Cellule du P. Cré, à Jérusalem. — Dessin d’après nature.
De la grande œuvre du cardinal Lavigerie, on sait surtout ses missions africaines, et à son nom s ajoute aussitôt le beau mot de Léon XIII : « L’a
pôtre de l Afrique. Cependant, la seule terre de Cham n a pas accaparé uniquement la sollicitude de sa foi ardente et active.
En Asie il a entrepris également une tâche de haute portée, savoir : la régénération du clergé indigène d Orient et la conversion des grecs schismatiques. Et pour qui a vu l ignorance, la superstition, les vices et la saleté dans lesquels se pré
lassent les chrétiens orientaux, cette tâche, comme difficultés et mérites, ne le cède en rien à l œuvre africaine de l’archevêque de Carthage !
L’entreprise avait manifestement un caractère civilisateur, et, avec beaucoup d’à-propos et de raison, le gouvernement français s y associa, sui
vant en cela de séculaires traditions. En 1856, à la suite de la guerre de Crimée, le sultan Abdul- Medjid avait fait don à la f rance d’un des sanc
tuaires les plus vénérés des premiers chrétiens,
l’église de Sainte-Anne à Jérusalem, oit la tradition place le berceau de la Vierge. Soit dit en passant, ce lopin de terre hérissé de ruines est le seul bé
néfice palpable que nous ait laissé cette campagne meurtrière.
L’Empire commença à dégager les décombres et la République mena à bonne fin une très intelligente restauration. On se contenta en effet, de conso
lider ou de refaire très exactement, sans dévier d’une ligne, la construction primitive, et, comme celle-ci était antérieure aux croisades, on a aujour
d hui devant soi un des monuments les plus curieux de la Palestine.
Lprsqu’en 1878, les travaux furent achevés, le gouvernement confia à Mgr Lavigerie et à ses Pères Blancs la garde de ce petit territoire français que n indique aucune carte et que bien peu connais
sent. Entière latitude ayant été laissée au cardinal quant à la destination, il y installa un séminaire oriental, premier levier de son œuvre de relèvement.
La République ne lui demanda que deux choses : tous les missionnaires envoyés à Jérusalem appar
tiendront à notre nationalité, et chaque jour une messe sera chantée à Sainte-Anne pour la gloire et la prospérité de la France.
Dans ce petit coin de terre française une découverte vient d’être faite qui non seulement aura un retentissement très grand dans le monde des sa
vants, et chez les archéologues en particulier, mais qui ne peut manquer de passionner également de
simples profanes, curieux des mystères du passé et de ses témoins.
C’est à ce titre que, pendant notre séjour à Jérusalem, nous avons demandé au P. Faiderlin, supé
rieur de Sainte-Anne, de vouloir bien faire profiter nos lecteurs de cette découverte, et très aimable
ment il nous a permis d’en rapporter la primeur à Y Illustration.
Il y a là à Sainte-Anne, parmi les cellules qui abritent les pères-professeurs, la cellule la plus étrange que j’aie jamais vue.
Dans un cadre de quatre murs blanchis à la chaux placez au petit bonheur : un étroit lit en fer sur
monté à la tête d’un crucifix avec, aux pieds, un lot d’ossuaires en pierre grands et petits, un renard empailllé, une colombe idem; un trépied en fer sup
portant une cuvette et des serviettes voisine avec les bas-reliefs d’un superbe sarcophage grec; ac
crochées de ci de là, des empreintes, sur carton, d’inscriptions antiques ; une table de travail char
gée de livres, et, sur des étagères, des poteries an
ciennes, des monnaies, un scorpion, un serpent, des lampes funéraires et des lacrymatoires phéniciens en fine verrerie, irisée et effritée par les siè
cles... Et, au milieu de cet assemblage cauchemaresque, imaginez maintenant le maître de céans, une longue barbe châtain surmontée de lunettes, qui émerge des plis majestueux d’une ample robe
blanche pour se terminer d une manière inattendue par un fez.
C’est le père Cré, professeur d’histoire pour l’ordinaire, et, à ses moments perdus, le numismate, l’archéologue, « le savant » de la maison.
