L HOTEL de Ville a donné son premier bal officiel et le Figaro a recommencé ses five o clock. On a vu dans le premier le président de la République ac
clamé et dans le second on a entendu une petite revue de salon qui a beaucoup plu :
Paris chez soi, sans compter les chansons de M. Jacques Ferny.
Un nouveau venu, M. Ferny. Un chansonnier politique. Un critique sans méchanceté, mais très drôle. Il a déjà écrit le Coup de Constans dont le sous-titre est un five à claque au Ministère et la Visite présidentielle qui est d’une drôlerie tout à fait spirituelle et sans méchanceté.
Les intéressés pourraient écouter les chansons de M. Jacques Ferny sans en être blessés et je suis
même certain que M. Constans s’en divertirait beaucoup. Quant à M. Carnot, il sourirait avec in
dulgence au tableau narquois de ses tribulations présidentielles :
Puis il sourit, salue et sort
Pour se rendre à la préfecture ; Là, dit aux juges du ressort :
« Ah! c’est vous, la magistrature! » Puis à l’évêque, délicat’ment :
« Ah ! c’est vous l’chef du diocèse ! » Puis au maire très spirituellement :
« Ah ! c’est vous l’maire! J’en suis bien aise ! »
Et ces couplets, ce chansonnier de l’Ecole du Chat Noir les chante avec un flegme tout particulier, l’œil fixe, et disant les choses les plus comi
ques avec un visage impassible de huguenot à barbe rousse allant au supplice en chantant un psaume. Dès à présent Xanrof et Victor Meusy ont dans Jacques Ferny un rival dont il faut tenir compte.
La semaine d’ailleurs appartient aux poètes. M. Jean Richepin a donné à la Comédie-Française un drame en vers en cinq actes et plusieurs ta
bleaux, et c’est un événement assez grand pour que l’auteur d’une œuvre de cette envergure ait été l’homme du jour, l’homme de ces instantanés qui emplissent les journaux depuis quelque temps. On nous a dit le Richepin de la légende, touranien et coureur d’aventures, et le Richepin de la réalité,
père de famille et travailleur. Les uns ont assuré qu’aux répétitions de sa pièce, Richepin faisait assaut de biceps avec Paul Mounet son interprète ; les autres ont montré l’auteur de Par le glaive vivant loin de tout Paris, entre sa femme, son papier, ses armes et ses livres. Ses cheveux, qui ressemblent à ceux du Sâr Péladan, ont défrayé la chroni
que autant que ses vers qui ne ressemblent à ceux de personne.
Le maître poète a fait entendre au public une langue admirable, et c’est une musique à laquelle on n’est pas accoutumé. La, Famitle Pont-Biquet, c’est très amusant, c’est tout à fait drôle même et Dupuis m’y a profondément diverti, mais on ne saurait toujours voir La Famille Pont-Biquet, et le
coup de clairon de Jean Richepin a fait plaisir à plus d’une oreille.
Mais les Italiens, qui en veulent tant à la France parce qu’elle ne s’est pas enthousiasmée pour la Cavalleria Rusticana, ne vont-ils pas reconnaître que les poètes français savent célébrer les héroïsmes de l’Italie? Car enfin, c’est un drame à la gloire des citoyens de Ravenne que le drame de Richepin, et les Italiens de la triple alliance ne pourront pas nous accuser de les chasser de nos théâtres.
Eux, là-bas, en Italie, attendent, paraît-il, la tournée de Coquelin pour protester contre la littérature française. On crierait : A bas la France! pendant que Labussière crierait : A bas Robespierre! Mais
il ne faut pas croire à tous ces bruits. N’avait-on pas dit qu’on organisait à Madrid une cabale for
midable contre ce même Thermidor agieles, Italiens guettent au passage? Eh bien, on a joué Thermidor en Espagne et les Madrilènes ont applaudi.
Et pourtant ils ne sont pas très afrancados pour le moment, les Madrilènes. La guerre contre les vins d’Espagne nous vaut là-bas des colères, et par delà les monts on nous fait grise mine. Une grande dame espagnole, la- duchesse, de Sestos, qui n’est autre que la veuve du duc deMorny, donnait l’autre semaine un grand bal et les invitations portaient :
« Les invités sont priés de venir en toilelles fabriquées toutes avec des produits espagnols. »
Et les modes de Paris? Tant pis pour les modes de Paris ! M. Méline, le Cromwell des douanes, le Protecteur Méline l’a voulu. C’est la guerre, et plus d’une grande dame de plus d’un pays va imiter la duchesse de Sestos. Aux cris des protectionnistes acharnés: En Espagne les vins d’Espagne ! ont répondu ceux-ci : Hors d Espagne les robes, les chapeaux et les produits parisiens !
