Paris, en ses quartiers anglais — ceux où les agences de voyages alternent avec les magasins de tailleurs — a ar
boré des drapeaux anglais cravates d’un crêpe de deuil. C’était sa façon de s’associer à la douleur d’une nation qui a perdu un jeune prince destiné au trône. Les héritiers des couronnes semblent être marqués décidément pour les destinées tragiques. En Autriche, en Belgique, en Angleterre, que de dénouements tristement imprévus !
Et il se mêle toujours un peu de roman dans l’histoire douloureuse de ces héritiers de trônes que la mort choisit ainsi tout à coup. Le drame où sombra le kronprinz d’Autriche n’est pas oublié et les romanciers auraient fort à faire s ils voulaient en inventer un pareil qui parût seulement vraisem
blable. Le pauvre duc de Clarence n’avait pas dans
sa v ie un drame de cette sorte, mais on a parlé de je ne sais quelle femme, une comédienne, je crois, qui, entre la perte du jeune duc et la mort, aurait choisi la mort. On se suicide par amour, même au théâtre, du moins en Angleterre.
Puis, comme pour ajouter à la cruauté d’une telle fin, c’est au lendemain de ses fiançailles que disparaît le jeune duc de Clarence. Mariage poli
tique, disait-on ; non, mariage d’affection que saluait, avec sa loyally habituelle, la vieille Angleterre. Un souffle d influenza passe, et tout est dit.
Il n en faut pas avoir peur, de cette influenza, encore mystérieuse, mais il ne faut pas en rire, comme on nous le conseillait il y a deux ans. L’influenza, peuh ! qu’est cela ? Un coryza débaptisé. Non, c’est autre chose et c’est le plus détestable des cadeaux de l hiver.
Nous aurons, en fait de cadeaux, ces jours-ci, la Cav aller ia Rusticana du jeune maestro Pierre Mascagni, que M. Carvalho nous donne - à l’Opéra- Comique. Cette Chevalerie Rustique a déjà fait son tour d’Europe. L’opéra de M. Mascagni, créé à Rome, est à peu près populaire dans toutes les ca
pitales, excepté à Paris. C’est un drame et un drame rural des plus intéressants. Mlle Galvé, qui l’a joué à Naples, vient le jouer chez nous, et la jeune cantatrice fera plaisir à revoir et à réenten
dre. Elle apporte à son rôle de Santruzza moins de réalisme que Mme Belliniconi, la créatrice du per sonnage, mais elle est dramatique et charmante.
On espérait voir M. Mascagni à Paris. C’est un jeune homme de vingt-huit ans, fils d’un boulanger de Livourne, ancien chef d’orchestre d’une troupe d’opérette ambulante, grand travailleur très inspiré et qui s’est, en quelque sorte, fait lui-même. Il vient de donner en Italie un opéra nouveau, l A- mico Fritz, et il met en musique les Rantzau. M. Mascagni aime, on le voit, Erkmann-Chatrian.
Il paraît qu’à la première représentation de l’A- mico Fritz, quelques officiers de clievau-légers ricanèrent. Pourquoi? Pour protester peut-être contre un sujet d’opéra emprunté à la littérature française. On se demande si ce n’est point par un sentiment de crainte patriotique que M. Mascagni ne vient pas assister chez nous au succès de sa pièce. Les journalistes italiens qui disent qu’il faut tordre le cou aux coqs — aux galli, aux Gau
lois — lui reprocheraient peut-être d’être devenu trop Français pendant son séjour à Paris.
l’espère que ce n’est pas pour une telle raison que l’auteur de la Chevalerie rustique reste chez lui, comme M. Choufleu.ry. Sa mère est malade, et c’est considération qui prime toutes les autres. Les bravos de l Opéra-Comique lui sembleraient cruels loin de la chambre de sa chère malade.
Mais voilà où l’on en vient avec cette politique de rancune internationale, aussi niaise que la politique intérieure!
Un musicien est trop Français parce qu’il s inspire des idylles alsaciennes de VAmico Frit: et, qu’il écrit GU Rantzau. N’avons-nous pas vu, à toutes les époques, la politique se glisser jusque dans les fleurs, comme le serpent de la grammaire latine : late l anguis...
