LES THÉATRES
Opéra : Faust. Rentrée de M. Bouhy. — Menus-Plaisirs : Articles de Paris, opérette en trois actes de M. Boucheron, musique de M. Audran. — Porte-Saint-Martin : Le Voyage dans la Lune.
Grâce aux excellents rapports de M. Campo-Casso avec le théâtre de Marseille dont il a été un des direc
teurs, le service de l’Opéra est complètement assuré. Vient-il parce temps d’influenza et de rhumes à manquer un ténor, un baryton, un soprano ou un contralto à notre Académie de musique, un télégramme est lancé, et Marseille avertie nous expédie de suite un Raoul, un Don Juan ou une Valentine, selon le besoin, comme un
restaurateur patenté de la Cannebière vous envoie pour le diner une brandade ou une bouillabaise. Sans Mar
seille l’Opéra faisait relâche lundi dernier. Il avait an
noncé Faust pour la rentrée de M. Bouhy: M. Vaguet devait jouer Faust, Mme Bosman, Marguerite. Ces deux artistes se sont trouvés indisposés. On a eu recours à Mllc Marcy que Marseille nous a cédée depuis quelque temps, et l’on a appelé, par dépêche, M. Alvarès, lequel a quitté immédiatement Marseille, est parti pour Paris et a joué le soir même de son arrivée sur cette scène de notre Opéra qui lui était parfaitement inconnue.
Vous jugez comment a du marcher cette singulière représentation dans laquelle les artistes se rencon
traient pour la première fois. Incertitude dans la mise en scène, désarroi dans l’exécution ; surprise des ac
teurs, étonnement du public; si bien que la rentrée de M. Bouhy s’est faite au milieu de ces incidents sans exciter la moindre curiosité. C’est dommage. M. Bouhy est un artiste des plus consciencieux, un chanteur de la bonne école, d’un style très correct. Faut-il juger sur cette soirée malencontreuse M. Alvarès, qui nous a paru, dès ses premières phrases, terrorisé de celte aventure? As
surément non. Il a une jolie voix, le reste viendra peutêtre. Il faut savoir attendre. Müe Marcy possède une voix de soprano d’un volume bien mince et qu’elle conduit en écolière. Elle ne lutte pas contre les difficultés, quand elles se présentent, elle les respecte comme étant trop fortes pour elle. Mlle Vincent faisait dame Marthe, qu’elle jouait, me dit-on, pour la première fois; aussi,
les yeux sans cesse fixés sur le chef d’orchestre, battaitelle la mesure par un mouvement de son corps et de
ses mains, et lorsque ses rentrées ou ses répliques lui échappaient, elle regardait, effarée, son partner et sem
blait lui dire : « Ce n’est vraiment pas ma faute ». Et il serait injuste de s’en prendre à Mllc Vincent qui, sans doute, avait averti la direction qu’elle ne savait pas le rôle. Mais que voulez-vous! ce soir-là l’Opéra était en pleine déveine, et Marseille elle-même n’a pas pu le ti
rer d affaire. Peut-être aurait-il fallu s’adresser à une autre ville de province.
L’Article de Paris que les Menus-Plaisirs nous ont donné est de MM. Boucheron et Audran, les deux au
teurs de Miss Eelyett, dont six cents représentations n’ont pas encore épuisé le succès. J’espère que l’opé
rette des Menus-Plaisirs aura la même fortune que celle du théâtre du passage Choiseul. J’en doute pourtant :
l Article de Paris n a pas cette franchise de la bonne bouffonnerie ordinaire, elle est rehaussée d’une certaine teinte d’observation et de quelques tons de comédie dont la finesse pourrait bien entraver sa -Inarche en avant. Nous sommes, au premier acte, dans la cour d’une maison qu’occupe M. Lebadois, le riche commission
naire en marchondises. Les placiers attendent avec leurs articles de Paris que le patron veuille bien les recevoir. Dans cette foule apparait une jeune et jolie blonde, Müe Jeanne, courtière en fleurs artificielles, et qui, du droit de son frais minois, passe avant tout le monde dans le bureau de M. Lebadois.