Cependant, les produits de l’esprit étranger continuent à envahir notre curiosité littéraire. J’ai dit qu’on préparait chez Mme Aubernon la représenta
tion de la Maison de Poupée d’Ibsen. C’est M. du Tillet — l’humouriste qui signe T. à la Vie Pari
sienne — qui met la pièce en scène. Pourquoi MUe Réjane n a-t-elle pas joué le principal rôle de cette pièce, une déséquilibrée, une hystérique, une de ces femmes névrosées comme elle sait les typer avec un art infini? Il y a là une mort tout à fait dramatique. L’héroïne rend le dernier soupir tandis qu’au-dessus d’elle, à l’étage supérieur, on entend le bruit d’un bal, les talons des valseurs, le brouhaha d’une fête. C’est très saisissant.
Et voilà maintenant qu’on nous parle d une nouvelle pièce d’Ibsen, la Dame de la. Mer, et qu’on va nous la donner sur quelque théâtre. Il y a de quoi faire bondir M. Sarcey, anii-ibseniste. Encore une hystérique, encore une déséquilibrée, encore une névrosée, cette Dame de la Mer, et une hysté
rique du Nord, avec les yeux pâlis, le regard clair et poétiquement troublant d une Nilsson. Mais je voudrais pourtant bien qu’à la fin on nous présentât quelque bonne et ferme Française, avec les qua
lités et les défauts de notre race, mais quelque héroïne enfin qui pût nous plaire en nous parlant notre langue et en portant un nom de notre pays, Durand, Dubois, Leblanc, Lenoir, qu’importe!
Oui, on attend en littérature la venue de Mme Durand. Les Tolstoï et les Ibsen ont trop abusé des noms qui fourmillent de consonnes. Qu’on nous peigne nos sœurs, nos voisines, nos mères, nos amies. Assez d’Eisa, d’Edwidja, de Véra! On de
mande Mme Dubois, Mm“ Marchand, Mme Jourdain! On demande des Françaises!
C’est le moment qu’a choisi le journal le Gaulois pour poser à des romanciers la question que voici :
« Les peuples qui produisent surtout des romans sont-ils des peuples inférieurs?» Je ne cite peut-être pas exactement la question, mais c’en est du moins le sens. Là-dessus, les romanciers ont jeté feu et flammes. Ils ont raison. Le roman est chose infé
rieure quand il est inférieur de style et de pensée,
mais il égale le traité de politique et le livre de science, quand il est manié par un maître. Gœthe était un vaste esprit et il écrivait des romans.
Walter Scott a plus fait pour l’Ecosse que mille et un savants écossais. Otez du monde le roman et remplacez-le par l’érudition, comme le voudrait M. Ledrain, auteur de tout ce tapage, et vous aurez un univers rempli de pédants et d’ennui.
« Je n’ai ni tempérament ni roman », disait une grande dame du dix-huitième siècle. Je ne demande pas que le tempérament prédomine — comme dans
les drames d’Ibsen — mais je crois qu une femme qui n’a pas un grain de roman dans la tête n’est pas tout à fait une femme. Qu en pensez-vous, mes chères lectrices? Ce grain peut être caché, furtif, ignoré, mais il est bon qu’il existe. Le roman, c’est la fleur en herbier.
L’affaire mystérieuse de la rue Rambuteau fait partie d’une catégorie de romans qui a ses fanatiques : le roman judiciaire.
suit, et sans doute, lorsque ces lignes paraîtront, le point d interrogation n’aura plus raison d’être.
Pour le moment, M. Goron se demande qui a fait le coup et le Petit Journal confirme cette opinion monumentale : « Nous persistons à croire que Mme Fourcaud a été assassinée par erreur. »
C’est le fameux drame en un acte qu’écrivait un jour Paul Verlaine, alors fumiste. Un monsieur et une dame causent, dans une chambre d’hôtel, quand le rideau se lève. Tout à coup en entend des pas.
— Mon mari ! s’écrie la femme.
