COMMUNICATIONS INTERASTRALES
Il à été fort question en ces derniers temps du testament d une vénérable dame de Pau, léguant cent mille francs à celui qui trouverait le moyen de communiquer avec un autre monde — avec ré
ponse bien entendu, autrement il n’y aurait rien de
sûr. — L Institut accepterait-il un pareil legs ? car c’est àTInstitut que Mme Guzman lé proposait. Oui, l’Académie des sciences l’a accepté ; grâce à une clause fort sage d’ailleurs. Mais reprenons l his
toire ab ovo. Rappelons d’abord les deux articles de ce testament astronomique.
Un prix de 100,000 francs est légué à l’Institut de France (section des siences), pour la personne de n’importe quel pays qui trouvera le moyen, d’ici dix années, de communiquer avec un astre (planète ou autre), et d’en recevoir réponse.
La testatrice désigne spécialement la planète Mars sur laquelle se portent déjà l’attention et les
investigations de tous les savants. Si l Institut de France n’accepte pas le legs, il passera à l’Institut de Milan, et, en cas de nouveau refus, à celui de New-York.
Comme, une pareille découverte n’est probablement pas tout à fait proche, sans doute, la testatrice a eu la sagesse d’autoriser l’Institut à appli
quer la rente de cette somme à récompenser les recherches qui auront pour résultat d accroître nos connaissances, sur la constitution physique des planètes.
J’ose avouer que je suis très fier d’avoir indirectement contribué à accroître de 100,000 francs le capital de l’Académie des sciences, et j’espère que quelque jour ce legs atteindra sa destination.
Pour entrer en communication avec les habitants de Mars, il faut leur photophoner : « Etes
vous là? » Et puis... il faut qu’ils y soient... et qu’ils comprennent,
Déjà, Mars communique avec la Terre, par l’attraction et par la lumière. L’espace qui existe entre les mondes ne les sépare pas; au contraire, il les réunit. Tous les astres se touchent par l attraction, et ni Vénus, ni Mars, ni Jupiter, n’approchent de la terre, même à des millions de lieues de distance, sans que notre planète ne le sente et ne se déplace par sympathie. La lumière, elle aussi, jette un pont entre la terre et. le ciel. Les astronomes ana
lysent ces deux ordres de communication. Ce que l’on pourrait souhaiter maintenant, et ce qui arri
vera probablement quelque jour, ce serait un mode plus subtil, plus humain.
L’idée n a rien d absurde en elle-même, et elle est peut-être moins hardie que celle du téléphone, du phonographe, du photophone et du cinétographe. Elle a été émise pour la première fois, à pro
pos de la lune. Un triangle tracé sur le sol lunaire, par trois lignes lumineuses de 12 à 15 kilomètres chacune, serait visible d ici, à l aide de nos téles
copes. Nous observons même des détails beaucoup plus petits, par exemple les singuliers dessins to
pographiques signalés dans le cirque lunaire de Platon. Donc un triangle, un. carré, un cercle de cette dimension, construits par nous sur une vaste plaine, à l aide de points lumineux, ou, pendant la nuit, à l aide de la lumière électrique, seraient visibles pour les astronomes de la lune, si ces as
tronomes existent, et s ils ont des instruments d’optique équivalant aux nôtres.
La suite du raisonnement est des plus simples. Si nous observions sur la lune un triangle correc
tement construit, nous en serions quelque peu in
trigués, nous croirions avoir mal vu, nous nous demanderions si le hasard des formations sélénographiques peut avoir donné naissance à une figure régulière. Sans doute .finirons-nous par admettre cette possibilité exceptionnelle. Mais si, tout d’un
coup, nous voyions le triangle se changer en carré, puis quelques mois plus tard être remplacé par un cercle, alors nous admettrions logiquement qu’un
effet intelligent prouve une cause intelligente, et nous penserions avec quelque raison que de telles
figures révèlent, à n’en pas douter, la présence de géomètres sur ce monde voisin.
