Ah! le joli mois d’avril!... Peut-être ai-je tort de le saluer et de le louer aussi vite. Qui sait? Il se sera fait maussade et pluvieux peut-être avant que ces lignes, écrites par un beau so
leil, voient le jour. Peu importe: il faut noter, ne fût-ce que par reconnaissance, ces premières journées d’un avril souriant qui teint en vert nos jardins et nos squares.
Et joli malgré les exécutions capitales, les Kavacholistes et les Premiermaitisles qui, d ailleurs, ne sont pas des fleurs essentiellement parisiennes. Il y à quelques jours je me trouvais en Espagne. Il taisait chaud et j’entrai dans une orchateria pour prendre quelque orgeat de chnfas ou une liqueur trempée d eau. Je demandai de l’anisette. On m apporta une bouteille étiquetée d’une gravure polychrome, représentant deux ouvriers attablés devant une horloge dont le cadran marquait la huitième heure, et légèrement enveloppée d’un drapeau rouge.
L’étiquette portait cette inscription :
Antonio Gualba Mataro’ Barcelona. —Anis ciel 1° cle Mayo. Anisette du 1er mai !
C’est la boisson à la mode dans les cabarets d’Espagne. On trinque au 1er mai, tout en regar
dant sur la bouteille l aiguille de l’horloge arrêtée sur le chiffre 8. Symbolisme et Anis mêlés: l éti
quette réclame ainsi la journée de huit heures, absolument comme les travailleurs des deux mondes qui fêteront, le 1er mai, la fête du travail en ne travaillant pas.
Oh ! ce 1er mai ! Je n’entends de tous côtés que ces mots :
— Certainement je no resterai pas à Paris le 1 mai !
Et pourquoi? Le 1er mai sera le 1e1 mai partout et il faut s’habituer à ces mœurs nouvelles.
Attendons-le. Ces bons reporters ont déjà interrogé les chefs socialistes qui, interviewés, ont répondu :
— Il n’y aura rien!... Une promenade! Le Longchamp des ouvriers !
Lorsque M. Loubet, succédant à M. Constans, était allô rendre visite à celui-ci avant de le rem
placer, on raconte que le ministre de l intérieur demanda à son prédécesseur.
— Et, pour le 1er mai, avez-vous la moindre inquiétude?
— Oh ! répondit en souriant M. Constans, maintenant: je n’en ai plus 1
Lemot est peut-être une invention de reporter. Ils ont intervieioé Mlle Gonzalès, la maîtresse d’Anastay, danseuse à la Villa Japonaise, boulevard de Strasbourg, et je note ces mots rapportés par Y In
transigeant, et prononcés avec un petit accent espagnol :
— Je lui ai prêté trop d’argent... Dorénavant je ne m’attacherai plus à personne... à personne... C’est une bonne leçon pour moi... Et le reporter demandant ;
— On vous prêtait l’intention de le suivre en Nouvelle-Calédonie si sa peine était commuée...
Mllc Gonzalès répond :
— J’ai dit ça dans oun moment de sourexcitation. Je ne parlerai point des reporters qui ont cultivé la querelle entre Zola et Loti.
— Que pensez-vous du discours de Loti? ont-ils demandé à Zola après la réception de l’auteur de Mon frère Yves.
— Que pensez-vous de la réponse de Zola? ontils demandé à Loti après la réponse de l’auteur de Y Assommoir. Vieille querelle, oubliée maintenant.
Cependant on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi M. Pierre Loti a fait à l’Académie cette charge à fond de train contre le naturalisme puisque le lendemain il déclarait dans les journaux son admiration au chef du naturalisme.
Monstrueux talent, disait le discours. Talent génial et immense, disait la lettre. Où est la vérité?
J’entends la vérité des sentiments de Loti. Je sais bien que Loti a donné l’explication de son change
ment apparent d’opinion : « Quand je parlais à l’Académie, je ne savais pas que M. Zola était pré
sent! » Mais il savait bien que M. Zola lirait son discours quand il l’écrivait.