Comme tout savant qui se respecte, il caresse, entre autres, une idée fixe. Et tandis que vous par
tez à la découverte au travers de son étrange mo
bilier, il s’empresse de vous mettre au courant de ses projets de derrière la tête : « Au souvenir des splendides collections que les grandes villes d’Eu
rope se plaisent à rassembler dans le but de faire connaître et admirer les merveilles du génie humain, .j’ai pensé qu à Jérusalem, des collections pa
lestiniennes seraient fort à leur place. J’ai songé à créer un musée biblique dont les pièces, même communes, pourraient apporter à nos élèves et aux pèlerins un appoint de lumières pour l’interprétation des Ecritures.
« Par exemple, ce renard empaillé dont l’écriteau porte une indication de l’ancien testament a été tué dans les montagnes de Judée, et est assurément semblable à ceux que Samson attacha à des gerbes de paille enflammée, et lança pour incendier les moissons des Philistins.
« La parabole de l’enfant prodigue est représentée par les caroubes que voici. Elles consti
tuent à la fois une protestation et une rectification, car la plupart des traductions européennes portent inexactement que l’enfant se nourrit de « glands » ; en réalité, l’Evangile dit de « caroubes ».
Et nous passons devant de vulgaires couffins qui
doivent rappeler les douze corbeilles que remplirent les apôtres avec les restes des cinq pains mi
raculeusement multipliés dans le désert de Betlisaïde. Le scorpion est épinglé sur une étiquette qui porte : Luc XI, 12, et un morceau d’encens correspond à : Mathieu II, Il.
Devant un socle dont la base trahit une ancienne caisse à bougies, tandis que le haut se montre luxueusement couvert d’andrinople pour servir de reposoir à une grosse pierre ronde, le père nous arrête :
« Voici la perle de notre musée... C est une pièce unique au monde, et que les galeries les plus riches nous envieront dès qu’elles connaîtront son exis
tence... C’est l antique talent des Hébreux, dont aucun exemplaire n’était arrivé jusqu’à nous, dont on ne connaissait aucune description même. Mieux encore! c’est le poids type qui fut déposé dans le Temple de Jérusalem au temps du roi David. »
Tout arrive : un jour le Père Cré flânait. Mais comme peut flâner un savant, en caressant l’enfant chéri de ses rêves. Et, alors qu’il songeait peut-êti’e aux nombreuses lacunes du musée bi
blique, ses pas le conduisirent vers le poulailler du séminaire.
Au milieu de la basse-cour ses yeux rencontrèrent enlisée dans le sol une grosse pierre, aux formes arrondies, dont le sommet évidé formait une petit coupe. Celle-ci était remplie d’eau, et poules et canards venaient s y humecter le gosier.
Les formes arrondies de cet abreuvoir intriguèrent le flâneur. « C’est peut-être quelque boulet du temps du siège de Jérusalem par les Romains ; à moins que ce ne soit un souvenir des Croisés », pensa-t-il. Et aussitôt, malgré les protestations bruyantes de la volatile, il se mit à dégager la pierre.
Pour un boulet, c’était un singulier boulet. Il apparaissait maintenant de forme oblongue, semblable à une énorme pastèque. De plus en plus sin
gulier : aux deux extrémités le bloc, malgré la crasse et la terre adhérentes, montrait des traits assez réguliers qui pouvaient bien être une inscription.
Un bain de propreté confirma cette hypothèse en découvrant, très nets, une série de bâtons, d’angles et de points. Ce n’était évidemment pas un boulet, car il n’y a guère que les amoureux qui échangent des projectiles à inscriptions, et comme messager d’amour ce gros bloc de pierre ne disait rien qui vaille.
Qu’est-ce que ce pouvait bien être? On le mesura ; il avait 0 m. 36,75 de long sur 0 m.27 de large. Ou le mit sur balance; il pesait 42 kilogrammes.
Balance... 42 kilogrammes... Ça ne vous dit rien, n’est-ce pas? A moi non plus. Pour le P. Cré ce rapprochement fut un éclair révélateur.
42 kilogrammes ! C’était pour lui, à quelques hectogrammes près, le poids que l’on attribue au ta
lent des Hébreux, sachant qu’un sicle correspond à 14 gr. 2, et que le talent, d’après le texte de l’Exode, compte 3,000 sicles. Avec cette donnée, bien mince en vérité, il se lança à l’attaque d une foule de gros volumes peu récréatifs, à la recherche d’indices nouveaux. Il eut bientôt la satisfaction de constater qu il n’avait pas fait fausse piste. Tous les auteurs étaient d’accord sur trois points :
LE TALENT DU ROI DAVID
De la grande œuvre du cardinal Lavigerie, on sait surtout ses missions africaines, et à son nom s ajoute aussitôt le beau mot de Léon XIII : « L’a
pôtre de l Afrique. Cependant, la seule terre de Cham n a pas accaparé uniquement la sollicitude de sa foi ardente et active.