Un monsieur entre, son revolver à la main. Il tire: Pan! L’homme tombe: Second-coup. La femme
expire. Le monsieur se penche alors sur les cadavres et pousse un grand cri :
— Ah! mon Dieu! ce n est pas lui! Ce n’est pas elle! Je me suis trompé d’étage! Et la toile tombe.
Assassiné par erreur, c’est une destinée d’une ironie macabre. Nous saurons le fin mot de l’affaire
lorsque le meurtrier comparaîtra devant le juge d’instruction.
Les députés, gardiens de la loi et faiseurs de lois, comparaissent peu devant les magistrats. Us sont hors la loi, comme M. Laur, qui doit se contenter d’être gifflé dans les circonstances solennelles que l’on connaît, ou au-dessus de la loi, comme ce représentant du peuple qui traite un peu bien fami
lièrement les conducteurs de tramways. C’est une situation tour à tour peu enviable et fort agréable.
M. Alfred Arago, qui vient de mourir, contait de bien drôles d histoires sur les députés du temps de Louis-Philippe. Il imitait M. Dubois (de la Loire- Inférieure ) ou le maréchal Soult à la tribune. Cela, de façon à prouver que le parlementarisme a toujours fort peu varié.
— J’oppose, disait le maréchal Soult, le démenti le plus formel aux allégations mensongères d une presse inqualifiable, qui ose prétendre que nous avons fait distribuer des rations supplémentaires aux troupes envoyées devant Lyon pour combattre l’insurrection, et je ne m’abaisserai même pas jus
qu’à relever les calomnies de certaines feuilles,
dont je ne ferai pas entendre le nom du haut de cette tribune... Cependant je dois reconnaître qu’en effet, à cause du froid et pour des raisons sanitaires, oui, nous avons fait distribuer quelques ra
tions supplémentaires aux troupes envoyées devant Lyon...
Il fallait entendre Alfred Arago imiter le langage, l’accent méridional du vieux maréchal ! Arago était le fils du grand astronome, le neveu de M. Etienne
Arago qui, malade et âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, lui survit cependant. Il était frère de Jacques Arago, l’aveugle, qui a écrit un si joli, si amusant Voyage autour duMonde, et de M. Emmanuel Arago, ambassadeur à Berne.
Homme d’esprit, et de beaucoup d esprit, Alfred Arago avait la manie du calembour. C’est lui qui fit faire une demi-lieue à Emile Augier et à Phi
lippe Rousseau, le peintre, pour les amener à un endroit des bords de la Seine où le fleuve se re
courbe en replis tortueux comme le dragon racinien qui avale Hippolyte, et, après cette longue marche, Alfred Arago de dire noblement:
— Regardez bien. Qu’est-ce qu’elle fait, cette eau-là ?
— Eh bien, elle coule ! dit Augier. — Mais comment coule-t-elle ?
— En suivant son cours, dit Rousseau.
Mais Alfred Arago, montrant les circuits du fleuve :
— Mes fils, cl eau fait l S!
Et de rire. Il était enchanté. Mais les autres, harassés, étaient furieux. Méph.istophélès ! Le trait ne valait pas une étape forcée.
Alfred Arago, la bonté même, heureux dans son logis, parmi ses tableaux et ses souvenirs, avait des opinions ou des affections bonapartistes dans un milieu républicain. On a raconté qu’après le 4 septembre, étant inspecteur des Beaux-Arts, il écrivit à son frère Emmanuel cette lettre : « Monsieur le ministre, je te donne ma démission! »
Je ne sais si le trait est vrai, mais il est possible et il serait fort joli.
Mais la grande nouveauté, la grande nouvelle parisienne, c’est la création future — et probable — d’un Club féminin, d’un Jockey où seules seraient admises les femmes. Pas de sexe laid. Ce genre de club existe, ou je me trompe fort, à Londres. Il y a là un mixte qui s’appelle la Poule et le Coq et un club strictement féminin qui se nomme la Poule familièrement.
Paris veut donc et va donc prochainement avoir sa Poule, son club de femmes où jamais le sexe laid ne pourra paraître. Au reste, les salons pari
siens après le dîner sont presque tous des cercles féminins, puisque les hommes vont au fumoir et désertent le causoir ou n’y rentrent qu’avec un double parfum de kummel et de nicotine. Je cher
cherai, si vous le voulez bien, l’influence queleClub féminin pourra avoir sur les mœurs.
Hélas! les hommes et les femmes sont déjà assez séparés! le Club féminin, c’est une aggravation du divorce.