Moralité, le mot de Fiévée sera toujours excellent à mettre en pratique : « Je ne parle jdmais des gens que comme si je leur parlais. »
L’aximne serait- moiiïs-facile-à pratiquer en politique ! Tudieu ! lorsque la passion s’en mêle on en
voit ou on en entend de belles! la discussion sur la politique coloniale a soulevé des tempêtes. Le petit roitelet sauvage du Dahomey se doute-t-il qu il a mis lefeu aux poudres?Oui, il s’en doute, il le sait,
car, en Afrique comme en Asie, on n’ignore rien de tout ce qui se dit et s’écrit en France.
On retrouve de nos journaux jusque sous les tentes des Arabes. Les pirates chinois, dans leurs repaires, au fond des montagnes, ont des numéros du Journal Officiel. Et les petits Tonkinois de la rue du Pont-en-Bois ou de la rue du Sucre se disent, en lisant les beaux discours de nos politiciens :
— On dit que les Français veulent s’en aller. Que deviendrons-nous quand les Chinois vont revenir!
Et notez que les dédaigneux de toute expansion coloniale sont les premiers à trouver ridicule, absurde, coupable, criminel, le mot de Louis XV relatif au Canada, qu il perdit comme à plaisir :
— Qu avons-nous à faire de quelques arpents de neige ?
Nous subissons la politique de gens qui, comme on dit vulgairement, ne voient pas plus loin que leur nez. Mais, après tout, peut-être en a-t-il toujours été ainsi ! Je m’imagine que le monde se gouverne lui-même, et que l’humanité fait son chemin, mal
gré les hommes. Que n’a-t-on point dit, par exemple, de l insuffisance de nos représentants à l’étranger et, pour parler la langue du boulevard, des gaffes (je vous demande pardon) qu’ont pu commettre les ambassadrices des nouvelles couches ? Eh bien, je ne sais où .j’ai lu que les grandes dames du temps passé — qui n étaient pas des couches nouvelles — en commettaient bien d autres. Par exemple, la marquise de Nouilles, ambassadrice île France en Angleterroen 1777, donnant un jour un grand dîner à Londres, dit tout à coup qu’elle ne concevait pas pourquoi l’on parlait tant de la modestie des An
glaises; qu’il n y avait point de femmes en Europe dont les mœurs fussent plus dépravées. On peut se figurer le désespoir et la consternation du marquis deNoâilles, l’ambassadeur :
— Mais, madame de Nouilles, mais en vérité... mais pensez-vous... mais savez-vous ce que vous dites ?
Elle n’en tint aucun compte et poursuivit :
— Oui, monsieur, j’en suis sûre ; et, pendant le dernier bal masqué, la duchesse de Devonshire et lady Granly ont été s enivrer de gin dans un cabaret du voisinage. Oui, oui, oui !...
L’Ambassadeur pensa en mourir de chagrin, et les autres de rire.
Eh bien, supposez une ambassadrice de la République commettant cette étourderie colossale en plein dîner diplomatique, quel toile ! Lord Dufferin en serait averti par le télégraphe, et on lui com
manderait de battre froid à un gouvernement ainsi représenté. La marquise do Noailles, pourtant,
c’était une vraie grande dame ! On n’a pas encore raconté pareille aventure de la femme d un de nos ambassadeurs.
M. Féry d’Esclands s’en va en une sorte d’ambassade patriotique porter au tzar une généalogie de la famille impériale de Russie gravée sur plaque d’or enrichie de pierreries. Les petits cadeaux en
tretiennent les grandes amitiés. Parlerons-nous de la fête franco-russe, dont Mme de Morenheim est présidente ? Plus nous allons, et plus nous nous russifions, et ce n’est pas pour nous déplaire.
Il y a Pâque solennelle à l’ambassade de Russie, et on eût presque dit que c’était une Pâque natio
nale. Je sais nombre de Parisiens qui n eussent, pas quitté Paris s ils eussent pu y assister. Mais, le beau temps aidant, et l’humeur vagabonde qui est un des caractères de la vie moderne s en mêlant, tous les Parisiens qui se sentent un peu libres ont profité de la semaine sainte pour changer d’air. Pâques est un exode, tous les ans. Les concerts spirituels qui sollicitent seuls le public lorsque les théâtres sont fermés ne suffisent pas à retenir les gens sur les boulevards. Ils veulent voir si la forêt de Fontainebleau a des feuilles, si la neige com
mence à fondre au sommet des montagnes ou si le soleil a déjà réchauffé la mer. Je n en sais rien, mais je constate ce phénomène, que j’ai vu di
manche dernier, jour des Rameaux, sept ou huit gamins se baigner entièrement nus, comme des lazzaroni napolitains, dans les eaux d’Argenteuil. Des bains froids au 10 avril, c’est un trait à noter,
car il est rare. Ne payerons-nous point cela en mai, en ce mai qui défrisera peut-être les folioles vertes prématurément épanouies? Bah! en attendant:
Le soleil luit sur toutes choses : La terre est verte et le ciel bleu.
