Quand notre saint homme se réveilla, la nuit
avait depuis longtemps étendu sur la terre fatiguée
mortel pour tout autre qu’un ermite, ou que le docteur Tanner, Succi ou Merlatti, mais notre saint puisait des forces nouvelles dans le jeûne; les
privations endurcissaient ses muscles ; la prière le plongeait dans une béatitude remplie d’extase... et il se laissait onctueusement confire en dévotion dans un far niente plein de charmes.
Cela au grand déplaisir de Satan, que la vie calme et sainte de ce juste, se préparant benoîtement une place en paradis, agaçait fort.
Un jour notre saint... il n’était pas encore canonisé, mais il possédait déjà toutes les qualités requises pour l’être, un jour donc notre saint molle
ment étendu sur un sable Un, tiède, aux reflets d’or, les tempes moites doucement caressées par les fraî
ches haleines d’une brise embaumée, l’œil demi-clos,
la bouche entr’ouverte, digérait paresseusement ses oraisons, contemplant le ciel, sa demeure future, et la mer, qui l’isolait de ce monde de pécheurs qu’il avait fui. Ses paupières alourdies s’abais
saient lentement, ses yeux se fermaient appe
santis, quand il lui sembla entendre comme une mélodie vague, lointaine, aérienne, aux notes sour
des, profondes, sorte d’accompagnement délicieux à la langueur mystique dans laquelle il se fondait, sa béatitude mise en musique par les archanges, pensait-il. II crut à une politesse d’en haut et s’en
dormit bercé par ces harmonieux accords et cette illusion décevante et présomptueuse.
A une époque inconnue, un saint homme s’était fait ermite sur l’île de Pianosa. Il y vivait de jeûnes, de privations, de prières. Ce régime eût été
ses voiles constellés; sa sieste s’était étrangement prolongée ce jour-là aux dépens de ses devoirs re
ligieux; il se hâta de regagner sa grotte et dîna d’une oraison ; quelques coups de discipline, qu il
s’appliqua vigoureusement sur les épaules, remirent le calme dans sa conscience.
Cela fait, il se jeta sur sa couche. Pendant quelque temps ses pensées le tinrent éveillé ; il méditait sur ce ravissant concert, dont la douce mélodie résonnait encore à ses oreilles. Un ermite
est toujours un peu curieux ; et, tout en s’abandonnant au sommeil, il restait intrigué, cherchant vai
nement à déchiffrer la clef de cette énigme. Que le diable m’emporte, murmurait-il inconsciemment de temps à autre, entre deux bâillements, fatigué de chercher, si jamais mes oreilles ont oui pareille musique ! Et, s’enfonçant dans sa couche de mousse sèche, il s’endormit du sommeil du juste. -
Ces imprudentes paroles, faute d’un signe de croix fait à temps devaient lui coûter cher ; Satan, l’auteur ignoré de cette aimable farce musicale, était aux écoutes; il sourit radieux; il tenait sa proie !
Cette nuit-là saint Piano fît... ou plutôt crut faire... un rêve atroce ; il rêva qu’on lui extirpait les dents, qu’on lui arrachait les nerfs, les muscles,
les tendons, etc... bref, qu’on le disséquait et qu’un horrible démon, avec une dextérité sans pareille,
fabriquait avec ces éléments épars un instrument de musique monstrueux, d’une forme bizarre et inconnue. Ses dents, entre les mains de l’habile ouvrier, étaient devenues prodigieusement lon
gues, larges et angulaires, et servaient de clavier; ses nerfs, délicatement tressés, régulièrement tendus, avaient la rigidité de la sonorité du cuivre et reproduisaient les notes élevées, les muscles et les tendons donnaient des notes graves ; le cerveau rendait les sensations subtiles prevoquées par l’appel incessant des nerfs ; son cœur exprimait le sentiment du rhythme; son esprit créait la mélodie, âme de la musique ; son pouls marquait la mesure ; les glandes lacrymales envoyaient aux
trilles leur limpidité cristalline; son sang faisait circuler partout l’harmonie ; des cavités de l’estomac sortaient majestueuses les notes de basses...
avait depuis longtemps étendu sur la terre fatiguée
mortel pour tout autre qu’un ermite, ou que le docteur Tanner, Succi ou Merlatti, mais notre saint puisait des forces nouvelles dans le jeûne; les
privations endurcissaient ses muscles ; la prière le plongeait dans une béatitude remplie d’extase... et il se laissait onctueusement confire en dévotion dans un far niente plein de charmes.