De là à chercher la raison du tracé de pareils dessins à la surface du sol lunaire; delà à nous demander pourquoi er dans quel but nos frères inconnus formeraient ces ligures, il n’y a qu’un pas, bien vite franchi. Serait-ce dans l’idée d’entrer en relation avec nous? L hypothèse n’est pas dérai
sonnable. On l’émet, on la discute, on la repousse comme arbitairé, on la défend comme ingénieuse. Et pourquoi pas, après tout? Pourquoi les habitants de la lune ne seraient-ils pas aussi curieux que nous, plus intelligents peut-être, plus élevés dans
leurs aspirations, moins empêtrés quë nous dans la glu des besoins matériels? Pourquoi n’auraientils pas supposé que la terre peut être habitée aussi bien que leur monde, et pourquoi ces appels géométriques n’auraient-ils pas pour but de nous de
mander si nous existons? D’ailleurs, il n’est pas difficile d’y répondre. On nous montre un triangle; reproduisons-le ici. On nous trace un cercle; imitons-le. Et voilà une communication établie entre
le ciel et la terre pour la première fois depuis le commencement du monde.
La géométrie étant la. même pour les habitants de tous les mondes, deux et deux faisant quatre pour toutes les régions de l’Infini, et partout les trois angles d’un triangle étant égaux à deux angles
droits, les signaux ainsi échangés entre la terre et la lune n’auraient même pas l’obscurité des hiéroglyphes déchiffrés par Champollion, et la communication établie deviendrait vite régulière et féconde. D ailleurs, la lune n’est qu’a deux pas d’ici. Sa distance de 384,000 kilomètres n’équivaut qu’à trente fois le diamètre de la terre, et bien des fac
teurs ruraux ont parcouru à pied ce trajet pendant leur vie. Une dépêche télégraphique y arriverait en une seconde un quart, et la lumière ne met pas plus
de temps pour franchir cette distance. La lune est une province céleste annexée par la nature même de nos destinées.
L’aspect froid et mort de notre pâle satellite n’é­ tait pas un encouragement pour la réalisation du projet, et l’imagination pouvait plus facilement s’envoler jusqu’à la planète Mars, qui ne s’appro
che jamais, il est vrai, à moins de 14 millions de lieues d’ici, mais qui est la mieux connue de toutes les terres du ciel, et qui offre tant de ressemblance avec notre monde, que nous serions à peine dé
paysés en y transportant nos pénates. L’aspect de
Mars, en effet, nous réconforte un peu de celui de la lune. On se croirait vraiment en quelque contrée terrestre : continents, mers, îles, rivages, pres.qu îlcs, caps, golfes, eaux, nuages, pluies, inonda
tions, neiges, saisons, hivers et étés, printemps et automnes, jours et nuits, matins et soirs, tout s’y passe à peu près comme ici. Les années y sont plus longues, puisqu’elles durent 687 jours, mais l’intensité des saisons y est absolument la même que la nôtre. Les jours y sont aussi un peu plus longs, puisque la rotation diurne de ce monde est de 24 h. 37 m. 25 s. Mais, comme on le voit, la dif
férence n’est pas grande. Et remarquez que tout cola est connu avec précision; cette rotation diurne, par exemple, est déterminée à 1/10 de seconde près.
Lorsque, pendant les belles nuits étoilées, on examine ce monde au télescope, lorsqu’on voit ces neiges polaires, qui fondent en été, ces continents finements découpés, ces méditerranées aux longs golfes, cette configuration géographique élégante et variée, on ne peut s’empêcher de se demander si le soleil, qui éclaire ce monde comme le nôtre,
n éclaire rien de vivant, si ces pluies ne fécondent rien, si cette atmosphère n’est respirée par aucun être, et si ce monde de Mars, qui roule avec rapi
dité dans l espace, est semblable à un train de che
min de fer, qui marcherait à vide, sans voyageurs et sans marchandises. L’idée que la terre où nous sommes pourrait ainsi courir comme elle le fait autour du soleil, sans être habitée par quelque créature que ce soit, paraît si inconsistante qu’il est difficile de s’y arrêter; par quel miracle permanent de stérilisation, les forces de la nature, qui
agissent là comme ici, seraient-elles restées éternellement inactives et infécondes?