O pommiers-blancs et pêchers roses! ..... C est l’aquarelle du bon Dieu !
Et c’est bien pourquoi aussi lès Parisiens s’en vont un peu partout voir cette très variée exposi
tion d’aquarelles que nous présentent les voyages. Ils s en vont aussi au Champ-de-Mars voir cette intéressante exposition du Blanc et Noir pour laquellu M. Bernard a trouvé cette année un si beau cadre. Très réussie, cette exposition, qui s’étale à l aise dans l’immense salle du palais des Beaux-Arts. C’est un but de promenade artistique en ce printemps ensoleillé,en attendant les soirées que nous promettent MUo Réjane et le Brevet supérieur, attendus impatiemment.
Elle a été souffrante, Mlle Réjane. Les derniers cris de Germinie Lacer!eux lui ont fatigué la voix, cette voix mordante et si bien timbrée. Et Meillme de voir sa comédie nouvelle reculée, le Brevet su
périeur, une satire qu on nous dit très narquoise des examens de nos jeunes filles modernes ! Baron, l’étonnant Baron, poussant des colles à Mlle Réjane.
— Passez au tableau, mademoiselle !
C’est un type, ce Baron, un des plus prodigieux bouffons de ce temps. Il incarne avec infiniment d’esprit la solennité bête et la prud hommerie dé
clamatoire. Avec cela très drôle. Quand il était di
recteur, et qu’un auteur lui apportait un manuscrit, il lui montrait, à la muraille de son cabinet, un portrait de Molière et disait :
— Lisez... J écoute... mais songez qu il nous regarde!
Baron vaut Brunet, qui inventa Jocrisse. Et Jocrisse, ce valet niais et stupéfiant, a, du reste, chargé la bêtise, ou plutôt il n est pas si bête. Jocrisse !
J ai un domestique qui casse tout, bêtement, comme Jocrisse, mais qui sait s’excuser avec infiniment d’adresse dans sa sottise maladroite.
Il casse l’autre jour un bibelot sur une étagère. — Qu’est-ce qu il y a?
— Rien, monsieur. C’est une statuette qui s’est jetée du haut, de la vitrine!
il a eu une phrase plus curieuse encore.
— La théière japonaise, elle est donc brisée? lui demandais-je.
— La théière? Oui, monsieur, oui, c est le sucrier qui, en passant, l’a poussée, et l’a fait tomber!
O Jocrisse ! Pas si Jocrisse !
Rastignac.
Les vieux s’en vont, les jeunes n’arrivent pas.
X. (cité par Aur. Scholl.)
La femme d intérieur est un oiseau rare qui suppose un oiseau plus rare, l’homme d’intérieur.
Octave Feuillet.
Je n’ai jamais écrit que quand j’avais l’esprit hanté d une chose, le cœur liante d une souffrance, et il y a toujours beaucoup trop de moi-même dans mes livres.
P. Loti.
La nature a en elle-même une valeur absolue, mais sa beauté n est comprise que par ceux qui savent la voir.
Alfr. Mézières.
*
Agir, créer, se battre contre les faits, les vaincre ou être vaincu, toute la joie et toute la santé humaines sont là.
Zola. *
* *
L’Académie existe pour la vanité de quarante personnes et pour le divertissement de quelques centaines d’autres.
Paul Desjardins.
Il est aussi difficile d accorder la psychologie et la physiologie dans le roman que l’idéal et le réel dans l’art : l’un tue l autre, ou leur lutte tue l œuvre.
Notre siècle aura gaspillé plus d idées que le plus fou des prodigues ne jette d argent par les fenêtres.
