ET Ravachol? Ravachol est ee malfaiteur légendaire qui déjà assassin, pas mal anarchiste, est accusé d’avoir fait sauter l’escalier de la maison du boule
vard Saint-Germain. On le cherche, Ra
vachol, la police est enchantée d’avoir un nom à mettre sous les attentats anonymes :
— Oh ! nous savons qui c’est. C’est Ravachol!
Cependant, on cherche Ravachol, et l’on ne prend pas Ravachol. On cherche aussi les frères Mathieu. Ravachol et Mathieu sont dépistés. Mais, tandis
qu on fouille les hôtels de Saint-Denis pour attraper Ravachol et qu’on demande des renseignements sur les frères Mathieu, voilà qu’un ami ou .des amis de Ravachol, ou peut-être Ravachol, donne ou donnent à Paris un réveil des plus désagréables.
Je lisais, ce dimanche matin-là, le Figaro pour y trouver le compte-rendu de la séance de la veille et .je passais de M. Delahaye à Mgr d’Hulst et de M. Pichon à M. Loubet, en songeant que le P. Forbes aurait bien pu garder pour quelque revue anglaise ses appréciations sur l état sanitaire de nos soldats, lorsqu’un ami entra, effaré :
— On vient de faire sauter une maison, au coin de la rue de Clichy et de la rue de Berlin. La mai
son du pharmacien, celle du relieur à qui j’avais donné quelques volumes.
Faire sauter, c était trop dire. Mais essayer de faire sauter et dynamiter, c était exact. Et, comme tout Parisien curieux, je suis allé voir les dégâts. Ce n’était pas joyeux. La pauvre maison était comme éventrée, avec ses rideaux pendant hors des fenê
tres aux vitres et aux boiseries brisées. A terre, les morceaux de verre couvraient le pavé, en me
nus morceaux comme les gais confetti de ce jeudi
de la Mi-Carême qui cachaittant de sauvagerie sous son rire.
En vérité, on a beau se dire qu’il faut prendre tout au sérieux, rien au tragique, il n’est pas pos
sible de nier que Ravachol — puisqu’il incarne tous ces méfaits — Ravachol, dis-je, ne soit point un peu tragique. C’était le sentiment de toute cette foule qui restait plantée, malgré la pluie, devant la maison aux plafonds crevés, aux meubles émiettés, vidée brutalement par le crime. La foule, avec son instinct, sent qu’il faut compter avec un nouvel élément d’inquiétude. Ou s’y fera sans doute, mais l apprentissage est dur.
Et quand je pense qu’un fonctionnaire de la police disait, l’autre jour :
— Bah ! ce sont des fumisteries ! On prend les manches des lanternes de voitures et on les met dans les maisons pour effrayer les concierges qui les prennent poiir des rouleaux de cartouches !
Les optimistes sont, en pareil cas, aussi agaçants que les pessimistes, les plus ennuyeux de tous. On nous dit : « C’est comme cela partout ! » Et c’est un peu vrai.
Il faut que le monde s’accoutume à une existence nouvelle. On ne danse plus sur un volcan, mais on y déjeune, on y dîne et l’on y couche, et ce n’est malheureusement pas un volcan du Voyage clans la Lime.
Ces anarchistes sont des trouble-fètes bien absurdes. Ils vont amener la plus effrayante des réac
tions. On raconte dans les salons que deux ou trois délégués sont allés voir M. Taine. Le savant acadé
micien a écouté leurs théories, puis il leur a dit doucement :
— Mais c est vieux comme la vieille humanité ce que vous me racontez là. Voulez-vous que je vous dise ? C’était vieux du temps de Rhamsès.
Les anarchistes n’ont pas répliqué à ce Rhamsès inattendu. Mais ils auraient répondu à M. Taine que leurs vieilleries ont trouvé le moyen de se ra
jeunir chimiquement et que, du temps de Rhamsès,
on ne connaissait pas la dynamite. Ah ! si le secret de cette belle invention pouvait donc être perdu, comme celui de feu le feu grégeois !
Comment voulez-vous qu’après ce gros sujet de conversation, qui a rempli les journaux jusqu à l ennui, je vous parle de ces perruches fantasti
ques qui apportent la mort sous leurs plumes ou dans leur bec recourbé? N’est-Ce pas aussi ef
frayant, cela, que la dynamite, et Edgar Poë n en aurait-il point tiré parti? La Perruche homicide !
