Paris s’amuse toujours. Malgré tout. Lisez les annonces des journaux :
— Confetti !
— Fabrique de confetti !
— Confetti à tant le kilo !
C’est la Mi-Carême qui nous vaut cela. Les confetti ont droit de cité parisienne. Ils ont fait leur entrée sans tapage au mardi-gras dernier. Main
tenant c’est fini: ils sont adoptés,.ils sont parisianisés. La mi-carême aura vu des pluies de con
fetti sur nos boulevards comme on en voit sur la promenade des Anglais à Nice. Bien mieux : les confetti avaient été francisés par la fantaisie des vendeurs, sur plus d’un kiosque de marchands de journaux du boulevard des Italiens on lisait, ces jours derniers, cette annonce dont l’orthographe étonnait précisément les Italiens :
— Ici on trouve des confettis !
Avec un s. Il n’y a plus d’Alpes. Les confetti fourmillent. Us tombent comme neige à l’Opéra où l’on brûle le bonhomme Carnaval après une faran
dole monstre. Qu’en doivent penser les bons anarchistes et le Père Peinard, c,e père Rabat-Joie ?
L anarchie, la fameuse anarchie, n’est pas seulement dans la société, elle est aussi dans les esprits. L’autre jour, un sculpteur nommé Jacques France ou plutôt Lecreux, car Jacques France est un pseu
donyme, se présente chez un arbitre qui a rendu contre lui une sentence dans un procès. On cause, on discute. Tout à coup le sculpteur donne à l’ar
bitre dix ou douze coups de poinçon. A qui croyezvous que plus d’un journal s’en prenne ? Au meurtrier ? Non, à l’arbitre.
— Espérons, dit l’un d’eux, que le coup de poinçon de Jacques France aura crevé l’odieux ballon de la justice arbitrale.
Voilà. Ce n’est pas plus compliqué que cela. A bas les victimes ! Ou plutôt, pour certains esprits pointus, aussi pointus que les poinçons, les victimes sont ceux qu’on force, paraît-il, à venir poignarder les gens chez eux.
Je ne le connais que pour l’avoir vu dans la rue, ce Jacques France, grand, chevelu, barbu, bavard; mais je le reconnais comme un de ces artistes in
complets dont l’orgueil maladif se croit toujours persécuté, soit par la destinée, soit par les camarades, ou plutôt les jurys ou les puissances. Tou
jours en quête d’inventions superbes et prêt à prendre en grippe ceux qui n’épousent pas leurs toquades. C’est la plaie de l’art et des lettres, ces demi-génies qui se rendent insupportables au prochain et à eux-mêmes.
Brébant, le bon Brébant, le restaurateur des lettres, a dû en connaître un certain nombre, de ces turbulents personnages. Parions que s’il pos
sédait tout ce qu’il a avancé ou prêté à ceux-là, au lieu d’être pauvre, Brébant serait riche. Il n’est pas riche, et l’on organise une représentation à son bénéfice. Des gens de lettres et des artistes qui ont dîné chez lui étant débutants, et qui sont devenus membres de l’Institut et commandeurs de la Légion d’honneur, se concertent pour assurer à Brébant un peu de pain ou de confiture pour ses vieux jours.
Le restaurant Brébant ! Un coin de Paris qui fut brillant autrefois. On parlait de Brébant au fond des provinces, plus loin, dans les steppes russes. Quel Parisien de Paris ou d’Europe n’avait point, parmi ses souvenirs, un souper chez Brébant, après une première aux Variétés ? Brébant ! Schneider ! Offenbach! Toute une époque, ces trois noms. Oh ! je sais
bien ce que les puritains pourront dire ! C’était la grande folie, la bacchanale parisienne. Ma foi, elle me semble idyllique à côté de la mascarade d’aujourd’hui.