On conçoit donc qu’on ait pu appliquer à la planète Mars l’idée primitivement proposée pour la lune. La distance de ce monde est telle que, quoiqu’il soit bien supérieur à la lune en volume, cependant il nous paraît, à ses plus grands rappro
chements, soixante-trois fois plus petit. On voit néanmoins par là qu’un télescope grossissant seulement soixante-trois fois montre Mars de la di
mension de la lune vue à l’œil nu, et qu’un grossisse
ment de six cent trenté: fois lui donne un diamètre
dix fois plus large que celui de notre satellite vu à l œil nu, et une surface cent fois plus grande.
Seulement si l’on tentait jamais de mettre en pratique un projet quelconque de communication entre ce monde et le nôtre, les signaux devraient être éta
blis sur une échelle beaucoup plus vaste. Ce ne sont pas des triangles, des carrés, des cercles de quelques kilomètres de largeur qu’il faudrait construire, mais des figures de cent kilomètres et plus, tou
jours dans l’hypothèsè : 1° qu’il y a des habitants sur Mars; 2° que ces habitants s’occupent d’astronomie ; 3° qu’ils ont des instruments d’optique suf
fisants; 4° qu’ils observent avec attention notre
planète, laquelle est pour eux une magnifique étoile de première grandeur, l’étoile du matin et du soir, et, en fait, l’astre le plus brillant de leur ciel. Nous sommes en effet pour eux l’étoile du berger....et
leurs mythologies ont dû nous élever des autels. Cette quadruple hypothèse est-elle acceptable?
Si l’on posait la question au suffrage universel des citoyens de la terre, la réponse ne serait pas douteuse. Sans aller jusqu’à demander l’opinion des indigènes de l’Afrique centrale ou des îles d.e
l océan Pacifique, en ne nous adressant même qu’à la majorité numérique de la population européenne, il y a gros à parier qu’ils ne comprendraient même
pas, car la majorité des hommes ignorent que la terre est une planète et que les autres planètes sont des terres.
Et puis, il y a le bon sens, le gros bon sens vulgaire, qui raisonne si juste, par suite de son éducation.
« Nous sommes, dit-il, à n’en pas douter, les êtres les plus intelligents de la création 1 Pourquoi
d’autres planètes auraient-elles l insigne honneur d’être enrichies de valeurs intellectuelles, telles que les nôtres? Doit-on même admettre l’existence d’hommes semblables à nous? » Sans doute, on pourrait peut-être remarquer que les nations les
plus spirituelles de la terre ne savent guère bien se conduire, que leur intelligence s’exerce surtout à s’entre-dévorer mutuellement, à se ruiner cha
cune pour son compte, qu’elles escomptent l’avenir comme des aveugles et comme des folles, que, les voleurs ne sont pas rares, ni même les assassins. Mais, à part cela, nous sommes évidemment des êtres très supérieurs, et il n’est vraiment pas probable que, sur les myriades de mondes qui gravi
tent dans l’immensité des espaces, la nature ait pu donner naissance à des intelligences de la taille de la nôtre..... .
« Pourquoi donc essayerait-on jamais de commencer une correspondance optique avec le monde de Mars ? S’il est habité, ses habitants ne doivent pas être de notre force, et ce serait peine perdue. Lors même qu’ils verraient nos signaux, ils n’auraient pas l’idée que nous les leur adressons.
« Aussi ne commencerons-nous jamais ».
Voilà ce que nous disions hier encore. Le testament de la vénérable dame de Pau nous montre que l’idée fait son chemin dans les esprits et cesse d’être considérée comme purement imaginaire. On y rêve. C’est déjà quelque chose.
D’autant plus que vraiment Mars est tentant. Sa géographie, sa climatologie, ses embouchures de
grands fleuves, ses canaux immenses, s’offrent à nous comme autant d’invitations à ne pas trop dé
daigner ce pays voisin. Plus ancien que la terre,
plus petit, moins lourd, refroidi plus vite, il est plus avancé que nous dans sa vie astrale, et tout nous porte à croire que ses races intelligentes,