Triple assassinat par une perruche ! et quel horizon ouvert aux criminels ! Jeanne d’Albret empoisonnée en mettant des gants préparés par René,
Vautrin tuant un homme en lui passant la main - une main intoxiquée — dans les cheveux, tous les crimes de l histoire et du roman n ont point l ori
ginalité de cette transmission de la mort par un volatile. On caresse une perruche : Bonjour, Jac
quot ! La perruche répond je ne sais quoi, sur quoi d’ailleurs on s extasie. Et c’est fini. La mort est venue, une mort infectieuse. La perruche vous a tué.
A qui se fier si les oiseaux se font les commisvoyageurs de la maladie? Et le diable emporte les microbes ! Ils sont aussi désolants, aussi attristants, aussi assommants que Ravachol.
J’ai déjà quelque méfiance de nos semblables, mais si je dois me mettre en garde contre les ani
maux, ces frères inférieurs qui sont souvent plus aimables que nos. frères égaux, je perdrai décidé
ment toute confiance. Le jour où il me sera prouvé que le lézard, ami de l’homme, est homicide à son tour comme la perruche — la bourgeoise et banale perruche — ce jour-là je ne croirai plus à rien.
A qui et à quoi poiirrait-on croire? Il fut un temps où un concierge pouvait dire :
— Je surveille une maison très bien. Nous avons un magistrat au premier ! Les malfaiteurs ne s’y frotteraient pas !
il n’oserait plus dire cela aujourd’hui, le bon concierge. Avoir un magistrat dans sa maison c’est avoir la foudre logée sous son toit. Un magistrat, ce n est plus un paratonnerre, c’est le contraire.
Il ne fera plus bon rendre la justice puisqu’une Sainte-Wehme est organisée contre les juges. A Rome, dès qu’on a connu la nouvelle dynamitique venue de Paris, M. Nicotera a donné l’ordre qu’on surveillât de très près les maisons des magistrats. M. Georges Berry, le conseiller municipal, racon
tait devant les ruines de l’immeuble de la rue de Clichy qu’un propriétaire ayant un substitut pour locataire lui avait donné congé sur-le-champ.
— Mais où voulez-vous que j aille? demandait le substitut.
— Allez où vous voudrez, mais ne restez pas chez moi.
Il y aura quelque jour une complainte du Magistrat-Errant comme il y a déjà celle du Juif-Errant,
Et pourtant il faut bien des magistrats, ne fût-ce que pour juger les anarchistes et les dynamitards, ces brutes imbéciles qui, pour réformer la société,
blessent de pauvres servantes et risquent de tuer des enfants nouveaux-nés.
M. Aurélien Scholl, qui habite en face la maison dynamitée et qui a recueilli la fillette du pharma
cien, a eu une jolie observation : « Pauvre petite ! Naître un jour d explosion! Qu’est-ce quelle va penser de la vie ? »
Elle se dira, un jour, que la science dont nous sommes très fiers est une terrible collaboratrice de la mort entre des mains scélérates. Il y a, dans la pharmacie de son père, bien des substances accu
mulées pour donner la santé aux souffrants. Que des fous ou des gredins s’en emparent et ces subs
tances donnent la mort. Est-ce une raison pour maudire toutes les découvertes et souhaiter un re
tour aux siècles d’ignorance? Non. Mais c’est une raison pour ne pas nous vanter si fort de nos lu
mières. Il y a toujours de la bête féroce dans l’homme, même au siècle de Pasteur, qui n a pas dompté toutes les rages, même au siècle d’Edison.
En attendant, des plaisants — car il faut, à Paris, qu on plaisante toujours, et ce n’est pas cette belle humeur qui me déplaît chez les Parisiens — des gens gais ont proposé de baptiser la petite fllle du
pharmacien Fournier de ces deux prénoms : Dinah Mite.
On sourit, si c est sourire, comme on peut. Car, en réalité, on ne parle que de cette affaire. Et comment pourrait-on parler d autre chose? L’Exposi
tion des pastellistes? C’est agréable, mais ce n’est pas très dramatique. Le Concours hippique? Il est toujours très fréquenté, très intéressant, mais il n’est point très palpitant. La réception de M. Pierre Loti à l Académie? Ce n est pas pour cette semaine. L Exposition du peintre Th. Ribot? C’est pour plus tard. Celle de Raffet? Oui, elle est captivante, parce qu’elle remue en nous bien des souvenirs, fait vi
brer, avec la corde d’art, une autre corde toutepuissante, celle du patriotisme.
On s’est enfin aperçu que Raffet était le plus grand des peintres militaires, et un amateur d’art tout àfait exquis, M. Henri Beraldi, vient de publier une sorte d’album qui se vend au profit de la souscription Raffet, sous ce titre : Raffet, peintre natio
nal. Publication vraiment superbe, ou les planches les plus célèbres de l admirable artiste sont rendues dans leur dimension originale.
