Il y avait; l’autre jour, un rassemblement considérable devant une maison de la rue Le Pelletier, si considérable (lue les omnibus et les fiacres s’arrê
taient, et que les passants se disaient, en voyant nombre de cartes d’un rouge vif aux mains de gens arrêtés et pressés devant la maison en question :
— S’agirait-il, par hasard, d’une réunion d’anarchistes?
Il s’agissait tout simplement de l ouverture du Salon de la RoserCroix, dont le vernissage avait eu lieu la veille. Mais la rue Le Pelletier s’en souvien
dra, de cette ouverture! O triomphe de la publicité!
Le Sàr Péladan avait réellement mobilisé et amené à la porte de Durand-Ruel des milliers de Parisiens. Ce Salon de la Rose-Croix préoccupait abso
lument et attirait la foule. On se bousculait pour entrer. On faisait queue par le vent froid, comme s il se fût agi d’une première sensationale. Et c’en était une !
On a pu voir, dans ce fameux Salon, des peintures et des sculptures qui ne sont pas à dédaigner. C est un Salon mystique, ennemi de tout réa
lisme, un Salon symboliste, où des apparitions bizarres, des visions fantastiques, des imaginations
de rêve, tapissent les murailles. Cela est souvent excessif, et plus souvent attirant et inquiétant. Le
pauvre Maupassant, en écrivant Le Horla, devait apercevoir de pareils fantômes. Il y a là un M. Knoff tout à fait singulier, évocateur de figures exsangues, aux yeux fous, qui ne vous quittent plus.
Je dois dire, du reste, que c’était moins les peintures ou les pastels des artistes de la Rose-Croix qu’on venait voir que le Sàr Péladan lui-même.
— Ou est-ii?
— Montrez-te moi !
— N’est-iZ pas venu? — Où se cache-t-il?
()n ne parlait que de lui. On a été déçu. Il ne s est pas montré. Il ne s’est dévoilé qu’en effigie, dans sa robe de Sâr, avec son profil de Sàr et sa barbe de Sàr. J’avoue que pour ce public qui se pressait et se battait presque à la porte du Salon, sur le trottoir de la rue Le Pelletier, l’absence du Sâr a été une déception.
— On est pressé dans ce salon comme des sardines, disait le peintre italien B., et si nous étouf
fons, nous irons, sans voir même un quart de Sâr, droit au sar-cophage !
Dans ce Paris, on rit de tout, même de l’art mystique des Rose-Croix et de son archonte Antoine de Larochefoucauld ; on rit même de la dynamite, qui n est cependant point risible.
J’ai un ami qui n’a qu’une idée au monde, c’est que tout ce qui se passe autour de lui est un com
plot ourdi ou une comédie imaginée par la police.
Anastay assassine-t-il la baronne Dellard? C’est la police qui veut attirer l’attention loin de la politi
que. Deux cents cartouches de dynamite sont-elles volées, à Soisy, par des larrons demeurés incon
nus? C’est M. Constans qui veut effrayer l’opinion, et, se rendant indispensable, faire tourner à son profit la dernière crise ministérielle.
La moitié d’une maison du boulevard Saint-Germain saute-t-elle en l’air? C’est une diversion faite par le ministère nouveau pour assurer sa majorité. Avec ce système, on ne risque pas de se tromper. Tout est une plaisanterie et la police imagine tout.
La dynamite est malheureusement une réalité et la chimie nous promet de bons jours et de belles nuits. Les plaisants ont, comme de coutume, ex
ploité l’actualité, et plus d’une carte postale Ou d’une dépêche bleue est venue apporter à de paisi
bles négociants l’avis discret qu’on leur préparait une cartouche de dynamite. « Veillez! » disait le mauvais farceur. Et en effet, après avoir reçu ce charmant avis on veillait puisqu’on ne pouvait ferme? l œil de toute la nuit.
il faut prendre tout au sérieux et rien au tragiquè. Le monde n’est pas préside sauter et les anarchistes auront beau faire, à Londres, à Ma
drid, à Berlin, à New-York ou à Paris, la société est prête à se défendre. J’en ai vu naguère, de ces
anarchistes, qui ne se sont pas présentés à moi la bombe à la main, mais paisiblement, une liste de
souscription dans leur poche. Bons compagnons recueillant des fonds pour offrir des soupes et des conférences ou plutôt des soupes-conférences aux
pauvres diables. Je leur ai donné mon obole et leur ai demandé de vouloir bien me définir ce que c est que l’anarchie.