Cela au grand déplaisir de Satan, que la vie calme et sainte de ce juste, se préparant benoîtement une place en paradis, agaçait fort.
Un jour notre saint... il n’était pas encore canonisé, mais il possédait déjà toutes les qualités requises pour l’être, un jour donc notre saint molle
ment étendu sur un sable Un, tiède, aux reflets d’or, les tempes moites doucement caressées par les fraî
ches haleines d’une brise embaumée, l’œil demi-clos,
la bouche entr’ouverte, digérait paresseusement ses oraisons, contemplant le ciel, sa demeure future, et la mer, qui l’isolait de ce monde de pécheurs qu’il avait fui. Ses paupières alourdies s’abais
saient lentement, ses yeux se fermaient appe
santis, quand il lui sembla entendre comme une mélodie vague, lointaine, aérienne, aux notes sour
des, profondes, sorte d’accompagnement délicieux à la langueur mystique dans laquelle il se fondait, sa béatitude mise en musique par les archanges, pensait-il. II crut à une politesse d’en haut et s’en
dormit bercé par ces harmonieux accords et cette illusion décevante et présomptueuse.
LA LÉGENDE DE SAINT PIANO
A une époque inconnue, un saint homme s’était fait ermite sur l’île de Pianosa. Il y vivait de jeûnes, de privations, de prières. Ce régime eût été
ses voiles constellés; sa sieste s’était étrangement prolongée ce jour-là aux dépens de ses devoirs re
ligieux; il se hâta de regagner sa grotte et dîna d’une oraison ; quelques coups de discipline, qu il
s’appliqua vigoureusement sur les épaules, remirent le calme dans sa conscience.
Cela fait, il se jeta sur sa couche. Pendant quelque temps ses pensées le tinrent éveillé ; il méditait sur ce ravissant concert, dont la douce mélodie résonnait encore à ses oreilles. Un ermite
est toujours un peu curieux ; et, tout en s’abandonnant au sommeil, il restait intrigué, cherchant vai
nement à déchiffrer la clef de cette énigme. Que le diable m’emporte, murmurait-il inconsciemment de temps à autre, entre deux bâillements, fatigué de chercher, si jamais mes oreilles ont oui pareille musique ! Et, s’enfonçant dans sa couche de mousse sèche, il s’endormit du sommeil du juste. -
Ces imprudentes paroles, faute d’un signe de croix fait à temps devaient lui coûter cher ; Satan, l’auteur ignoré de cette aimable farce musicale, était aux écoutes; il sourit radieux; il tenait sa proie !
Cette nuit-là saint Piano fît... ou plutôt crut faire... un rêve atroce ; il rêva qu’on lui extirpait les dents, qu’on lui arrachait les nerfs, les muscles,
les tendons, etc... bref, qu’on le disséquait et qu’un horrible démon, avec une dextérité sans pareille,
fabriquait avec ces éléments épars un instrument de musique monstrueux, d’une forme bizarre et inconnue. Ses dents, entre les mains de l’habile ouvrier, étaient devenues prodigieusement lon
gues, larges et angulaires, et servaient de clavier; ses nerfs, délicatement tressés, régulièrement tendus, avaient la rigidité de la sonorité du cuivre et reproduisaient les notes élevées, les muscles et les tendons donnaient des notes graves ; le cerveau rendait les sensations subtiles prevoquées par l’appel incessant des nerfs ; son cœur exprimait le sentiment du rhythme; son esprit créait la mélodie, âme de la musique ; son pouls marquait la mesure ; les glandes lacrymales envoyaient aux
trilles leur limpidité cristalline; son sang faisait circuler partout l’harmonie ; des cavités de l’estomac sortaient majestueuses les notes de basses...