En Asie il a entrepris également une tâche de haute portée, savoir : la régénération du clergé indigène d Orient et la conversion des grecs schismatiques. Et pour qui a vu l ignorance, la superstition, les vices et la saleté dans lesquels se pré
lassent les chrétiens orientaux, cette tâche, comme difficultés et mérites, ne le cède en rien à l œuvre africaine de l’archevêque de Carthage !
L’entreprise avait manifestement un caractère civilisateur, et, avec beaucoup d’à-propos et de raison, le gouvernement français s y associa, sui
vant en cela de séculaires traditions. En 1856, à la suite de la guerre de Crimée, le sultan Abdul- Medjid avait fait don à la f rance d’un des sanc
tuaires les plus vénérés des premiers chrétiens,
l’église de Sainte-Anne à Jérusalem, oit la tradition place le berceau de la Vierge. Soit dit en passant, ce lopin de terre hérissé de ruines est le seul bé
néfice palpable que nous ait laissé cette campagne meurtrière.
L’Empire commença à dégager les décombres et la République mena à bonne fin une très intelligente restauration. On se contenta en effet, de conso
lider ou de refaire très exactement, sans dévier d’une ligne, la construction primitive, et, comme celle-ci était antérieure aux croisades, on a aujour
d hui devant soi un des monuments les plus curieux de la Palestine.
Lprsqu’en 1878, les travaux furent achevés, le gouvernement confia à Mgr Lavigerie et à ses Pères Blancs la garde de ce petit territoire français que n indique aucune carte et que bien peu connais
sent. Entière latitude ayant été laissée au cardinal quant à la destination, il y installa un séminaire oriental, premier levier de son œuvre de relèvement.
La République ne lui demanda que deux choses : tous les missionnaires envoyés à Jérusalem appar
tiendront à notre nationalité, et chaque jour une messe sera chantée à Sainte-Anne pour la gloire et la prospérité de la France.
Dans ce petit coin de terre française une découverte vient d’être faite qui non seulement aura un retentissement très grand dans le monde des sa
vants, et chez les archéologues en particulier, mais qui ne peut manquer de passionner également de
simples profanes, curieux des mystères du passé et de ses témoins.
C’est à ce titre que, pendant notre séjour à Jérusalem, nous avons demandé au P. Faiderlin, supé
rieur de Sainte-Anne, de vouloir bien faire profiter nos lecteurs de cette découverte, et très aimable
ment il nous a permis d’en rapporter la primeur à Y Illustration.
Il y a là à Sainte-Anne, parmi les cellules qui abritent les pères-professeurs, la cellule la plus étrange que j’aie jamais vue.
Dans un cadre de quatre murs blanchis à la chaux placez au petit bonheur : un étroit lit en fer sur
monté à la tête d’un crucifix avec, aux pieds, un lot d’ossuaires en pierre grands et petits, un renard empailllé, une colombe idem; un trépied en fer sup
portant une cuvette et des serviettes voisine avec les bas-reliefs d’un superbe sarcophage grec; ac
crochées de ci de là, des empreintes, sur carton, d’inscriptions antiques ; une table de travail char
gée de livres, et, sur des étagères, des poteries an
ciennes, des monnaies, un scorpion, un serpent, des lampes funéraires et des lacrymatoires phéniciens en fine verrerie, irisée et effritée par les siè
cles... Et, au milieu de cet assemblage cauchemaresque, imaginez maintenant le maître de céans, une longue barbe châtain surmontée de lunettes, qui émerge des plis majestueux d’une ample robe
blanche pour se terminer d une manière inattendue par un fez.
C’est le père Cré, professeur d’histoire pour l’ordinaire, et, à ses moments perdus, le numismate, l’archéologue, « le savant » de la maison.