— Mon Dieu, monsieur, m’a dit très simplement l’un d’eux, nous trouvons que ce qui est est mal fait et nous voulons autre chose.
Quoi? Ils ne le savent pas très bien. Mais, s ils tiennent à donner des conférences et de la soupe aux malheureux, ce n est pas avec de la poudre chloratée qu ils y arriveront.
Tout le monde n’est pas anarchiste heureusement, mais presque tout le monde aujourd’hui est candidat. Depuis une semaine la direction de l O- déon est vacante. M. Porel a dit adieu à la rive gauche et il passe avec armes et bagages à l Eden
qui deviendra, l’automne prochain, théâtre dramatico-comico-lyrique. Ce coup d’Etat, qui pourrait bien être un coup d’éclat, a surpris tout le monde. C est peut-être la dernière fantaisie de Fantasio.
Quoi qu’il en soit, l’Odéon attend un directeur. C’est une pluie de candidatures. On trouvera tou
jours pour fonder un journal ou pour prendre la
direction d’un théâtre dix ou vingt personnes au lieu d une. Un journal! Un théâtre! Cela fascine.
Je connais un Parisien qui a mangé la moitié de sa fortune dans une gazette et la seconde dans une entreprise théâtrale.
— J’avais fait mon journal pour avoir un service de première, me disait-il, et j’avais pris mon théâ
tre pour voir de près les actrices. Aux agences, cela m’aurait coûté cent fois moins cher.
Les plaisanteries sur l’Odéon ne sont plus de mise depuis M. Duquesnel et M. Porel. Autrefois
M. Aurélien Scholl écrivait : « La Belgique, c’est l Odéon de la France! » Et, quand on voulait parler de Robinson Crusoé réfugié dans une iie déserte,
on disait: « 11 y était aussi tranquille qu’à l’Odéon. » Ce genre de facéties paraît usé.
Mais il ne faudrait pas, sous prétexte de nouveauté, essayer de faire de l Odéon un théâtre de musique ou de demi-musique, comme l a proposé, dit-on, M. Détroyat. Les jeunes auteurs dramati
ques n ont de débouché qu’au Théâtre-Libre et _ce n’est pas assez. Encore au Théâtre-Libre leur fautil, pour entrer, appartenir à l école et montrer patte blanche, ou plutôt patte qui n’est pas très blanche. Si on leur prenait encore à l’Odéon trois jours sur sept, ce serait vraiment un peu trop.
Toujours est-il que les candidats se pressent. C’est le steeple-chasse éternel. Et le public s’inté
resse à la course, comme il s’intéressera toujours aux choses du théâtre, fussent-elles celles de la rive gauche. C est pourquoi ce sera un gros événement parisien que la vente de la galerie de M. Alexandre Dumas fils, et c’est pourquoi encore on s’est beaucoup préoccupé de cette nouvelle :
— Alexandre Dumas vend ses tableaux!
Il tient, paraît-il, à vivre désormais à Marly, où il a fait percer beaucoup de fenêtres afin d avoir beaucoup d’air, et où il y a moins d’espace sur les murailles qu’il n’y en a avenue de Villiers pour accrocher des toiles.
Alphonse Karr, ce rural, ou plutôt ce marinier, disait volontiers :
— Quand je veux voir un paysage, j’ouvre ma fenêtre. Et j’ai la chance d avoir tous les maîtres dans un seul cadre. Le matin, dans le gris d’argent, c’est un Corot. A midi, c’est un Rousseau. Le soir, au coucher de soleil, c’est un Jules Dupré. Et, comme mon paysage se modifie, je ne m en fatigue jamais !