Et quand je pense que c est chez Brébant que fut chargé l’obus qui fit sauter l’empire ! Oui, en dé
jeûnant avec Brébant et Siraudin, chez Brébant même. Henri Rochefort trouva le titre de son pam
phlet la Lanterne. Ce fut Siraudin qui le lui donna, et Brébant qui arrosa le baptême de la petite brochure rouge, toute pétillante d’esprit et de picrate.
Aujourd’hui, tout cela est loin, très loin, et on organise une représentation au bénéfice de Bré
bant, comme on en donna une au bénéfice de Déjazet, comme Paris en aura toujours avec émotion pour tous ceux qui ont fait partie de sa vie. Le
Un Espagnol a trouvé gai d’évoquer là le souvenir de Philippe IL II a signé : Felippe secundo. C’était peut-être son nom.
Ainsi, pendant que l ascenseur monte dans cette immense toile d’araignée de fer rouge, tandis que Paris s’enfonce sous les pieds du spectateur, que l’horizon se déroule comme un panorama gigan
tesque, il est des êtres qui — ne regardant rien — n ont qu’une idée : écrire leur nom sur un carreau.
La tour Eiffel! Elle a remplacé depuis 1890 le marronnier du 20 mars. On ne sait plus si, ce jourlà, le marronnier a des feuilles, mais on sait que le 20 mars la tour Eiffel rouvre.
C’est la première du printemps, Et la tour Eiffel vous invite
A gravir son faite au plus vite.
O bonds badauds, soyez contents !
Et j en suis, de ces badauds, qui trouvent amusant ce plaisir de monter à trois cents mètres audessus de la rue. Je comprends les naïfs qui, arri
vés à la troisième plate-forme, se précipitent sur une carte postale illustrée pour envoyer à quelque payse l’annonce de cette grande nouvelle : « Je t’é cris du haut de la tour Eiffel... » Elle n’a pas man
qué à son devoir de marronnière, la tour. Elle a
fait fonctionner ses ascenseurs le 20 mars, par un des plus beaux dimanches qu’on ait pu voir. Un di
manche qui a rempli le Bois de voitures, les Champs- Elysées de promeneurs, les gares de voyageurs pour la banlieue. Un dimanche qui a vidé les mati
nées des théâtres et qui a laissé à peine quelques curieux aux diverses expositions d’art ouvertes à Paris.
D’abord, l’exposition du paysagiste Pelouse, à l’école des Beaux-Arts. C’est fort intéressant. Il y a là un maître peintre bien certainement. Mais c’est un peu uniforme, un peu triste, comme les paysages mêmes du Doubs. Et, dans tout cela, des arbres, des ruisseaux, des rochers, de la verdure. Mais pas un rayon de soleil. Je l’ai cherché, ce rayon. Pas un.
Ensuite l Exposition des Artistes indépendants au pavillon de la Ville de Paris. Indépendants, oh! oui, très indépendants. Leur société est, dit la première page de leur catalogue, basée sur la suppres
sion des jurys d’admission. Il y a huit ans qu’elle est fondée. On ne peut pas dire qu’elle ait révélé un Vélasquez inédit, mais elle a vécu — et c’est quelque chose—elle pique la curiosité et elle attire la foule — et c’est beaucoup. Mais, s’il est des gens de talent parmi ces indépendants — il en est — pour
quoi ne font-ils pas comprendre à quelques-uns de leurs confrères qu’on dessert l’indépendance de l’art en mettant sous les yeux du public de pareilles caricatures? Je citerai deux salles presque tout en
tières consacrées à lapeinture joviale d un réalisme d’enseigne ou d’un mysticisme enfantin.
— Ce sont des artistes hilaristes, me disait le peintre D...
Aux Variétés, Dupuis, dans la Cigale, nous exposait gaiement de semblables fumisteries.