Il n’y a pas si longtemps que l’œillet rouge était un des signes de ralliement de tout un parti.
La mode fuit, la mode bouge,
Pour la fleur comme pour l’ulster...
Nous avons banni l’œillet rouge, Mais voici venir l œillet vert!
O phénomène et mascarade!
La mode est donc, en ce moment, De pouvoir changer en salade
L’œillet que Dieu fit si charmant!
Il était rouge, ou blanc, ou strié... Le voilà vert. Je ne sais par quelles opérations chimiques on lui donne l’air vague d’une feuille de chicorée. Mais c’est la mode. L’œillet vert est une trouvaille de l’hiver, comme la tulipe noire fut une invention du père Dumas. Il n’a rien de politique du reste, l’œil
let vert : c’est une curiosité, et c’est déjà quelque chose. Les gens qui aiment les excentricités seront enchantés de l’invention de cette fleur paradoxale.
— Je n’aime les poires, disait mon ami T..., que lorsqu’elles ont un goût de pommes !
Les amateurs de l’œillet vert trouvent cet œillet nouveau tout à fait joli, parce qu’il a des nervures qui le font ressembler à un fromage en décomposi
tion. Peu importe : un œillet doit maintenant être vert pour être intéressant. L’œillet, vert a détrôné l’œillet rouge de Boulanger, ce général dont on ne parle pas plus aujourd’hui que s’il n’avait jamais — mais jamais — existé.
oh ! les disparus! On le croyait mort, ce comte de Niemverkerke qui disparaît cette semaine et dont on a célébré les funérailles en Italie, près de Lucques. M. de Niemverkerke s’était en quelque sorte réfugié là depuis des années et il se donnait, entouré d’objets d’art, de tableaux de statues, l illusion du passé.
Un passé qui fut beau, brillant. M. de Niemverkerke portait, comme Fouquet, le titre de surintendant. Il le portait bien. C’était un homme admi
rablement beau, la taille haute, les épaules larges,
une noble tête d’hospodar valaque ou de magyar hongrois, la barbe longue et la moustache en croc. Aux cérémonies officielles, il représentait majestueusement,, l’empire, un empire fastueux et solennel.
On se rappelle ses soirées du Louvre. Tous les artistes s’y donnaient rendez-vous. C’était fort beau. Le directeur actuel des musées nationaux y fait moins de fracas, mais il coûte moins cher. On criait beaucoup au temps de M. Niemverkerke parce que, pour orner ses salons officiels, il est vrai, il empruntait çà et là quelques toiles au musée du Louvre.
Mais le surintendant se montrait fort peu ému par toutes les attaques. Il se savait aimé du maître,
estimé des artistes et de carrure indispensable. On oubliait un peu trop qu’il avait été sculpteur. Le surintendant des Beaux-Arts écrasaiten lui l’artiste.
Pourtant son Tournoi a du mouvement et si l’on ne peut le comparer ni à un Paul Dubois ni à un Rude ni même à un Aimé Millet, M. de Niemverkerke,
statuaire, n’était cependant pas le premier venu. A la Haye, son Guillaume le Taciturne fait bonne fi
gure et le Descartes dont il a pétri la statue pour la ville de Tours n’est pas désagréable. Il peut... donc il est.
C’est un personnage qui disparaît avec M. de Niemverkerke. Il laissera un nom. Un nom et une
légende. L’homme était remarquable, le bel homme fut remarqué. Il n’est pas mauvais que le roman se mêle à l’histoire des individualités qui sortent de la foule. C’est peut-être par leur roman plus encore que par leur histoire que les hommes finalement restent connus.
Ci-gît encore un des héros de cette cour de Napoléon III, dont M. Pierre de Lano a raconté la chronique. Tous les jours la mort biffe un nom cé
lèbre sur les feuillets du livre d’hier. Et telle mort qui eût été un événement il y a des années n’est plus qu’un simple fait-divers dans les colonnes des journaux.
— Du nouveau! Des nouveaux! s’écrie le public. Et tant pis pour les vieux et pour les oubliés !