M. Dumas s’est sans doute fatigué de ses Tassaert, de ses Meissonier et de ses Vollon, qui sont célèbres. Les amateurs lui sauront gré de s’en pri
ver, car ils trouveront là des trésors d’art et ce sera avant peu, cette vente, une des fièvres de Paris.
Autre fièvre, malsaine celle-là. Un impressario quelconque a engagé pour la faire paraître et chan
ter quelque romance dans un café-concert de Paris (j’oublie le nom de ce café, et d’ailleurs je ne l’écri
rais pas), la pauvre fille qui a déposé dans le procès d Anastay et qui était la maîtresse de l assas
sin. Ce n’est pas la première fois qu’on spécule ainsi sur la curiosité publique. Un cafetier jadis a installé à son comptoir, pour attirer.le chaland, Nina Lassave, la maîtresse de Fieschi.
Mllc Gonzalès, la chanteuse ou danseuse de Lyon, inconsciente, s’est laissée afficher comme dans un autre genre M. de Chirac, chef d’école, continue sa propagande sur je ne sais quelles planètes. Mais Mlle Gonzalès a paru fade. Le public l a vue et s est dit ;
— Ce n’est que ça?
Il ne faut point, en pareil cas, que le public éprouve une déception, ou 1 on est perdu.
Le hasard a fait, pendant qu’on s’entretient encore d’Anastay et de son pourvoi, que j aie mis la main sur un vieux bouquin intitulé : Conversations de Lacenaire. Ce sont les propos du fameux meur
trier après sa condamnation. Rien n’est plus cu
rieux. Lacenaire était un assassin romantique comme Anastay est un assassin réaliste. Au reste, leur mobile était le même : do l’argent.
Mais Lacenaire n avait pas de MUe Gonzalès qu on pût exhiber.
— Je n ai, disait-il, jamais éprouvé ce qu on appelle un sentiment d’amour. Seulement j’ai préféré Javotte, cette petite que je n’ai pas voulu tuer, mais «iue j ai frappée de mon tire-point, à toutes les autres maîtresses que j’ai eues. En général, je préférerais une laide à une jolie. Les laides, quand elles nous aiment, nous aiment d’autant plus qu’elles sont plus rarement aimées, et que lorsqu elles se laissent prendre au piège elles ne veulent plus de leur liberté.
Et ce psychologue du meurtre ajoutait :
— Il y a, sur le pavé de Paris, telle jeune fillette au cœur simple et naïf, qui nourrissait pour moi un amour si violent que, si je l avais voulu, elle m’au
rait accompagné dans mes sanglantes expéditions. Oui, elle honnête fille. Un jour je lui dis que j’étais
un assassin. Elle recula d’abord, puis, s’approchant avec confiance et me passant .le bras autour du cou ;
— « N’est-ce pas que malgré cela lu m aimes? »
J’ai eu pitié de cette innocente créature, je n’ai pas voulu la perdre avec moi.
C’est un peu l’histoire contée par Léon Gozlan dans une de ses nouvelles. Un jeune homme veut en finir avec sa maîtresse qui l’ennuie. Il prie un ami — qu’il met dans la confidence de son projet —
d’écouter une fausse confession pendant que la maîtresse cachée écoute, croyant à une trahison.
Et alors le jeune homme invente une histoire criminelle à faire dresser les cheveux sur la tête
de la femme aux aguets. Pour la dégoûter de lui il raconte à son ami un drame épouvantable, un meurtre, il s’écrie :
— Je suis un misérable! Je ne suis plus digne d’être ton ami! Va-t-en!
Et, brusquement, la jeune femme se précipite au cou du jeune homme. Elle est tout en larmes et s’écrie :
— Un assassin, toi? Toi, un misérable? Quand tout le monde t’abandonnerait, il te resterait du moins ma pitié! Je ne t’abandonnerai jamais!