Hilaristes, soit. Il y a aussi, parmi ces indépendants, des pointillistes et, cette fois ce nom, on ne le leur attribue pas, ils se le donnent bien euxmêmes. Ces pointillistes procèdent, je n’ai pas be
soin de le dire, par le pointillé. Ils juxtaposent un tas de petites touches rondes, et voilà un paysage. En regardant leurs toiles on croirait absolument voir une couche de ces confetti dont je parlais tout à l’heure. Oui, des confetti, c’est parfaitement cela.
Pourquoi pointillistes donc? Confettistes serait beaucoup plus exact.
En dépit des drôleries colossales d’une exhibition où l’on rencontre, comme Don César de Bazan en Alger, des femmes vertes, jaunes, bleues, des paysages lunaires, polaires, stellaires, des visions macabres ou séraphiquement fatales, en dépit de ces cocasseries naïves ou prétentieuses, et bien faites, hélas ! pour donner la nausée de la peinture, on voit, dans ce Salon des Indépendants, des choses attirantes, d’une lumière charmante, des œuvres sincères, des paysages délicats, des toiles de choix, qui seront peut-être un jour des toiles de prix.
Salon à voir, comme celui de la Rose f Croix, comme tous ces salons et salonets où se heurtent,
se combattent, s’essaient, se cherchent tant de tempéraments et d’où sortira — qui sait?— quelque jour un vrai peintre, un grand peintre! Ainsi soit-il!
Ce souhait me fait penser au Père Didon. Il a, dimanche, opposé sa concurrence au soleil. Malgré le ciel printanier, la Madeleine était pleine, et l’au
ditoire a pu entendre l’éloquent prédicateur parler de 1870, en ajoutant que la France pouvait sans crainte désormais envisager l’avenir. Ce petit coin de dérouléclisme dans un sermon n’a pas déplu. On redevient mystique et chauvin depuis quelque temps.
Mystique au point de retourner vers les mystères du moyen-âge, et le père Didon justement a loué pour les élèves de la maisond’Arcueil (c’est M. Sarcey qui nous l’apprenait l’autre jour) un certain nombre de places au Théâtre-Moderne où l’on donne en matinée le Christ de M. Grandmougin. Le Christ! Spectacle de carême, ou je ne m’y connais pas.
Mysticisme et réclame mêlés. L’autre jour, rue de Rivoli, je voyais des hommes-affiches, des hommessandwichs, promener, avec la gravité hiératique de ces coolies parisiens, une image représentant le calvaire, avec Jésus crucifié entre les deux larrons. Au-dessous s’étalait la distribution de ce mystère, le Christ, et les promeneurs pouvaient lire, sur ce programme ambulant :
Jésus: M. Delaunay fils ; Judas: M. Decori ;
Madeleine : M1Ie Sanlaville.
Et cœlera. Bayreuth et le bayreuthisme nous envahissent sous toutes leurs formes. Wagner d’un côté, Oberammergau de l’autre. Dans son dégoût de tout ce qu’on lui a donné de raffiné, le public va au naïf, à l’enfantin, et préférera bientôt à Madame Bovary ou au Père Goriot les Contes de ma Mère l’Oie. Seulement, ne croyez pas que ce soit un pro
grès. C’est un retour aux puérilités d’un autre â»v. J’adore les marionnettes,mais j’imagine que j’eusse mieux aimé Talma. Oberammergau me semble pit
toresque, mais je préfère Polyeucte où il y a moins de naïveté et plus de génie.
Tout cela, c’est de la curiosité peut-être, mais c’est de l’art à reculons. Et si c’est de l’art religieux
ma foi, sans être puritain, je préfère une prédica
tion de Mgr d’Hulst à la vue des épaules sanctifiées de M11» Sanlaville en Marie-Madeleine. Ou à un autre point de vue, qui est celui du théâtre celuilà, je préfère, même en carême, les épaules de
M118 Sanlaville aux. sermons de Mgr d’Hulst Mais voyez où nous en arrivons ! Notre-Dame se mêle au Théâtre-Moderne et M. Delaunay fils, après avoir joué le Monde où Von flirte, nous invite à faire notre salut avec le Christ ! « Laissez venir à moi les petits spectateurs ! » Eh bien, je n’aime nas beaucoup que l’on mêle le sacré au profane et fen veux aux naturalistes remplacés et aux réalistes qui ont amené par leurs débauches de erossièr-PtA cette débauche de mysticité.