Du reste, elle est la protégée de M. Pierre, lequel est le premier garçon de M. Lebadois. Homme pratique, M. Pierre! il a bien jugé Jeanne; il la sait rangée, la
borieuse, et prévoit qu’elle fera fortune, et il calcule que l’épouser serait une excellente affaire. Tout ce monde en tient pour Mlle Jeanne : et Lebadois, ce veuf qui se con
solerait volontiers avec cette jolie fille dont il tente la vertu et qui lui répond carrément par des gifles, et ce Séraphin, cet être énigmatique, qui sert d’homme de peine, de trottin à la belle, et dont le roman nous sera dévoilé sur le tard. Nous connaissons donc déjà les di
vers personnages lorsqu’on nous amène en scène Mllc Estelle Lebadois qui s’est fait mettre à la porte du lycée de jeunes filles où on cultivait son éducation. Mlle Estelle qui a la parole nette et le verbe haut signifie à son père qu’elle veut se marier.
L’homme choisi par elle, c’est M. Pierre, et cette lycéenne enjoint à son père de passer ses gants blancs, de faire au plus vite la demande en mariage et de prendre M. Pierre pour gendre et pour associé à la fois. Lebadois offre la main de son enfant à son commis, un
pieu gêné qu’il est dans ses entreprises amoureuses par la présence de sa fil lé. et Pierre, qui reçoit immédiate
ment une dot, ne s’inquiète que médiocrement des engagements pris avec Jeanne, laquelle, indignée de cette lâcheté, soulage d’abord sa colère par quelques souiflets et médite ensuite une vengeance plus complete.
Elle ruine Lebadois, cet imbécile qui, sous prétexte d’un amour à venir, achète un hôtel à Jeanne, depense sa fortune pour elle dans un luxe insensé et pend poui
le moment une crémaillère dans une fête ordonnée par M. Séraphin, l’intendant, devenu de plus en plus mys
tique et de plus en plus amoureux de Jeanne, pour laquelle il traduit à sa façon le sonnet d’Arvers.
La lin prévue de tout ceci est arrivée. Lebadois est ruiné à plates coutures, et avec lui, sa fille et son gendre ; ils tombent les uns et les autres dans une telle mi
sère, que Jeanne, qui est bonne fille en somme, a pitié de ces panés, et l’oubli est d’autant plus facile, quelle se sent touchée d’amour pour Séraphin, toujours à ses cotés et toujours solitaire: dans un bon mouvement, elle rend à Lebadois et à sa famille les sommes énormes qu’elle a reçues de lui, et, généreuse jusqu au bout, elle offre sa main à Séraphin qui l’accepte avec trans
port. Et quel est donc cet ange gardien de son honneur? Un fils de famille qui rachète par le travail les erreurs de sa jeunesse, qui a reconquis sa fortune, et qui la dépose aux pieds de Jeanne dont il récompense ainsi la vertu.
Une très jolie musique circule d’un bout à l’autre de cette fantaisie. On a applaudi presque tous les couplets et ils sont nombreux. Ceux que chante Jeanne, et que Y Il
lustration donne, ont eu les honneurs de la soirée avec le sextuor du troisième acté, ce sextuor des panés que le public a redemandé par trois fois. La pièce est vive
ment enlevée par Mlle Méaly, charmante dans le rôle de Jeanne, par Mlles Deval, Netty, par MM. Hérault, Vandenne et Destrez, un type des plus amusants de vi
veur repenti auquel l’amour refait une virginité. La mise en scène, très soignée, fait le plus grand honneur au directeur de la scène, M. Alexandre fils.
Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a repris Le voyage dans la lune. De très beaux costumes, des décors splen
dides, deux ballets des mieux réglés et des plus curieux. En faut-il davantage pour assurer le succès de cette féerie, sans compter l’attraction de M c Jeanne Granier qui fait le prince Caprice, sans compter M. Dailly. le roi Vlan, M. Péricaud, le roi Cosmos, et M. Pougaud, le ministre Microscope. Voilà donc le Voyage dans la lune pour longtemps sur l’alflche.
M. Savigny.


ARTICLES DE PARIS


Couplets chantés par Mlle MEALY