Je crois même que la nouvelle a pour titre : Comment on se débarrasse d’une maîtresse.
On a remarqué les scrupules de Lacenaire ne voulant pas perdre la créature qui l’aime. Ses confidences sont pleines de traits singuliers.
« On avait laissé à Lacenaire dans sa cellule de condamné un chat qui jouait avec lui dans son ca
chot. L’autre jour, irrité de quelques saletés que le petit animal avait faites sur le lit, Lacenaire le prit d’une main vigoureuse, le lança violemment contre la muraille et le tua. Aux mouvements convulsifs
delà pauvre bête, Lacenaire se sentit ému et versa quelques larmes :
— Moi qui n ai jamais pleuré auprès du corps d aucune de mes victimes, dit-il, je me suis senti suffoqué à la vue de ce malheureux chat que j ai si cruellement assassiné... Expliquez cela, messieurs les philosophes !
Il eût dit aujourd’hui : Messieurs les psychologues !
Il avait, au reste, des formules topiques. Celleci, par exemple: «Tout assassin est courageux. » Ou encore : « La guillotine est le choléra des co
quins, comme une balle est le choléra des insurgés
et des duellistes. >> Il est de son temps : il pose à l’Antony ou au Lara du crime. Anastay est de son époque: il dolloïeshyse. Et voilà, dit-on, que le grand Tolstoï aurait été conduit dans une maison de fous à l heure où ce Rodion en action, ce disci
ple de Dolstoïesky, attend à Mazas l heure du froid matin où le public des dernières représentations ira voir s’il a bien fini.
Tolstoï fou ! D’une belle folie, dans tous les cas. Généreux comme un apostolat. Mais quel mauvais vent souffle sur les nobles cervelles? Tolstoï! Maupassant !
— Mon Dieu! disait le beau Z... l autre soir, qu on est heureux d’être calme et simple ! On ne devient pas fou !
— C’est vrai, fit la petite Mmc A. B., mais on reste bête !
Rastignac.
COURRIER DE PARIS
taient, et que les passants se disaient, en voyant nombre de cartes d’un rouge vif aux mains de gens arrêtés et pressés devant la maison en question :
— S’agirait-il, par hasard, d’une réunion d’anarchistes?
Il s’agissait tout simplement de l ouverture du Salon de la RoserCroix, dont le vernissage avait eu lieu la veille. Mais la rue Le Pelletier s’en souvien
dra, de cette ouverture! O triomphe de la publicité!
Le Sàr Péladan avait réellement mobilisé et amené à la porte de Durand-Ruel des milliers de Parisiens. Ce Salon de la Rose-Croix préoccupait abso
lument et attirait la foule. On se bousculait pour entrer. On faisait queue par le vent froid, comme s il se fût agi d’une première sensationale. Et c’en était une !
On a pu voir, dans ce fameux Salon, des peintures et des sculptures qui ne sont pas à dédaigner. C est un Salon mystique, ennemi de tout réa
lisme, un Salon symboliste, où des apparitions bizarres, des visions fantastiques, des imaginations
de rêve, tapissent les murailles. Cela est souvent excessif, et plus souvent attirant et inquiétant. Le
pauvre Maupassant, en écrivant Le Horla, devait apercevoir de pareils fantômes. Il y a là un M. Knoff tout à fait singulier, évocateur de figures exsangues, aux yeux fous, qui ne vous quittent plus.
Je dois dire, du reste, que c’était moins les peintures ou les pastels des artistes de la Rose-Croix qu’on venait voir que le Sàr Péladan lui-même.
— Ou est-ii?
— Montrez-te moi !
— N’est-iZ pas venu? — Où se cache-t-il?
()n ne parlait que de lui. On a été déçu. Il ne s est pas montré. Il ne s’est dévoilé qu’en effigie, dans sa robe de Sâr, avec son profil de Sàr et sa barbe de Sàr. J’avoue que pour ce public qui se pressait et se battait presque à la porte du Salon, sur le trottoir de la rue Le Pelletier, l’absence du Sâr a été une déception.