Cela passera comme le reste.
Rastignac.
COURRIER DE PARIS
pauvre Albert Wolff eût ajouté, à propos du Restaurateur des Lettres, un amusant chapitre documenté, comme on dit, à son livre la Haute noce.
Et je me rappelle le soir de Champigny, quand la froide nuit de décembre tombait sur nos champs, gelant nos mobiles sous leurs capotes, un petit of
ficier saxon que ma compagnie avait fait prisonnier, et que nous conduisions au fort de Yincennes.
Il mettait ses gants tout en marchant et allumait un cigare.
Puis, avec un léger accent narquois :
— Pardon, me dit-il, si l’on me mène à Paris, pourrait-on me faire une grâce ? — Laquelle?
— Me laisser un soir diner chez Brébant. Il y a là, écrit avec un diamant sur une glace, un nom... un petit nom... Je voudrais savoir s’il est effacé!
Ah! que de noms inscrits ainsi sur les glaces banales de Brébant! Rinceaux, paraphes, orthographes et autographes bizarres! L’homme, ce pas
sant, n’a qu’une idée : laisser à l’avenir, qui s’en soucie fort peu, la trace de ce passage.
Cela est tellement vrai que les vitres des ascenseurs de la Tour Eiffel sont ornées de signatures multiples et baroques, absolument comme les glaces du restaurant Brébant. Tandis que la cham
bre mobile monte ou descend, les ascensionistes trouvent le temps, en quelques minutes, de graver sur le verre quelques-unes de ces inscriptions qui nous rappellent M. Perrichon escaladant la mer de glace.
J’y ai lu ce nom :
MmB Bonnivet et son cher mari. Puis une ligne au-dessous :
Et Georgette aussi.
— Confetti !
— Fabrique de confetti !
— Confetti à tant le kilo !
C’est la Mi-Carême qui nous vaut cela. Les confetti ont droit de cité parisienne. Ils ont fait leur entrée sans tapage au mardi-gras dernier. Main
tenant c’est fini: ils sont adoptés,.ils sont parisianisés. La mi-carême aura vu des pluies de con
fetti sur nos boulevards comme on en voit sur la promenade des Anglais à Nice. Bien mieux : les confetti avaient été francisés par la fantaisie des vendeurs, sur plus d’un kiosque de marchands de journaux du boulevard des Italiens on lisait, ces jours derniers, cette annonce dont l’orthographe étonnait précisément les Italiens :
— Ici on trouve des confettis !
Avec un s. Il n’y a plus d’Alpes. Les confetti fourmillent. Us tombent comme neige à l’Opéra où l’on brûle le bonhomme Carnaval après une faran
dole monstre. Qu’en doivent penser les bons anarchistes et le Père Peinard, c,e père Rabat-Joie ?
L anarchie, la fameuse anarchie, n’est pas seulement dans la société, elle est aussi dans les esprits. L’autre jour, un sculpteur nommé Jacques France ou plutôt Lecreux, car Jacques France est un pseu
donyme, se présente chez un arbitre qui a rendu contre lui une sentence dans un procès. On cause, on discute. Tout à coup le sculpteur donne à l’ar
bitre dix ou douze coups de poinçon. A qui croyezvous que plus d’un journal s’en prenne ? Au meurtrier ? Non, à l’arbitre.
— Espérons, dit l’un d’eux, que le coup de poinçon de Jacques France aura crevé l’odieux ballon de la justice arbitrale.
Voilà. Ce n’est pas plus compliqué que cela. A bas les victimes ! Ou plutôt, pour certains esprits pointus, aussi pointus que les poinçons, les victimes sont ceux qu’on force, paraît-il, à venir poignarder les gens chez eux.