Rastignac.
COURRIER DE PARIS
clamé et dans le second on a entendu une petite revue de salon qui a beaucoup plu :
Paris chez soi, sans compter les chansons de M. Jacques Ferny.
Un nouveau venu, M. Ferny. Un chansonnier politique. Un critique sans méchanceté, mais très drôle. Il a déjà écrit le Coup de Constans dont le sous-titre est un five à claque au Ministère et la Visite présidentielle qui est d’une drôlerie tout à fait spirituelle et sans méchanceté.
Les intéressés pourraient écouter les chansons de M. Jacques Ferny sans en être blessés et je suis
même certain que M. Constans s’en divertirait beaucoup. Quant à M. Carnot, il sourirait avec in
dulgence au tableau narquois de ses tribulations présidentielles :
Puis il sourit, salue et sort
Pour se rendre à la préfecture ; Là, dit aux juges du ressort :
« Ah! c’est vous, la magistrature! » Puis à l’évêque, délicat’ment :
« Ah ! c’est vous l’chef du diocèse ! » Puis au maire très spirituellement :
« Ah ! c’est vous l’maire! J’en suis bien aise ! »
Et ces couplets, ce chansonnier de l’Ecole du Chat Noir les chante avec un flegme tout particulier, l’œil fixe, et disant les choses les plus comi
ques avec un visage impassible de huguenot à barbe rousse allant au supplice en chantant un psaume. Dès à présent Xanrof et Victor Meusy ont dans Jacques Ferny un rival dont il faut tenir compte.
La semaine d’ailleurs appartient aux poètes. M. Jean Richepin a donné à la Comédie-Française un drame en vers en cinq actes et plusieurs ta
bleaux, et c’est un événement assez grand pour que l’auteur d’une œuvre de cette envergure ait été l’homme du jour, l’homme de ces instantanés qui emplissent les journaux depuis quelque temps. On nous a dit le Richepin de la légende, touranien et coureur d’aventures, et le Richepin de la réalité,
père de famille et travailleur. Les uns ont assuré qu’aux répétitions de sa pièce, Richepin faisait assaut de biceps avec Paul Mounet son interprète ; les autres ont montré l’auteur de Par le glaive vivant loin de tout Paris, entre sa femme, son papier, ses armes et ses livres. Ses cheveux, qui ressemblent à ceux du Sâr Péladan, ont défrayé la chroni
que autant que ses vers qui ne ressemblent à ceux de personne.
Le maître poète a fait entendre au public une langue admirable, et c’est une musique à laquelle on n’est pas accoutumé. La, Famitle Pont-Biquet, c’est très amusant, c’est tout à fait drôle même et Dupuis m’y a profondément diverti, mais on ne saurait toujours voir La Famille Pont-Biquet, et le
coup de clairon de Jean Richepin a fait plaisir à plus d’une oreille.
Mais les Italiens, qui en veulent tant à la France parce qu’elle ne s’est pas enthousiasmée pour la Cavalleria Rusticana, ne vont-ils pas reconnaître que les poètes français savent célébrer les héroïsmes de l’Italie? Car enfin, c’est un drame à la gloire des citoyens de Ravenne que le drame de Richepin, et les Italiens de la triple alliance ne pourront pas nous accuser de les chasser de nos théâtres.
Eux, là-bas, en Italie, attendent, paraît-il, la tournée de Coquelin pour protester contre la littérature française. On crierait : A bas la France! pendant que Labussière crierait : A bas Robespierre! Mais
il ne faut pas croire à tous ces bruits. N’avait-on pas dit qu’on organisait à Madrid une cabale for
midable contre ce même Thermidor agieles, Italiens guettent au passage? Eh bien, on a joué Thermidor en Espagne et les Madrilènes ont applaudi.
Et pourtant ils ne sont pas très afrancados pour le moment, les Madrilènes. La guerre contre les vins d’Espagne nous vaut là-bas des colères, et par delà les monts on nous fait grise mine. Une grande dame espagnole, la- duchesse, de Sestos, qui n’est autre que la veuve du duc deMorny, donnait l’autre semaine un grand bal et les invitations portaient :
« Les invités sont priés de venir en toilelles fabriquées toutes avec des produits espagnols. »
Et les modes de Paris? Tant pis pour les modes de Paris ! M. Méline, le Cromwell des douanes, le Protecteur Méline l’a voulu. C’est la guerre, et plus d’une grande dame de plus d’un pays va imiter la duchesse de Sestos. Aux cris des protectionnistes acharnés: En Espagne les vins d’Espagne ! ont répondu ceux-ci : Hors d Espagne les robes, les chapeaux et les produits parisiens !