— On est pressé dans ce salon comme des sardines, disait le peintre italien B., et si nous étouf
fons, nous irons, sans voir même un quart de Sâr, droit au sar-cophage !
Dans ce Paris, on rit de tout, même de l’art mystique des Rose-Croix et de son archonte Antoine de Larochefoucauld ; on rit même de la dynamite, qui n est cependant point risible.
J’ai un ami qui n’a qu’une idée au monde, c’est que tout ce qui se passe autour de lui est un com
plot ourdi ou une comédie imaginée par la police.
Anastay assassine-t-il la baronne Dellard? C’est la police qui veut attirer l’attention loin de la politi
que. Deux cents cartouches de dynamite sont-elles volées, à Soisy, par des larrons demeurés incon
nus? C’est M. Constans qui veut effrayer l’opinion, et, se rendant indispensable, faire tourner à son profit la dernière crise ministérielle.
La moitié d’une maison du boulevard Saint-Germain saute-t-elle en l’air? C’est une diversion faite par le ministère nouveau pour assurer sa majorité. Avec ce système, on ne risque pas de se tromper. Tout est une plaisanterie et la police imagine tout.
La dynamite est malheureusement une réalité et la chimie nous promet de bons jours et de belles nuits. Les plaisants ont, comme de coutume, ex
ploité l’actualité, et plus d’une carte postale Ou d’une dépêche bleue est venue apporter à de paisi
bles négociants l’avis discret qu’on leur préparait une cartouche de dynamite. « Veillez! » disait le mauvais farceur. Et en effet, après avoir reçu ce charmant avis on veillait puisqu’on ne pouvait ferme? l œil de toute la nuit.
il faut prendre tout au sérieux et rien au tragiquè. Le monde n’est pas préside sauter et les anarchistes auront beau faire, à Londres, à Ma
drid, à Berlin, à New-York ou à Paris, la société est prête à se défendre. J’en ai vu naguère, de ces
anarchistes, qui ne se sont pas présentés à moi la bombe à la main, mais paisiblement, une liste de
souscription dans leur poche. Bons compagnons recueillant des fonds pour offrir des soupes et des conférences ou plutôt des soupes-conférences aux
pauvres diables. Je leur ai donné mon obole et leur ai demandé de vouloir bien me définir ce que c est que l’anarchie.
— Mon Dieu, monsieur, m’a dit très simplement l’un d’eux, nous trouvons que ce qui est est mal fait et nous voulons autre chose.
Quoi? Ils ne le savent pas très bien. Mais, s ils tiennent à donner des conférences et de la soupe aux malheureux, ce n est pas avec de la poudre chloratée qu ils y arriveront.
Tout le monde n’est pas anarchiste heureusement, mais presque tout le monde aujourd’hui est candidat. Depuis une semaine la direction de l O- déon est vacante. M. Porel a dit adieu à la rive gauche et il passe avec armes et bagages à l Eden
qui deviendra, l’automne prochain, théâtre dramatico-comico-lyrique. Ce coup d’Etat, qui pourrait bien être un coup d’éclat, a surpris tout le monde. C est peut-être la dernière fantaisie de Fantasio.
Quoi qu’il en soit, l’Odéon attend un directeur. C’est une pluie de candidatures. On trouvera tou
jours pour fonder un journal ou pour prendre la
direction d’un théâtre dix ou vingt personnes au lieu d une. Un journal! Un théâtre! Cela fascine.
Je connais un Parisien qui a mangé la moitié de sa fortune dans une gazette et la seconde dans une entreprise théâtrale.
— J’avais fait mon journal pour avoir un service de première, me disait-il, et j’avais pris mon théâ
tre pour voir de près les actrices. Aux agences, cela m’aurait coûté cent fois moins cher.