Du nouveau? Il faut reconnaître pourtant aussi qu’il ne se passé rien de très nouveau autour de nous. Le monde doit être bien heureux, car il n’a pas d’histoire. Un calme plat règne à peu près par
tout, en dépit des petits nuages qui se forment làbas, du côté du Maroc. A vrai dire, on se laisse vivre en attendant le 1 ’ mai, qui nous rapportera les fleurs et les grèves. Ce nihilisme des événe
ments est si complet que les revues de fin d’année n’ont pas eu, cette fois, de grosse actualité à se mettre sous la dent. Elles rabâchent à peu près toutes les mêmes thèmes rebattus : les voyages de Sarah Bernhardt et les départs de M. Coquelin.
Les Variétés des Variétés sont pourtant divertissantes. Cette grosse Mathilde, en robe, blanche,
avec son bouquet tricolore qui lui sert depuis vingt ans à saluer le gouvernement — présidents et mi
nistres, l’un après l’autre — et cet étonnant Baron qui vient, tous les ans, de sa même voix de chau
dron, chanter à la même heure le même couplet contre le même ministère... je me trompe, contre le ministère de l’heure présente... sont des auteurs essentiellement parisiens et qui m’amusent fort, soit qu’ils raillent les sergents de ville qui n’arrêtent personne, soit qu’ils chansonnent le funiculaire qui ne marche pas.
Essentiellement Parisiens! Voilà un terme qui devient même caduc. Je lisais l’autre jour dans une chronique que certain poète à la mode avait l’esprit essentiellement montmartrois! Notez ce point. Être Parisien ne suffit plus, il faut être Montmartrois,
Le Chat-Noir a projeté sa renommée sur Paris tout entier. Un pur Parisien qui n’est pas un peu Montmartrois risque à présent de passer pour provin
cial. Xanrof est Montmartrois, Yvette Guilbert est Montmartroise. Aristide Bruant, autre Montmar
trois, a fait son apparition dans le Monde où l’on s’ennuie, et le salon’ de M,no Aubernon a compris
qu’il devait être Montmartrois pour conserver son prestige. On y a donc vu Bruant, ce même Bruant, chantre des gueux et des dolents, qu’on voit aussi
dans le nouveau drame de l’Ambigu, le Boucher de Montmartre. Toujours Montmartre!
Quand on pense que les refrains du cabaret du Mirliton se font entendre sur cette scène où l’on couronna Dumas fils, où Mme Aubernon, en per
sonne, joua la Comtesse d’Escarbagnas! Que dirait Caro et que ferait-il, le philosophe, de sa philosophie devant un tel spectacle?
Bruant chez Mme Aubernon! Voilà qui est essentiellement montmartrois ! Ainsi, le temple des Muses appartient aussi au café-concert! Tout se perd — ou tout se naturalise — comme on voudra.
On parlait, l’autre soir, d un professeur qui fait un cours où se presse le sexe faible, les coquettes et les caillettes, et qui, sous ses phrases fleuries, est assez montmartrois, lui aussi.
— Ma chère, disait Mme Ariégo, c’est un Caro nouveau! C’est Caro redivivus !
— Oui, répondit Mme Bl...é — mais c’est un Caro des Halles!
Rastignac.
NOTES ET IMPRESSIONS
A force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien.
H. de Balzac.
Il y a plus d’honnêtes femmes qu’on ne croit, et moins qu’on ne dit.
Al. Dumas fils.
Les femmes ont toutes à un plus haut degré que nous la vertu maîtresse du mariage qui est l’esprit de sacrifice.
Octave Feuillet.
Que ce soit pour une danseuse ou que ce soif; pour une marquise, l’amour fait toujours de l’homme le même imbécile.
Ludovic Halévy.
Une jolie, femme exige qu’on l’aime, une femme laide se donne la peine de se faire aimer.
Louis Véron.
Les honneurs mal placés ne font pas plus d’honneur à ceux qui les accordent qu’à ceux qui les obtiennent.
Eugène Fallex.
*
Ceux qui n’ont rien à se reprocher ont la conscience bien malade.
Marie Valyère.
Sévérité bien ordonnée commence par soi-même.
A. Vessiot.
Le médecin est porté à se trouver toutes les maladies qu il étudie chez les autres, et, le moraliste à voir dans les autres les mauvais penchants qu’il découvre en lui.
*
Chaque siècle, chaque génération a ses ridicules particuliers, les vices sont les mêmes clans tous les pays.
G.-M. Valtour.