Cependant, les produits de l’esprit étranger continuent à envahir notre curiosité littéraire. J’ai dit qu’on préparait chez Mme Aubernon la représenta
tion de la Maison de Poupée d’Ibsen. C’est M. du Tillet — l’humouriste qui signe T. à la Vie Pari
sienne — qui met la pièce en scène. Pourquoi MUe Réjane n a-t-elle pas joué le principal rôle de cette pièce, une déséquilibrée, une hystérique, une de ces femmes névrosées comme elle sait les typer avec un art infini? Il y a là une mort tout à fait dramatique. L’héroïne rend le dernier soupir tandis qu’au-dessus d’elle, à l’étage supérieur, on entend le bruit d’un bal, les talons des valseurs, le brouhaha d’une fête. C’est très saisissant.
Et voilà maintenant qu’on nous parle d une nouvelle pièce d’Ibsen, la Dame de la. Mer, et qu’on va nous la donner sur quelque théâtre. Il y a de quoi faire bondir M. Sarcey, anii-ibseniste. Encore une hystérique, encore une déséquilibrée, encore une névrosée, cette Dame de la Mer, et une hysté
rique du Nord, avec les yeux pâlis, le regard clair et poétiquement troublant d une Nilsson. Mais je voudrais pourtant bien qu’à la fin on nous présentât quelque bonne et ferme Française, avec les qua
lités et les défauts de notre race, mais quelque héroïne enfin qui pût nous plaire en nous parlant notre langue et en portant un nom de notre pays, Durand, Dubois, Leblanc, Lenoir, qu’importe!
Oui, on attend en littérature la venue de Mme Durand. Les Tolstoï et les Ibsen ont trop abusé des noms qui fourmillent de consonnes. Qu’on nous peigne nos sœurs, nos voisines, nos mères, nos amies. Assez d’Eisa, d’Edwidja, de Véra! On de
mande Mme Dubois, Mm“ Marchand, Mme Jourdain! On demande des Françaises!
C’est le moment qu’a choisi le journal le Gaulois pour poser à des romanciers la question que voici :
« Les peuples qui produisent surtout des romans sont-ils des peuples inférieurs?» Je ne cite peut-être pas exactement la question, mais c’en est du moins le sens. Là-dessus, les romanciers ont jeté feu et flammes. Ils ont raison. Le roman est chose infé
rieure quand il est inférieur de style et de pensée,
mais il égale le traité de politique et le livre de science, quand il est manié par un maître. Gœthe était un vaste esprit et il écrivait des romans.
Walter Scott a plus fait pour l’Ecosse que mille et un savants écossais. Otez du monde le roman et remplacez-le par l’érudition, comme le voudrait M. Ledrain, auteur de tout ce tapage, et vous aurez un univers rempli de pédants et d’ennui.
« Je n’ai ni tempérament ni roman », disait une grande dame du dix-huitième siècle. Je ne demande pas que le tempérament prédomine — comme dans
les drames d’Ibsen — mais je crois qu une femme qui n’a pas un grain de roman dans la tête n’est pas tout à fait une femme. Qu en pensez-vous, mes chères lectrices? Ce grain peut être caché, furtif, ignoré, mais il est bon qu’il existe. Le roman, c’est la fleur en herbier.
L’affaire mystérieuse de la rue Rambuteau fait partie d’une catégorie de romans qui a ses fanatiques : le roman judiciaire.
suit, et sans doute, lorsque ces lignes paraîtront, le point d interrogation n’aura plus raison d’être.
Pour le moment, M. Goron se demande qui a fait le coup et le Petit Journal confirme cette opinion monumentale : « Nous persistons à croire que Mme Fourcaud a été assassinée par erreur. »
C’est le fameux drame en un acte qu’écrivait un jour Paul Verlaine, alors fumiste. Un monsieur et une dame causent, dans une chambre d’hôtel, quand le rideau se lève. Tout à coup en entend des pas.
— Mon mari ! s’écrie la femme.
Un monsieur entre, son revolver à la main. Il tire: Pan! L’homme tombe: Second-coup. La femme
expire. Le monsieur se penche alors sur les cadavres et pousse un grand cri :
— Ah! mon Dieu! ce n est pas lui! Ce n’est pas elle! Je me suis trompé d’étage! Et la toile tombe.