Je ne le connais que pour l’avoir vu dans la rue, ce Jacques France, grand, chevelu, barbu, bavard; mais je le reconnais comme un de ces artistes in
complets dont l’orgueil maladif se croit toujours persécuté, soit par la destinée, soit par les camarades, ou plutôt les jurys ou les puissances. Tou
jours en quête d’inventions superbes et prêt à prendre en grippe ceux qui n’épousent pas leurs toquades. C’est la plaie de l’art et des lettres, ces demi-génies qui se rendent insupportables au prochain et à eux-mêmes.
Brébant, le bon Brébant, le restaurateur des lettres, a dû en connaître un certain nombre, de ces turbulents personnages. Parions que s’il pos
sédait tout ce qu’il a avancé ou prêté à ceux-là, au lieu d’être pauvre, Brébant serait riche. Il n’est pas riche, et l’on organise une représentation à son bénéfice. Des gens de lettres et des artistes qui ont dîné chez lui étant débutants, et qui sont devenus membres de l’Institut et commandeurs de la Légion d’honneur, se concertent pour assurer à Brébant un peu de pain ou de confiture pour ses vieux jours.
Le restaurant Brébant ! Un coin de Paris qui fut brillant autrefois. On parlait de Brébant au fond des provinces, plus loin, dans les steppes russes. Quel Parisien de Paris ou d’Europe n’avait point, parmi ses souvenirs, un souper chez Brébant, après une première aux Variétés ? Brébant ! Schneider ! Offenbach! Toute une époque, ces trois noms. Oh ! je sais
bien ce que les puritains pourront dire ! C’était la grande folie, la bacchanale parisienne. Ma foi, elle me semble idyllique à côté de la mascarade d’aujourd’hui.
Et quand je pense que c est chez Brébant que fut chargé l’obus qui fit sauter l’empire ! Oui, en dé
jeûnant avec Brébant et Siraudin, chez Brébant même. Henri Rochefort trouva le titre de son pam
phlet la Lanterne. Ce fut Siraudin qui le lui donna, et Brébant qui arrosa le baptême de la petite brochure rouge, toute pétillante d’esprit et de picrate.
Aujourd’hui, tout cela est loin, très loin, et on organise une représentation au bénéfice de Bré
bant, comme on en donna une au bénéfice de Déjazet, comme Paris en aura toujours avec émotion pour tous ceux qui ont fait partie de sa vie. Le
Un Espagnol a trouvé gai d’évoquer là le souvenir de Philippe IL II a signé : Felippe secundo. C’était peut-être son nom.
Ainsi, pendant que l ascenseur monte dans cette immense toile d’araignée de fer rouge, tandis que Paris s’enfonce sous les pieds du spectateur, que l’horizon se déroule comme un panorama gigan
tesque, il est des êtres qui — ne regardant rien — n ont qu’une idée : écrire leur nom sur un carreau.
La tour Eiffel! Elle a remplacé depuis 1890 le marronnier du 20 mars. On ne sait plus si, ce jourlà, le marronnier a des feuilles, mais on sait que le 20 mars la tour Eiffel rouvre.
C’est la première du printemps, Et la tour Eiffel vous invite
A gravir son faite au plus vite.
O bonds badauds, soyez contents !
Et j en suis, de ces badauds, qui trouvent amusant ce plaisir de monter à trois cents mètres audessus de la rue. Je comprends les naïfs qui, arri
vés à la troisième plate-forme, se précipitent sur une carte postale illustrée pour envoyer à quelque payse l’annonce de cette grande nouvelle : « Je t’é cris du haut de la tour Eiffel... » Elle n’a pas man
qué à son devoir de marronnière, la tour. Elle a
fait fonctionner ses ascenseurs le 20 mars, par un des plus beaux dimanches qu’on ait pu voir. Un di
manche qui a rempli le Bois de voitures, les Champs- Elysées de promeneurs, les gares de voyageurs pour la banlieue. Un dimanche qui a vidé les mati
nées des théâtres et qui a laissé à peine quelques curieux aux diverses expositions d’art ouvertes à Paris.