Et, à côté des pages épiques, je rencontre la les reproduction de ces lithographies gouailleuses qui sont demeurées si justement célèbres.
Des soldats de la République, sac au dos, sont enfoncés jusqu’au-dessus du_genou dans , une iivière. Ils entourent un représentant du peuple comme eux prenant ce bain de pieds patriotique et qui leur dit froidement (c’est le cas) :
— L’ennemi ne se doutepas que nous sommes là. Il est sept heures; nous le surprendrons à quatre heures du matin!
Même plaisanterie analogue d un sergent qui donne cet ordre à ses grenadiers enfoncés dans un marécage:
— Il est défendu de fumer; mais vous pouvez vous asseoir.
Je trouve là aussi l’admirable lithographie qui fait comprendre tout l’empire, le fanatisme des troupiers pour leur empereur. Les grenadiers défi
lant sous la pluie, par une route détrempée. Et, devant eux, sur son cheval blanc, à côté de maré
chaux enveloppés de leurs manteaux, Napoléon, mouillé et pensif. Et, au-dessous, cette légende qui en dit aussi long en six mots que les vingt vo
lumes de M. Thiers: Ils grognaient et le suivaient toujours.
Meissonier avait vu ces lithographies. M. Béraldi nous raconte comment le pauvre grand Raffet mourut. C’est presque une histoire fantastique.
Le peintre voulait faire pour la campagne d’Italie de 1859 ce qu’il avait fait pour l Algérie, l expédi
tion d’Anvers, pour le siège de Rome. Il partit en 1860. Palestro, Montebello, Magenta, Solférino, il voulait illustrer cela. Le 7 février il quittait Paris, le Il février il mourait à Gênes.
« Quelques jours après, on pouvait voir sur le pont d’un bateau allant de Gènes à Marseille, une caisse marquée :
Dessus
M. RAFFET
(Fragile) Dessous.
« C’était le cercueil de l artiste, ainsi expédié sous forme de colis, pour ne pas impressionner les matelots, très superstitieux, comme on sait, à l’endroit de l’enterrement des morts. »
La tombe de Raffet est au cimetiùre Montparnasse. L’armée n’oubliera pas qu’avec deux de ses légendes, l artiste, comme le ditM. Béraldi, semble laisser à nos soldats comme un mot d’ordre et une promesse de victoire : — Nous reprendrons ça ! dit l’une. Et l’autre : Ils ont tenu parole !
J’avoue que feuilleter ces lithographies héroïques, cela m’a consolé de la vision de la maison éventrée. Ce n est pas souriant, la guerre, mais toutes ces horreurs n’équivalent pas à la lâcheté du politicien chimiste qui place sans danger sa machine infernale sous le lit des gens endormis.
On nous l’avait dit autrefois : « Si M. Thiers est chimiste, il nous comprendra! » Mais M. Berthelot, qui est plus chimiste que ne l était M. Thiers, a pris soin de nous rassurer. On ne peut fabriquer comme l on veut des cartouches de dynamite. Si l on en trouve quelques centaines dans la circulation (le mot est coquet), c’est qu’elles ont été volées.
C est toujours le petit londs de Soisy-sous-Etioles qui opère. Ce fonds épuisé, ou saisi par la police, il sera, paraît-il, assez malaisé de le reconstituer
C’est M. Berthelot qui nous en donne l’assurance au nom de la science et béni soit le jour où il nous a donné ce brin de consolation !
Béni soit le jour! Vous rappelez-vous cette lettre du général Boulanger au duc d’Aumale? On en fit jadis des gorges chaudes. La légende boulangiste vient d’avoir son post-scriptum. On a vendu à Bruxelles le mobilier, les hardes, les bibelots, les livres, le cheval Jupiter, du général. Mobilier d of
ficier modeste. Des lidèles sont venus acquérir des reliques sous le feu des enchères, un feu peu éclatant : Chinchoiie, Séverine, Paul Déroulède, je crois. Cela a été à la fois assez touchant et assez triste. Quelle destinée! Mais on a tout dit
sur elle. Il lui manquait pourtant, à l’aventure, cette mise en vente du bric-à-brac du suicidé, cette dispersion des vêtements et meubles du vaincu qui
eussent pu, en cas de victoire, figurer comme la redingote grise dans quelque vitrine du Musée des Souverains.
Une jolie lettre d invitation qu on me montre pour finir : « Madame Nicolini sera chez elle le — la Pàtti chantera »,
Rastignac.
COURRIER DE PARIS