COURRIER DE PARIS
boré des drapeaux anglais cravates d’un crêpe de deuil. C’était sa façon de s’associer à la douleur d’une nation qui a perdu un jeune prince destiné au trône. Les héritiers des couronnes semblent être marqués décidément pour les destinées tragiques. En Autriche, en Belgique, en Angleterre, que de dénouements tristement imprévus !
Et il se mêle toujours un peu de roman dans l’histoire douloureuse de ces héritiers de trônes que la mort choisit ainsi tout à coup. Le drame où sombra le kronprinz d’Autriche n’est pas oublié et les romanciers auraient fort à faire s ils voulaient en inventer un pareil qui parût seulement vraisem
blable. Le pauvre duc de Clarence n’avait pas dans
sa v ie un drame de cette sorte, mais on a parlé de je ne sais quelle femme, une comédienne, je crois, qui, entre la perte du jeune duc et la mort, aurait choisi la mort. On se suicide par amour, même au théâtre, du moins en Angleterre.
Puis, comme pour ajouter à la cruauté d’une telle fin, c’est au lendemain de ses fiançailles que disparaît le jeune duc de Clarence. Mariage poli
tique, disait-on ; non, mariage d’affection que saluait, avec sa loyally habituelle, la vieille Angleterre. Un souffle d influenza passe, et tout est dit.
Il n en faut pas avoir peur, de cette influenza, encore mystérieuse, mais il ne faut pas en rire, comme on nous le conseillait il y a deux ans. L’influenza, peuh ! qu’est cela ? Un coryza débaptisé. Non, c’est autre chose et c’est le plus détestable des cadeaux de l hiver.
Nous aurons, en fait de cadeaux, ces jours-ci, la Cav aller ia Rusticana du jeune maestro Pierre Mascagni, que M. Carvalho nous donne - à l’Opéra- Comique. Cette Chevalerie Rustique a déjà fait son tour d’Europe. L’opéra de M. Mascagni, créé à Rome, est à peu près populaire dans toutes les ca
pitales, excepté à Paris. C’est un drame et un drame rural des plus intéressants. Mlle Galvé, qui l’a joué à Naples, vient le jouer chez nous, et la jeune cantatrice fera plaisir à revoir et à réenten
dre. Elle apporte à son rôle de Santruzza moins de réalisme que Mme Belliniconi, la créatrice du per sonnage, mais elle est dramatique et charmante.
On espérait voir M. Mascagni à Paris. C’est un jeune homme de vingt-huit ans, fils d’un boulanger de Livourne, ancien chef d’orchestre d’une troupe d’opérette ambulante, grand travailleur très inspiré et qui s’est, en quelque sorte, fait lui-même. Il vient de donner en Italie un opéra nouveau, l A- mico Fritz, et il met en musique les Rantzau. M. Mascagni aime, on le voit, Erkmann-Chatrian.
Il paraît qu’à la première représentation de l’A- mico Fritz, quelques officiers de clievau-légers ricanèrent. Pourquoi? Pour protester peut-être contre un sujet d’opéra emprunté à la littérature française. On se demande si ce n’est point par un sentiment de crainte patriotique que M. Mascagni ne vient pas assister chez nous au succès de sa pièce. Les journalistes italiens qui disent qu’il faut tordre le cou aux coqs — aux galli, aux Gau
lois — lui reprocheraient peut-être d’être devenu trop Français pendant son séjour à Paris.
l’espère que ce n’est pas pour une telle raison que l’auteur de la Chevalerie rustique reste chez lui, comme M. Choufleu.ry. Sa mère est malade, et c’est considération qui prime toutes les autres. Les bravos de l Opéra-Comique lui sembleraient cruels loin de la chambre de sa chère malade.
Mais voilà où l’on en vient avec cette politique de rancune internationale, aussi niaise que la politique intérieure!
Un musicien est trop Français parce qu’il s inspire des idylles alsaciennes de VAmico Frit: et, qu’il écrit GU Rantzau. N’avons-nous pas vu, à toutes les époques, la politique se glisser jusque dans les fleurs, comme le serpent de la grammaire latine : late l anguis...
Il n’y a pas si longtemps que l’œillet rouge était un des signes de ralliement de tout un parti.