G.-M, Valtour.
COURRIER DE PARIS
leil, voient le jour. Peu importe: il faut noter, ne fût-ce que par reconnaissance, ces premières journées d’un avril souriant qui teint en vert nos jardins et nos squares.
Et joli malgré les exécutions capitales, les Kavacholistes et les Premiermaitisles qui, d ailleurs, ne sont pas des fleurs essentiellement parisiennes. Il y à quelques jours je me trouvais en Espagne. Il taisait chaud et j’entrai dans une orchateria pour prendre quelque orgeat de chnfas ou une liqueur trempée d eau. Je demandai de l’anisette. On m apporta une bouteille étiquetée d’une gravure polychrome, représentant deux ouvriers attablés devant une horloge dont le cadran marquait la huitième heure, et légèrement enveloppée d’un drapeau rouge.
L’étiquette portait cette inscription :
Antonio Gualba Mataro’ Barcelona. —Anis ciel 1° cle Mayo. Anisette du 1er mai !
C’est la boisson à la mode dans les cabarets d’Espagne. On trinque au 1er mai, tout en regar
dant sur la bouteille l aiguille de l’horloge arrêtée sur le chiffre 8. Symbolisme et Anis mêlés: l éti
quette réclame ainsi la journée de huit heures, absolument comme les travailleurs des deux mondes qui fêteront, le 1er mai, la fête du travail en ne travaillant pas.
Oh ! ce 1er mai ! Je n’entends de tous côtés que ces mots :
— Certainement je no resterai pas à Paris le 1 mai !
Et pourquoi? Le 1er mai sera le 1e1 mai partout et il faut s’habituer à ces mœurs nouvelles.
Attendons-le. Ces bons reporters ont déjà interrogé les chefs socialistes qui, interviewés, ont répondu :
— Il n’y aura rien!... Une promenade! Le Longchamp des ouvriers !
Lorsque M. Loubet, succédant à M. Constans, était allô rendre visite à celui-ci avant de le rem
placer, on raconte que le ministre de l intérieur demanda à son prédécesseur.
— Et, pour le 1er mai, avez-vous la moindre inquiétude?
— Oh ! répondit en souriant M. Constans, maintenant: je n’en ai plus 1
Lemot est peut-être une invention de reporter. Ils ont intervieioé Mlle Gonzalès, la maîtresse d’Anastay, danseuse à la Villa Japonaise, boulevard de Strasbourg, et je note ces mots rapportés par Y In
transigeant, et prononcés avec un petit accent espagnol :
— Je lui ai prêté trop d’argent... Dorénavant je ne m’attacherai plus à personne... à personne... C’est une bonne leçon pour moi... Et le reporter demandant ;
— On vous prêtait l’intention de le suivre en Nouvelle-Calédonie si sa peine était commuée...
Mllc Gonzalès répond :
— J’ai dit ça dans oun moment de sourexcitation. Je ne parlerai point des reporters qui ont cultivé la querelle entre Zola et Loti.
— Que pensez-vous du discours de Loti? ont-ils demandé à Zola après la réception de l’auteur de Mon frère Yves.
— Que pensez-vous de la réponse de Zola? ontils demandé à Loti après la réponse de l’auteur de Y Assommoir. Vieille querelle, oubliée maintenant.
Cependant on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi M. Pierre Loti a fait à l’Académie cette charge à fond de train contre le naturalisme puisque le lendemain il déclarait dans les journaux son admiration au chef du naturalisme.
Monstrueux talent, disait le discours. Talent génial et immense, disait la lettre. Où est la vérité?
J’entends la vérité des sentiments de Loti. Je sais bien que Loti a donné l’explication de son change
ment apparent d’opinion : « Quand je parlais à l’Académie, je ne savais pas que M. Zola était pré
sent! » Mais il savait bien que M. Zola lirait son discours quand il l’écrivait.
Moralité, le mot de Fiévée sera toujours excellent à mettre en pratique : « Je ne parle jdmais des gens que comme si je leur parlais. »
L’aximne serait- moiiïs-facile-à pratiquer en politique ! Tudieu ! lorsque la passion s’en mêle on en
voit ou on en entend de belles! la discussion sur la politique coloniale a soulevé des tempêtes. Le petit roitelet sauvage du Dahomey se doute-t-il qu il a mis lefeu aux poudres?Oui, il s’en doute, il le sait,
car, en Afrique comme en Asie, on n’ignore rien de tout ce qui se dit et s’écrit en France.