D’abord, l’exposition du paysagiste Pelouse, à l’école des Beaux-Arts. C’est fort intéressant. Il y a là un maître peintre bien certainement. Mais c’est un peu uniforme, un peu triste, comme les paysages mêmes du Doubs. Et, dans tout cela, des arbres, des ruisseaux, des rochers, de la verdure. Mais pas un rayon de soleil. Je l’ai cherché, ce rayon. Pas un.
Ensuite l Exposition des Artistes indépendants au pavillon de la Ville de Paris. Indépendants, oh! oui, très indépendants. Leur société est, dit la première page de leur catalogue, basée sur la suppres
sion des jurys d’admission. Il y a huit ans qu’elle est fondée. On ne peut pas dire qu’elle ait révélé un Vélasquez inédit, mais elle a vécu — et c’est quelque chose—elle pique la curiosité et elle attire la foule — et c’est beaucoup. Mais, s’il est des gens de talent parmi ces indépendants — il en est — pour
quoi ne font-ils pas comprendre à quelques-uns de leurs confrères qu’on dessert l’indépendance de l’art en mettant sous les yeux du public de pareilles caricatures? Je citerai deux salles presque tout en
tières consacrées à lapeinture joviale d un réalisme d’enseigne ou d’un mysticisme enfantin.
— Ce sont des artistes hilaristes, me disait le peintre D...
Aux Variétés, Dupuis, dans la Cigale, nous exposait gaiement de semblables fumisteries.
Hilaristes, soit. Il y a aussi, parmi ces indépendants, des pointillistes et, cette fois ce nom, on ne le leur attribue pas, ils se le donnent bien euxmêmes. Ces pointillistes procèdent, je n’ai pas be
soin de le dire, par le pointillé. Ils juxtaposent un tas de petites touches rondes, et voilà un paysage. En regardant leurs toiles on croirait absolument voir une couche de ces confetti dont je parlais tout à l’heure. Oui, des confetti, c’est parfaitement cela.
Pourquoi pointillistes donc? Confettistes serait beaucoup plus exact.
En dépit des drôleries colossales d’une exhibition où l’on rencontre, comme Don César de Bazan en Alger, des femmes vertes, jaunes, bleues, des paysages lunaires, polaires, stellaires, des visions macabres ou séraphiquement fatales, en dépit de ces cocasseries naïves ou prétentieuses, et bien faites, hélas ! pour donner la nausée de la peinture, on voit, dans ce Salon des Indépendants, des choses attirantes, d’une lumière charmante, des œuvres sincères, des paysages délicats, des toiles de choix, qui seront peut-être un jour des toiles de prix.
Salon à voir, comme celui de la Rose f Croix, comme tous ces salons et salonets où se heurtent,
se combattent, s’essaient, se cherchent tant de tempéraments et d’où sortira — qui sait?— quelque jour un vrai peintre, un grand peintre! Ainsi soit-il!
Ce souhait me fait penser au Père Didon. Il a, dimanche, opposé sa concurrence au soleil. Malgré le ciel printanier, la Madeleine était pleine, et l’au
ditoire a pu entendre l’éloquent prédicateur parler de 1870, en ajoutant que la France pouvait sans crainte désormais envisager l’avenir. Ce petit coin de dérouléclisme dans un sermon n’a pas déplu. On redevient mystique et chauvin depuis quelque temps.
Mystique au point de retourner vers les mystères du moyen-âge, et le père Didon justement a loué pour les élèves de la maisond’Arcueil (c’est M. Sarcey qui nous l’apprenait l’autre jour) un certain nombre de places au Théâtre-Moderne où l’on donne en matinée le Christ de M. Grandmougin. Le Christ! Spectacle de carême, ou je ne m’y connais pas.