La mode fuit, la mode bouge,
Pour la fleur comme pour l’ulster...
Nous avons banni l’œillet rouge, Mais voici venir l œillet vert!
O phénomène et mascarade!
La mode est donc, en ce moment, De pouvoir changer en salade
L’œillet que Dieu fit si charmant!
Il était rouge, ou blanc, ou strié... Le voilà vert. Je ne sais par quelles opérations chimiques on lui donne l’air vague d’une feuille de chicorée. Mais c’est la mode. L’œillet vert est une trouvaille de l’hiver, comme la tulipe noire fut une invention du père Dumas. Il n’a rien de politique du reste, l’œil
let vert : c’est une curiosité, et c’est déjà quelque chose. Les gens qui aiment les excentricités seront enchantés de l’invention de cette fleur paradoxale.
— Je n’aime les poires, disait mon ami T..., que lorsqu’elles ont un goût de pommes !
Les amateurs de l’œillet vert trouvent cet œillet nouveau tout à fait joli, parce qu’il a des nervures qui le font ressembler à un fromage en décomposi
tion. Peu importe : un œillet doit maintenant être vert pour être intéressant. L’œillet, vert a détrôné l’œillet rouge de Boulanger, ce général dont on ne parle pas plus aujourd’hui que s’il n’avait jamais — mais jamais — existé.
oh ! les disparus! On le croyait mort, ce comte de Niemverkerke qui disparaît cette semaine et dont on a célébré les funérailles en Italie, près de Lucques. M. de Niemverkerke s’était en quelque sorte réfugié là depuis des années et il se donnait, entouré d’objets d’art, de tableaux de statues, l illusion du passé.
Un passé qui fut beau, brillant. M. de Niemverkerke portait, comme Fouquet, le titre de surintendant. Il le portait bien. C’était un homme admi
rablement beau, la taille haute, les épaules larges,
une noble tête d’hospodar valaque ou de magyar hongrois, la barbe longue et la moustache en croc. Aux cérémonies officielles, il représentait majestueusement,, l’empire, un empire fastueux et solennel.
On se rappelle ses soirées du Louvre. Tous les artistes s’y donnaient rendez-vous. C’était fort beau. Le directeur actuel des musées nationaux y fait moins de fracas, mais il coûte moins cher. On criait beaucoup au temps de M. Niemverkerke parce que, pour orner ses salons officiels, il est vrai, il empruntait çà et là quelques toiles au musée du Louvre.
Mais le surintendant se montrait fort peu ému par toutes les attaques. Il se savait aimé du maître,
estimé des artistes et de carrure indispensable. On oubliait un peu trop qu’il avait été sculpteur. Le surintendant des Beaux-Arts écrasaiten lui l’artiste.
Pourtant son Tournoi a du mouvement et si l’on ne peut le comparer ni à un Paul Dubois ni à un Rude ni même à un Aimé Millet, M. de Niemverkerke,
statuaire, n’était cependant pas le premier venu. A la Haye, son Guillaume le Taciturne fait bonne fi
gure et le Descartes dont il a pétri la statue pour la ville de Tours n’est pas désagréable. Il peut... donc il est.
C’est un personnage qui disparaît avec M. de Niemverkerke. Il laissera un nom. Un nom et une
légende. L’homme était remarquable, le bel homme fut remarqué. Il n’est pas mauvais que le roman se mêle à l’histoire des individualités qui sortent de la foule. C’est peut-être par leur roman plus encore que par leur histoire que les hommes finalement restent connus.
Ci-gît encore un des héros de cette cour de Napoléon III, dont M. Pierre de Lano a raconté la chronique. Tous les jours la mort biffe un nom cé
lèbre sur les feuillets du livre d’hier. Et telle mort qui eût été un événement il y a des années n’est plus qu’un simple fait-divers dans les colonnes des journaux.
— Du nouveau! Des nouveaux! s’écrie le public. Et tant pis pour les vieux et pour les oubliés !