On retrouve de nos journaux jusque sous les tentes des Arabes. Les pirates chinois, dans leurs repaires, au fond des montagnes, ont des numéros du Journal Officiel. Et les petits Tonkinois de la rue du Pont-en-Bois ou de la rue du Sucre se disent, en lisant les beaux discours de nos politiciens :
— On dit que les Français veulent s’en aller. Que deviendrons-nous quand les Chinois vont revenir!
Et notez que les dédaigneux de toute expansion coloniale sont les premiers à trouver ridicule, absurde, coupable, criminel, le mot de Louis XV relatif au Canada, qu il perdit comme à plaisir :
— Qu avons-nous à faire de quelques arpents de neige ?
Nous subissons la politique de gens qui, comme on dit vulgairement, ne voient pas plus loin que leur nez. Mais, après tout, peut-être en a-t-il toujours été ainsi ! Je m’imagine que le monde se gouverne lui-même, et que l’humanité fait son chemin, mal
gré les hommes. Que n’a-t-on point dit, par exemple, de l insuffisance de nos représentants à l’étranger et, pour parler la langue du boulevard, des gaffes (je vous demande pardon) qu’ont pu commettre les ambassadrices des nouvelles couches ? Eh bien, je ne sais où .j’ai lu que les grandes dames du temps passé — qui n étaient pas des couches nouvelles — en commettaient bien d autres. Par exemple, la marquise de Nouilles, ambassadrice île France en Angleterroen 1777, donnant un jour un grand dîner à Londres, dit tout à coup qu’elle ne concevait pas pourquoi l’on parlait tant de la modestie des An
glaises; qu’il n y avait point de femmes en Europe dont les mœurs fussent plus dépravées. On peut se figurer le désespoir et la consternation du marquis deNoâilles, l’ambassadeur :
— Mais, madame de Nouilles, mais en vérité... mais pensez-vous... mais savez-vous ce que vous dites ?
Elle n’en tint aucun compte et poursuivit :
— Oui, monsieur, j’en suis sûre ; et, pendant le dernier bal masqué, la duchesse de Devonshire et lady Granly ont été s enivrer de gin dans un cabaret du voisinage. Oui, oui, oui !...
L’Ambassadeur pensa en mourir de chagrin, et les autres de rire.
Eh bien, supposez une ambassadrice de la République commettant cette étourderie colossale en plein dîner diplomatique, quel toile ! Lord Dufferin en serait averti par le télégraphe, et on lui com
manderait de battre froid à un gouvernement ainsi représenté. La marquise do Noailles, pourtant,
c’était une vraie grande dame ! On n’a pas encore raconté pareille aventure de la femme d un de nos ambassadeurs.
M. Féry d’Esclands s’en va en une sorte d’ambassade patriotique porter au tzar une généalogie de la famille impériale de Russie gravée sur plaque d’or enrichie de pierreries. Les petits cadeaux en
tretiennent les grandes amitiés. Parlerons-nous de la fête franco-russe, dont Mme de Morenheim est présidente ? Plus nous allons, et plus nous nous russifions, et ce n’est pas pour nous déplaire.
Il y a Pâque solennelle à l’ambassade de Russie, et on eût presque dit que c’était une Pâque natio
nale. Je sais nombre de Parisiens qui n eussent, pas quitté Paris s ils eussent pu y assister. Mais, le beau temps aidant, et l’humeur vagabonde qui est un des caractères de la vie moderne s en mêlant, tous les Parisiens qui se sentent un peu libres ont profité de la semaine sainte pour changer d’air. Pâques est un exode, tous les ans. Les concerts spirituels qui sollicitent seuls le public lorsque les théâtres sont fermés ne suffisent pas à retenir les gens sur les boulevards. Ils veulent voir si la forêt de Fontainebleau a des feuilles, si la neige com
mence à fondre au sommet des montagnes ou si le soleil a déjà réchauffé la mer. Je n en sais rien, mais je constate ce phénomène, que j’ai vu di
manche dernier, jour des Rameaux, sept ou huit gamins se baigner entièrement nus, comme des lazzaroni napolitains, dans les eaux d’Argenteuil. Des bains froids au 10 avril, c’est un trait à noter,
car il est rare. Ne payerons-nous point cela en mai, en ce mai qui défrisera peut-être les folioles vertes prématurément épanouies? Bah! en attendant:
Le soleil luit sur toutes choses : La terre est verte et le ciel bleu.