Mysticisme et réclame mêlés. L’autre jour, rue de Rivoli, je voyais des hommes-affiches, des hommessandwichs, promener, avec la gravité hiératique de ces coolies parisiens, une image représentant le calvaire, avec Jésus crucifié entre les deux larrons. Au-dessous s’étalait la distribution de ce mystère, le Christ, et les promeneurs pouvaient lire, sur ce programme ambulant :
Jésus: M. Delaunay fils ; Judas: M. Decori ;
Madeleine : M1Ie Sanlaville.
Et cœlera. Bayreuth et le bayreuthisme nous envahissent sous toutes leurs formes. Wagner d’un côté, Oberammergau de l’autre. Dans son dégoût de tout ce qu’on lui a donné de raffiné, le public va au naïf, à l’enfantin, et préférera bientôt à Madame Bovary ou au Père Goriot les Contes de ma Mère l’Oie. Seulement, ne croyez pas que ce soit un pro
grès. C’est un retour aux puérilités d’un autre â»v. J’adore les marionnettes,mais j’imagine que j’eusse mieux aimé Talma. Oberammergau me semble pit
toresque, mais je préfère Polyeucte où il y a moins de naïveté et plus de génie.
Tout cela, c’est de la curiosité peut-être, mais c’est de l’art à reculons. Et si c’est de l’art religieux
ma foi, sans être puritain, je préfère une prédica
tion de Mgr d’Hulst à la vue des épaules sanctifiées de M11» Sanlaville en Marie-Madeleine. Ou à un autre point de vue, qui est celui du théâtre celuilà, je préfère, même en carême, les épaules de
M118 Sanlaville aux. sermons de Mgr d’Hulst Mais voyez où nous en arrivons ! Notre-Dame se mêle au Théâtre-Moderne et M. Delaunay fils, après avoir joué le Monde où Von flirte, nous invite à faire notre salut avec le Christ ! « Laissez venir à moi les petits spectateurs ! » Eh bien, je n’aime nas beaucoup que l’on mêle le sacré au profane et fen veux aux naturalistes remplacés et aux réalistes qui ont amené par leurs débauches de erossièr-PtA cette débauche de mysticité.
Cela passera comme le reste.
Rastignac.
COURRIER DE PARIS
pauvre Albert Wolff eût ajouté, à propos du Restaurateur des Lettres, un amusant chapitre documenté, comme on dit, à son livre la Haute noce.
Et je me rappelle le soir de Champigny, quand la froide nuit de décembre tombait sur nos champs, gelant nos mobiles sous leurs capotes, un petit of
ficier saxon que ma compagnie avait fait prisonnier, et que nous conduisions au fort de Yincennes.
Il mettait ses gants tout en marchant et allumait un cigare.
Puis, avec un léger accent narquois :
— Pardon, me dit-il, si l’on me mène à Paris, pourrait-on me faire une grâce ? — Laquelle?
— Me laisser un soir diner chez Brébant. Il y a là, écrit avec un diamant sur une glace, un nom... un petit nom... Je voudrais savoir s’il est effacé!
Ah! que de noms inscrits ainsi sur les glaces banales de Brébant! Rinceaux, paraphes, orthographes et autographes bizarres! L’homme, ce pas
sant, n’a qu’une idée : laisser à l’avenir, qui s’en soucie fort peu, la trace de ce passage.
Cela est tellement vrai que les vitres des ascenseurs de la Tour Eiffel sont ornées de signatures multiples et baroques, absolument comme les glaces du restaurant Brébant. Tandis que la cham
bre mobile monte ou descend, les ascensionistes trouvent le temps, en quelques minutes, de graver sur le verre quelques-unes de ces inscriptions qui nous rappellent M. Perrichon escaladant la mer de glace.
J’y ai lu ce nom :
MmB Bonnivet et son cher mari. Puis une ligne au-dessous :
Et Georgette aussi.