce peuple est fini, quelle erreur! il vivra bien après nous, malgré les semences de désorganisation que nous jetons sur lui. Il a les ressources de la pensée profonde que ne distraient pas nos agitations sociales, et celles d’un raisonnement bien plus philosophique que le nôtre. Il pratique ce qu il croit. U ne cherche rien au-delà de ce qu’il sent. La seule cause de son état stagnant est l’assujétissement de la femme. L’homme révèle bien là son impuissance personnelle; dès qu’il ne s’associe pas, sur le pied d’égalité, à l’aide que Dieu lui a donnée, ses travaux sont frappés de stérilité. L’Arabe est guerrier, il est prêtre, il est poète, il est philosophe, H ne sera jamais un être civilisé, ni une nation, tant qu il asservira la femme. — Je ne sais pourquoi on se querelle, même en Europe, sur cette question de préséance morale. Dire
que la femme est inférieure à l’homme, c’est dire que le feu est inférieur à l eau, ou inversement; les éléments sont des forces égales dissemblables; la femme et l homme sont des puissances de même ordre qui ne se ressemblent point, mais qui sont créées pour s unir, aussi bien dans l’ordre immatériel que dans l’ordre physique. — Nous allons nous trouver, au Touat, devant cette difficulté occulte et immense : la haine que nous portent les femmes, haine neuve, vivace, ardente. A mon sens, ce sera la pierre d’achoppement de l en
treprise. La femme Touareg tient une place beaucoup plus importante à son foyer que la femme des tribus soumises. Elle est plus développée, plus ins
truite, plus écoutée. Elle le défendra, ce foyer, avec d’autant plus de succès qu il n entre pas dans le programme de l’occupation française de soumettre le Touat par les armes ; on ne poursuit qu une domination morale_et un droit de
passage. On ne les obtiendra pas, les femmes s y opposeront. Elles sont les gardiennes farouches des croyances religieuses qu’elles sentiront menacées, et de l indépendance du sol quelles veulent complète.
Eug. de Fallois.
Fille des tribus.