Du nouveau? Il faut reconnaître pourtant aussi qu’il ne se passé rien de très nouveau autour de nous. Le monde doit être bien heureux, car il n’a pas d’histoire. Un calme plat règne à peu près par
tout, en dépit des petits nuages qui se forment làbas, du côté du Maroc. A vrai dire, on se laisse vivre en attendant le 1 ’ mai, qui nous rapportera les fleurs et les grèves. Ce nihilisme des événe
ments est si complet que les revues de fin d’année n’ont pas eu, cette fois, de grosse actualité à se mettre sous la dent. Elles rabâchent à peu près toutes les mêmes thèmes rebattus : les voyages de Sarah Bernhardt et les départs de M. Coquelin.
Les Variétés des Variétés sont pourtant divertissantes. Cette grosse Mathilde, en robe, blanche,
avec son bouquet tricolore qui lui sert depuis vingt ans à saluer le gouvernement — présidents et mi
nistres, l’un après l’autre — et cet étonnant Baron qui vient, tous les ans, de sa même voix de chau
dron, chanter à la même heure le même couplet contre le même ministère... je me trompe, contre le ministère de l’heure présente... sont des auteurs essentiellement parisiens et qui m’amusent fort, soit qu’ils raillent les sergents de ville qui n’arrêtent personne, soit qu’ils chansonnent le funiculaire qui ne marche pas.
Essentiellement Parisiens! Voilà un terme qui devient même caduc. Je lisais l’autre jour dans une chronique que certain poète à la mode avait l’esprit essentiellement montmartrois! Notez ce point. Être Parisien ne suffit plus, il faut être Montmartrois,
Le Chat-Noir a projeté sa renommée sur Paris tout entier. Un pur Parisien qui n’est pas un peu Montmartrois risque à présent de passer pour provin
cial. Xanrof est Montmartrois, Yvette Guilbert est Montmartroise. Aristide Bruant, autre Montmar
trois, a fait son apparition dans le Monde où l’on s’ennuie, et le salon’ de M,no Aubernon a compris
qu’il devait être Montmartrois pour conserver son prestige. On y a donc vu Bruant, ce même Bruant, chantre des gueux et des dolents, qu’on voit aussi
dans le nouveau drame de l’Ambigu, le Boucher de Montmartre. Toujours Montmartre!
Quand on pense que les refrains du cabaret du Mirliton se font entendre sur cette scène où l’on couronna Dumas fils, où Mme Aubernon, en per
sonne, joua la Comtesse d’Escarbagnas! Que dirait Caro et que ferait-il, le philosophe, de sa philosophie devant un tel spectacle?
Bruant chez Mme Aubernon! Voilà qui est essentiellement montmartrois ! Ainsi, le temple des Muses appartient aussi au café-concert! Tout se perd — ou tout se naturalise — comme on voudra.
On parlait, l’autre soir, d un professeur qui fait un cours où se presse le sexe faible, les coquettes et les caillettes, et qui, sous ses phrases fleuries, est assez montmartrois, lui aussi.
— Ma chère, disait Mme Ariégo, c’est un Caro nouveau! C’est Caro redivivus !
— Oui, répondit Mme Bl...é — mais c’est un Caro des Halles!
Rastignac.
NOTES ET IMPRESSIONS
A force de s’intéresser à tout, le Parisien finit par ne s’intéresser à rien.
H. de Balzac.
Il y a plus d’honnêtes femmes qu’on ne croit, et moins qu’on ne dit.
Al. Dumas fils.
Les femmes ont toutes à un plus haut degré que nous la vertu maîtresse du mariage qui est l’esprit de sacrifice.
Octave Feuillet.
Que ce soit pour une danseuse ou que ce soif; pour une marquise, l’amour fait toujours de l’homme le même imbécile.
Ludovic Halévy.
Une jolie, femme exige qu’on l’aime, une femme laide se donne la peine de se faire aimer.
Louis Véron.
Les honneurs mal placés ne font pas plus d’honneur à ceux qui les accordent qu’à ceux qui les obtiennent.
Eugène Fallex.
*
Ceux qui n’ont rien à se reprocher ont la conscience bien malade.
Marie Valyère.
Sévérité bien ordonnée commence par soi-même.
A. Vessiot.
Le médecin est porté à se trouver toutes les maladies qu il étudie chez les autres, et, le moraliste à voir dans les autres les mauvais penchants qu’il découvre en lui.
*
Chaque siècle, chaque génération a ses ridicules particuliers, les vices sont les mêmes clans tous les pays.
G.-M. Valtour.
COURRIER DE PARIS