Les plaisanteries sur l’Odéon ne sont plus de mise depuis M. Duquesnel et M. Porel. Autrefois
M. Aurélien Scholl écrivait : « La Belgique, c’est l Odéon de la France! » Et, quand on voulait parler de Robinson Crusoé réfugié dans une iie déserte,
on disait: « 11 y était aussi tranquille qu’à l’Odéon. » Ce genre de facéties paraît usé.
Mais il ne faudrait pas, sous prétexte de nouveauté, essayer de faire de l Odéon un théâtre de musique ou de demi-musique, comme l a proposé, dit-on, M. Détroyat. Les jeunes auteurs dramati
ques n ont de débouché qu’au Théâtre-Libre et _ce n’est pas assez. Encore au Théâtre-Libre leur fautil, pour entrer, appartenir à l école et montrer patte blanche, ou plutôt patte qui n’est pas très blanche. Si on leur prenait encore à l’Odéon trois jours sur sept, ce serait vraiment un peu trop.
Toujours est-il que les candidats se pressent. C’est le steeple-chasse éternel. Et le public s’inté
resse à la course, comme il s’intéressera toujours aux choses du théâtre, fussent-elles celles de la rive gauche. C est pourquoi ce sera un gros événement parisien que la vente de la galerie de M. Alexandre Dumas fils, et c’est pourquoi encore on s’est beaucoup préoccupé de cette nouvelle :
— Alexandre Dumas vend ses tableaux!
Il tient, paraît-il, à vivre désormais à Marly, où il a fait percer beaucoup de fenêtres afin d avoir beaucoup d’air, et où il y a moins d’espace sur les murailles qu’il n’y en a avenue de Villiers pour accrocher des toiles.
Alphonse Karr, ce rural, ou plutôt ce marinier, disait volontiers :
— Quand je veux voir un paysage, j’ouvre ma fenêtre. Et j’ai la chance d avoir tous les maîtres dans un seul cadre. Le matin, dans le gris d’argent, c’est un Corot. A midi, c’est un Rousseau. Le soir, au coucher de soleil, c’est un Jules Dupré. Et, comme mon paysage se modifie, je ne m en fatigue jamais !
M. Dumas s’est sans doute fatigué de ses Tassaert, de ses Meissonier et de ses Vollon, qui sont célèbres. Les amateurs lui sauront gré de s’en pri
ver, car ils trouveront là des trésors d’art et ce sera avant peu, cette vente, une des fièvres de Paris.
Autre fièvre, malsaine celle-là. Un impressario quelconque a engagé pour la faire paraître et chan
ter quelque romance dans un café-concert de Paris (j’oublie le nom de ce café, et d’ailleurs je ne l’écri
rais pas), la pauvre fille qui a déposé dans le procès d Anastay et qui était la maîtresse de l assas
sin. Ce n’est pas la première fois qu’on spécule ainsi sur la curiosité publique. Un cafetier jadis a installé à son comptoir, pour attirer.le chaland, Nina Lassave, la maîtresse de Fieschi.
Mllc Gonzalès, la chanteuse ou danseuse de Lyon, inconsciente, s’est laissée afficher comme dans un autre genre M. de Chirac, chef d’école, continue sa propagande sur je ne sais quelles planètes. Mais Mlle Gonzalès a paru fade. Le public l a vue et s est dit ;
— Ce n’est que ça?
Il ne faut point, en pareil cas, que le public éprouve une déception, ou 1 on est perdu.
Le hasard a fait, pendant qu’on s’entretient encore d’Anastay et de son pourvoi, que j aie mis la main sur un vieux bouquin intitulé : Conversations de Lacenaire. Ce sont les propos du fameux meur
trier après sa condamnation. Rien n’est plus cu
rieux. Lacenaire était un assassin romantique comme Anastay est un assassin réaliste. Au reste, leur mobile était le même : do l’argent.
Mais Lacenaire n avait pas de MUe Gonzalès qu on pût exhiber.