O pommiers-blancs et pêchers roses! ..... C est l’aquarelle du bon Dieu !
Et c’est bien pourquoi aussi lès Parisiens s’en vont un peu partout voir cette très variée exposi
tion d’aquarelles que nous présentent les voyages. Ils s en vont aussi au Champ-de-Mars voir cette intéressante exposition du Blanc et Noir pour laquellu M. Bernard a trouvé cette année un si beau cadre. Très réussie, cette exposition, qui s’étale à l aise dans l’immense salle du palais des Beaux-Arts. C’est un but de promenade artistique en ce printemps ensoleillé,en attendant les soirées que nous promettent MUo Réjane et le Brevet supérieur, attendus impatiemment.
Elle a été souffrante, Mlle Réjane. Les derniers cris de Germinie Lacer!eux lui ont fatigué la voix, cette voix mordante et si bien timbrée. Et Meillme de voir sa comédie nouvelle reculée, le Brevet su
périeur, une satire qu on nous dit très narquoise des examens de nos jeunes filles modernes ! Baron, l’étonnant Baron, poussant des colles à Mlle Réjane.
— Passez au tableau, mademoiselle !
C’est un type, ce Baron, un des plus prodigieux bouffons de ce temps. Il incarne avec infiniment d’esprit la solennité bête et la prud hommerie dé
clamatoire. Avec cela très drôle. Quand il était di
recteur, et qu’un auteur lui apportait un manuscrit, il lui montrait, à la muraille de son cabinet, un portrait de Molière et disait :
— Lisez... J écoute... mais songez qu il nous regarde!
Baron vaut Brunet, qui inventa Jocrisse. Et Jocrisse, ce valet niais et stupéfiant, a, du reste, chargé la bêtise, ou plutôt il n est pas si bête. Jocrisse !
J ai un domestique qui casse tout, bêtement, comme Jocrisse, mais qui sait s’excuser avec infiniment d’adresse dans sa sottise maladroite.
Il casse l’autre jour un bibelot sur une étagère. — Qu’est-ce qu il y a?
— Rien, monsieur. C’est une statuette qui s’est jetée du haut, de la vitrine!
il a eu une phrase plus curieuse encore.
— La théière japonaise, elle est donc brisée? lui demandais-je.
— La théière? Oui, monsieur, oui, c est le sucrier qui, en passant, l’a poussée, et l’a fait tomber!
O Jocrisse ! Pas si Jocrisse !
Rastignac.
NOTES ET IMPRESSIONS
Les vieux s’en vont, les jeunes n’arrivent pas.
X. (cité par Aur. Scholl.)
La femme d intérieur est un oiseau rare qui suppose un oiseau plus rare, l’homme d’intérieur.
Octave Feuillet.
Je n’ai jamais écrit que quand j’avais l’esprit hanté d une chose, le cœur liante d une souffrance, et il y a toujours beaucoup trop de moi-même dans mes livres.
P. Loti.
La nature a en elle-même une valeur absolue, mais sa beauté n est comprise que par ceux qui savent la voir.
Alfr. Mézières.
*
Agir, créer, se battre contre les faits, les vaincre ou être vaincu, toute la joie et toute la santé humaines sont là.
Zola. *
* *
L’Académie existe pour la vanité de quarante personnes et pour le divertissement de quelques centaines d’autres.
Paul Desjardins.
Il est aussi difficile d accorder la psychologie et la physiologie dans le roman que l’idéal et le réel dans l’art : l’un tue l autre, ou leur lutte tue l œuvre.
Notre siècle aura gaspillé plus d idées que le plus fou des prodigues ne jette d argent par les fenêtres.
G.-M, Valtour.
COURRIER DE PARIS