Comme tout savant qui se respecte, il caresse, entre autres, une idée fixe. Et tandis que vous par
tez à la découverte au travers de son étrange mo
bilier, il s’empresse de vous mettre au courant de ses projets de derrière la tête : « Au souvenir des splendides collections que les grandes villes d’Eu
rope se plaisent à rassembler dans le but de faire connaître et admirer les merveilles du génie humain, .j’ai pensé qu à Jérusalem, des collections pa
lestiniennes seraient fort à leur place. J’ai songé à créer un musée biblique dont les pièces, même communes, pourraient apporter à nos élèves et aux pèlerins un appoint de lumières pour l’interprétation des Ecritures.
« Par exemple, ce renard empaillé dont l’écriteau porte une indication de l’ancien testament a été tué dans les montagnes de Judée, et est assurément semblable à ceux que Samson attacha à des gerbes de paille enflammée, et lança pour incendier les moissons des Philistins.
« La parabole de l’enfant prodigue est représentée par les caroubes que voici. Elles consti
tuent à la fois une protestation et une rectification, car la plupart des traductions européennes portent inexactement que l’enfant se nourrit de « glands » ; en réalité, l’Evangile dit de « caroubes ».
Et nous passons devant de vulgaires couffins qui
doivent rappeler les douze corbeilles que remplirent les apôtres avec les restes des cinq pains mi
raculeusement multipliés dans le désert de Betlisaïde. Le scorpion est épinglé sur une étiquette qui porte : Luc XI, 12, et un morceau d’encens correspond à : Mathieu II, Il.
Devant un socle dont la base trahit une ancienne caisse à bougies, tandis que le haut se montre luxueusement couvert d’andrinople pour servir de reposoir à une grosse pierre ronde, le père nous arrête :
« Voici la perle de notre musée... C est une pièce unique au monde, et que les galeries les plus riches nous envieront dès qu’elles connaîtront son exis
tence... C’est l antique talent des Hébreux, dont aucun exemplaire n’était arrivé jusqu’à nous, dont on ne connaissait aucune description même. Mieux encore! c’est le poids type qui fut déposé dans le Temple de Jérusalem au temps du roi David. »
Tout arrive : un jour le Père Cré flânait. Mais comme peut flâner un savant, en caressant l’enfant chéri de ses rêves. Et, alors qu’il songeait peut-êti’e aux nombreuses lacunes du musée bi
blique, ses pas le conduisirent vers le poulailler du séminaire.
Au milieu de la basse-cour ses yeux rencontrèrent enlisée dans le sol une grosse pierre, aux formes arrondies, dont le sommet évidé formait une petit coupe. Celle-ci était remplie d’eau, et poules et canards venaient s y humecter le gosier.
Les formes arrondies de cet abreuvoir intriguèrent le flâneur. « C’est peut-être quelque boulet du temps du siège de Jérusalem par les Romains ; à moins que ce ne soit un souvenir des Croisés », pensa-t-il. Et aussitôt, malgré les protestations bruyantes de la volatile, il se mit à dégager la pierre.
Pour un boulet, c’était un singulier boulet. Il apparaissait maintenant de forme oblongue, semblable à une énorme pastèque. De plus en plus sin
gulier : aux deux extrémités le bloc, malgré la crasse et la terre adhérentes, montrait des traits assez réguliers qui pouvaient bien être une inscription.
Un bain de propreté confirma cette hypothèse en découvrant, très nets, une série de bâtons, d’angles et de points. Ce n’était évidemment pas un boulet, car il n’y a guère que les amoureux qui échangent des projectiles à inscriptions, et comme messager d’amour ce gros bloc de pierre ne disait rien qui vaille.
Qu’est-ce que ce pouvait bien être? On le mesura ; il avait 0 m. 36,75 de long sur 0 m.27 de large. Ou le mit sur balance; il pesait 42 kilogrammes.
Balance... 42 kilogrammes... Ça ne vous dit rien, n’est-ce pas? A moi non plus. Pour le P. Cré ce rapprochement fut un éclair révélateur.
Talent hébreu avec inscription antique.
42 kilogrammes ! C’était pour lui, à quelques hectogrammes près, le poids que l’on attribue au ta
lent des Hébreux, sachant qu’un sicle correspond à 14 gr. 2, et que le talent, d’après le texte de l’Exode, compte 3,000 sicles. Avec cette donnée, bien mince en vérité, il se lança à l’attaque d une foule de gros volumes peu récréatifs, à la recherche d’indices nouveaux. Il eut bientôt la satisfaction de constater qu il n’avait pas fait fausse piste. Tous les auteurs étaient d’accord sur trois points :