— Je n ai, disait-il, jamais éprouvé ce qu on appelle un sentiment d’amour. Seulement j’ai préféré Javotte, cette petite que je n’ai pas voulu tuer, mais «iue j ai frappée de mon tire-point, à toutes les autres maîtresses que j’ai eues. En général, je préférerais une laide à une jolie. Les laides, quand elles nous aiment, nous aiment d’autant plus qu’elles sont plus rarement aimées, et que lorsqu elles se laissent prendre au piège elles ne veulent plus de leur liberté.
Et ce psychologue du meurtre ajoutait :
— Il y a, sur le pavé de Paris, telle jeune fillette au cœur simple et naïf, qui nourrissait pour moi un amour si violent que, si je l avais voulu, elle m’au
rait accompagné dans mes sanglantes expéditions. Oui, elle honnête fille. Un jour je lui dis que j’étais
un assassin. Elle recula d’abord, puis, s’approchant avec confiance et me passant .le bras autour du cou ;
— « N’est-ce pas que malgré cela lu m aimes? »
J’ai eu pitié de cette innocente créature, je n’ai pas voulu la perdre avec moi.
C’est un peu l’histoire contée par Léon Gozlan dans une de ses nouvelles. Un jeune homme veut en finir avec sa maîtresse qui l’ennuie. Il prie un ami — qu’il met dans la confidence de son projet —
d’écouter une fausse confession pendant que la maîtresse cachée écoute, croyant à une trahison.
Et alors le jeune homme invente une histoire criminelle à faire dresser les cheveux sur la tête
de la femme aux aguets. Pour la dégoûter de lui il raconte à son ami un drame épouvantable, un meurtre, il s’écrie :
— Je suis un misérable! Je ne suis plus digne d’être ton ami! Va-t-en!
Et, brusquement, la jeune femme se précipite au cou du jeune homme. Elle est tout en larmes et s’écrie :
— Un assassin, toi? Toi, un misérable? Quand tout le monde t’abandonnerait, il te resterait du moins ma pitié! Je ne t’abandonnerai jamais!
Je crois même que la nouvelle a pour titre : Comment on se débarrasse d’une maîtresse.
On a remarqué les scrupules de Lacenaire ne voulant pas perdre la créature qui l’aime. Ses confidences sont pleines de traits singuliers.
« On avait laissé à Lacenaire dans sa cellule de condamné un chat qui jouait avec lui dans son ca
chot. L’autre jour, irrité de quelques saletés que le petit animal avait faites sur le lit, Lacenaire le prit d’une main vigoureuse, le lança violemment contre la muraille et le tua. Aux mouvements convulsifs
delà pauvre bête, Lacenaire se sentit ému et versa quelques larmes :
— Moi qui n ai jamais pleuré auprès du corps d aucune de mes victimes, dit-il, je me suis senti suffoqué à la vue de ce malheureux chat que j ai si cruellement assassiné... Expliquez cela, messieurs les philosophes !
Il eût dit aujourd’hui : Messieurs les psychologues !
Il avait, au reste, des formules topiques. Celleci, par exemple: «Tout assassin est courageux. » Ou encore : « La guillotine est le choléra des co
quins, comme une balle est le choléra des insurgés
et des duellistes. >> Il est de son temps : il pose à l’Antony ou au Lara du crime. Anastay est de son époque: il dolloïeshyse. Et voilà, dit-on, que le grand Tolstoï aurait été conduit dans une maison de fous à l heure où ce Rodion en action, ce disci
ple de Dolstoïesky, attend à Mazas l heure du froid matin où le public des dernières représentations ira voir s’il a bien fini.
Tolstoï fou ! D’une belle folie, dans tous les cas. Généreux comme un apostolat. Mais quel mauvais vent souffle sur les nobles cervelles? Tolstoï! Maupassant !
— Mon Dieu! disait le beau Z... l autre soir, qu on est heureux d’être calme et simple ! On ne devient pas fou !
— C’est vrai, fit la petite Mmc A. B., mais on reste bête !
Rastignac.
COURRIER DE PARIS