Assassiné par erreur, c’est une destinée d’une ironie macabre. Nous saurons le fin mot de l’affaire
lorsque le meurtrier comparaîtra devant le juge d’instruction.
Les députés, gardiens de la loi et faiseurs de lois, comparaissent peu devant les magistrats. Us sont hors la loi, comme M. Laur, qui doit se contenter d’être gifflé dans les circonstances solennelles que l’on connaît, ou au-dessus de la loi, comme ce représentant du peuple qui traite un peu bien fami
lièrement les conducteurs de tramways. C’est une situation tour à tour peu enviable et fort agréable.
M. Alfred Arago, qui vient de mourir, contait de bien drôles d histoires sur les députés du temps de Louis-Philippe. Il imitait M. Dubois (de la Loire- Inférieure ) ou le maréchal Soult à la tribune. Cela, de façon à prouver que le parlementarisme a toujours fort peu varié.
— J’oppose, disait le maréchal Soult, le démenti le plus formel aux allégations mensongères d une presse inqualifiable, qui ose prétendre que nous avons fait distribuer des rations supplémentaires aux troupes envoyées devant Lyon pour combattre l’insurrection, et je ne m’abaisserai même pas jus
qu’à relever les calomnies de certaines feuilles,
dont je ne ferai pas entendre le nom du haut de cette tribune... Cependant je dois reconnaître qu’en effet, à cause du froid et pour des raisons sanitaires, oui, nous avons fait distribuer quelques ra
tions supplémentaires aux troupes envoyées devant Lyon...
Il fallait entendre Alfred Arago imiter le langage, l’accent méridional du vieux maréchal ! Arago était le fils du grand astronome, le neveu de M. Etienne
Arago qui, malade et âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, lui survit cependant. Il était frère de Jacques Arago, l’aveugle, qui a écrit un si joli, si amusant Voyage autour duMonde, et de M. Emmanuel Arago, ambassadeur à Berne.
Homme d’esprit, et de beaucoup d esprit, Alfred Arago avait la manie du calembour. C’est lui qui fit faire une demi-lieue à Emile Augier et à Phi
lippe Rousseau, le peintre, pour les amener à un endroit des bords de la Seine où le fleuve se re
courbe en replis tortueux comme le dragon racinien qui avale Hippolyte, et, après cette longue marche, Alfred Arago de dire noblement:
— Regardez bien. Qu’est-ce qu’elle fait, cette eau-là ?
— Eh bien, elle coule ! dit Augier. — Mais comment coule-t-elle ?
— En suivant son cours, dit Rousseau.
Mais Alfred Arago, montrant les circuits du fleuve :
— Mes fils, cl eau fait l S!
Et de rire. Il était enchanté. Mais les autres, harassés, étaient furieux. Méph.istophélès ! Le trait ne valait pas une étape forcée.
Alfred Arago, la bonté même, heureux dans son logis, parmi ses tableaux et ses souvenirs, avait des opinions ou des affections bonapartistes dans un milieu républicain. On a raconté qu’après le 4 septembre, étant inspecteur des Beaux-Arts, il écrivit à son frère Emmanuel cette lettre : « Monsieur le ministre, je te donne ma démission! »
Je ne sais si le trait est vrai, mais il est possible et il serait fort joli.
Mais la grande nouveauté, la grande nouvelle parisienne, c’est la création future — et probable — d’un Club féminin, d’un Jockey où seules seraient admises les femmes. Pas de sexe laid. Ce genre de club existe, ou je me trompe fort, à Londres. Il y a là un mixte qui s’appelle la Poule et le Coq et un club strictement féminin qui se nomme la Poule familièrement.
Paris veut donc et va donc prochainement avoir sa Poule, son club de femmes où jamais le sexe laid ne pourra paraître. Au reste, les salons pari
siens après le dîner sont presque tous des cercles féminins, puisque les hommes vont au fumoir et désertent le causoir ou n’y rentrent qu’avec un double parfum de kummel et de nicotine. Je cher
cherai, si vous le voulez bien, l’influence queleClub féminin pourra avoir sur les mœurs.
Hélas! les hommes et les femmes sont déjà assez séparés! le Club féminin, c’est une aggravation du divorce.
Rastignac.
COURRIER DE PARIS