LES CHIFFONNIERS A PARIS - Le Champ-Pascot.


LES CHIFFONNIERS


La cour du père Pascot.
Sans s arrêter à l’idée que s’en font encore de bonnes gens, commencement de siècle, qui le croient toujours occupé àphilosopher sur des lettres d’amour pêchées dans le ruisseau, beaucoup d’entre nous se représentent le chiffon
nier tel qu’on l’a jusqu’ici dépeint et tel qu’il était encore tantôt : nocturne, silencieux, décrivant dans les rues de grands zigzags étranges marqués à chaque angle d’un repos, vaguement inquiétant avec sa hotte noire et son crochet brillant, et faisant pivoter autour d’une mélodra
matique lanterne un grand triangle de lumière. C’est le chiffonnier classique, dont on ne rencontre plus que quelques rares spécimens.
Mais le chiffonnier d’à présent est tout autre : il a perdu presque tout son pittoresque. Une simple ordon
nance municipale, enjoignant aux locataires d’une même maison de jeter dans une commune boîte leurs ordures ménagères, a bouleversé son existence, a changé son as
pect et ses mœurs; lui, le légendaire noctambule, le voici devenu aussi prosaïquement matineux que les balayeurs et les ramasseurs de bouts de cigares; ce capricieux pé
cheur du ruisseau, ce libre écumeur du pavé, est astreint à chercher sa vie dans des boîtes de fer battu ! Et, comme pour le ramener malgré lui à la banalité moderne, on a sapé sans pitié les chères massures fumeuses qu’avaient bâties ses aïeux.
Si nous regrettons la destruction de ces quartiers misérables et charmants, dernières ruines de la vieille cité des gueux, où triomphaient la silhouette et la couleur, où s’étaient réfugiés la naïveté, l’imprévu, l’originalité, bannis de nos rues neuves qu’on bâtit tout d’une pièce sur un même plan; si nous maudissons la main qui a arraché de nos murs blancs, platement tristes, ces grouillantes eaux-fortes qu’on appelait la place Maubert, la rue Sainte- Marguerite, la Cour des Miracles, nous aurions tort de croire, pleins pour ces vieux coins disparus d’une tendresse acciue certainement par l’habitude de la tradition, que
tout le pittoresque de Paris est parti dans les tombereaux pour les décharges publiques; la ville pauvre n’a pas
perdu son charme émouvant : les gueux n’habitent pas nos casernes. On n’a pas détruit les misères en abattant les murs croulants où elles nichaient : elles se sont seulement éparpillées au loin, effarouchées et piaillantes, pour aller se poser là-bas, vers la banlieue large et tranquille ; mais, plus timides à présent, elles n’ont pas osé s’établir en nom
breuses colonies, ni bâtir hardiment en façade : elles se sont glissées, par des fentes invisibles du grand mur neuf
au fond de trous insoupçonnés, et la rue hj’pocrite, avec l’air honnête que lui donnent sa rectitude et sa propreté recèle des cités immondes.
En voici, par exemple, une, et des plus étranges : le Champ Paseot.
La rue de Yaugirard, en s’éloignant du centre, change
plusieurs fois d’aspects, et perd tour à tour sa gaieté