sioniié, en ces be(aux moments d’emportement que l’amiral Jùrien appelait « les moments de Chimène. » Elle l’aimait d’une grande et simple affec
tion qui eut son renouveau généreux, son explosion dernière après la chute, au temps de Wilhelmshohe. Il n’y a pas bien longtemps, j’ai vu ses larmes tomber par torrents sur un journal où il était question, en termes touchants, de l’amour profond que l’Empereur avait pour elle.
J’insiste sur ce point et j’afflrme que, si l’impératrice n’a pas partagé toutes les idées de l’empereur, elle n’avait pas une idée qui n’eût été à lui. Son cléricalisme, ses intrigues dans les affaires de Rome et du Mexique, tout cela : niaiserie et mensonges !
— Ah ! du moins elle a pris sa part de responsabilité dans la guerre de 70. Elle l’a dit, en propres termes : « C’est ma guerre! » Le diplomate auquel elle a adressé ce mot-là l’a répété à M. Tliiers.
Le diplomate dont vous me parlez, mis en demeure de confesser la vérité, il y a près de vingt ans, écrivit à peu près ceci : « Madame, vous ne m’avez jamais dit le mot qu’on vous prête et, par conséquent, je ne l’ai jamais répété à M. Tliiers, mais je suis obligé de rester dans la carrière et, si
je démentais publiquement le bruit qui court, cela pourrait me faire beaucoup de tort. Je supplie donc Votre Majesté de tenir ma lettre secrète. »
Et la lettre dort dans un tiroir de ce mélancolique et silencieux Farnborough, côte à côte avec tant d’autres secrets dont le monde ne saura rien. Com
mencez-vous à comprendre, M. Zola, pourquoi les
honnêtes gens ne se défendent pas toujours ? C’est que pour se défendre il faut attaquer, pour se justifier il faut accuser et perdre les autres.
Je me souviens du moment où me parvint la dépêche chiffrée de Franceschini Piétri, qui annonçait à l’impératrice le double désastre de Forbach et de Woerth. Je m’en souviens comme si cette dépêche venait de m’être remise à l’instant. C’était dans ce fatal palais de Saint-Cloud; il était neuf heures et demie du soir. Je revenais de Paris et je dînais en hâte, le cœur serré, angoissé d’une incompréhen
sible appréhension. Je vois encore cette formidable page, notre de chiffres. M. de Piennes et M. de Cossé-Brissac m’aidèrent, car j’étais nouveau à la tâche. Tous trois, à genoux, penchés sur le. chiffre déployé, nous épelions la catastrophe, qui se dis
tillait ainsi goutte à goutte, et chaque mot était un coup de massue. Est-ce que c’était vrai? Est-ce que c’était possible 9 Est-ce que nous ne nous trompions pas? Deux armées détruites, la France ouverte, l’écroulement de tout!
Quand ce fut fini, nous nous dressâmes. Qui de nous trois oserait porter ce papier à l’impératrice? M. de Piennes eut un geste énergique, presque dé
sespéré, et alla, tenant la dépêche, frapper à la porte de l’appartement intérieur où l’impératrice était déjà rentrée. Au bout de dix minutes, il reparut pâle, les larmes aux yeux.
« Savez-vous ce qu’elie m’a dit? La dynastie est perdue, il ne faut plus penser qu’à la France. »
Tel fut le premier mot de l’impératrice en sentant crouler sous elle le trône qu’elle n’avait jamais désiré, où elle n’avait jamais été heureuse de s’asseoir, où, plus tard, elle redoutait presque de voir remonter son fils. Tel fut le mot de celle qu’on appelait l’Espagnole et qui allait se montrer si Française; le mot qui jaillit de ses lèvres dans un de ces moments de surprise et de détresse suprême où l’on ne feint pas, où l’on ne peut menti]-.
Ou plutôt, ce n’était pas un mot, c’était le commencement d’une série d’actes qui se déployèrent, suivant une ligne droite inflexible. Ah! je l’admire d’autant plus que je la blâmais alors. Je trouvais que défendre la dynastie c’était défendre la France, et que rien n’était pire, au point de vue patriotique,
qu’une révolution devant l’ennemi. Pour elle, elle ne donna pas un ordre, ne prononça pas une parole, ne fit pas un geste qui n’eût pour but la défense na
tionale. Elle n’avait que le pays en vue lorsqu’elle convoqua le corps législatif sans en avoir le droit, lorsqu elle empêcha l’empereur de rentrer aux Tui
leries oii il se serait barricadé et qu’elle quitta sans laisser couler pour elle une goutte de sang ;
lorsqu’elle me défendait d’entrer en relations avec l’agent Regnier, auquel je donnai, malgré son ordre et à son insu, la photographie dont il se fit une lettre de créance; lorsqu’elle plaidait pour la France républicaine auprès de l’empereur de Russie et de l’empereur d’Autriche; losqu’elle-déjouait par deux fois le complot de Metz, refusait son blanc-seing au général Boyer et avertissait Gambetta de la situation désespérée de Bazaine. En vérité, je cher
che et je ne vois pas un seul homme qui, dans ces temps-là, ait connu et accompli son devoir comme l’impératrice. Ce ne sont pas des circonstances atté
nuantes, ce n’est pas l’acquittement que je demande pour elle, c’est l’estime et la reconnaissance de tous les partis.
En ce moment les souvenirs me reviennent en foule. Mais à quoi bon, puisque M. Zola a pris soin de se réfuter lui-même par ses contradictions? Qui voudra croire que la même femme qui, le 14 août, écarte l’empereur des Tuileries, « parce qu’il n’y
arriverait pas vivant », l’envoie à lamort le 27 « pour que son fils règne? »
Dans la Débâcle, ne voit-on pas arriver certaine mystérieuse dépêche de Bazaine qui détermine la marche des troupes vers le Nord? S’il en est ainsi, la responsabilité du gouvernement de Paris en est, ce me semble, singulièrement diminuée? D’ailleurs,
cette marche vers le Nord, si elle eût été exécutée rapidement , comme l’entendait le vieux Palikao,qui sait si elle n’eût pas sauvé la France et si on ne la citerait pas aujourd’hui comme une des plus glo
rieuses inspirations de l’histoire militaire? C’est là une question que ni M. Zola ni moi n’avons le droit de résoudre.
Bonne ou mauvaise, heureuse ou néfaste, cette combinaison n’est pas—ai-je besoin de le dire?
— sortie du cerveau de l’Impératrice. Pour sauver la vie de son mari et empêcher une guerre civile,
elle l’a empêché de rentrer aux Tuileries: elle a fait son devoir de femme et de Française. Quant à la question de savoir si l’armée de Châlons devait rétrograder sur Paris ou marcher à la rencontre de Bazaine, elle appartenait aux militaires, à eux seuls. Qu’ils en répondent devant l’histoire!
Je me demandais, au commencement de ce mois, si le hasard, qui a de si méchantes ironies, donnerait sur les bancs de l’Académie M. Zola pour suc
cesseur à l’amiral Jurien de la Gravière. Pauvre amiral! Que de fois, avant et après nos malheurs, avons-nous parlé ensemble de celle qui nous inspi
rait un égal respect, une commune admiration! Quelle flamme d’enthousiasme dans ses yeux bleus, au seul nom de l’impératrice! Au début de la cam
pagne, il avait renoncé à sa part de danger et de gloire pour être le gardien et le conseiller de sa souveraine. Je le vois, dans cette nuit où Trochu nous revint de Châlons avec sa nomination de gou
verneur, je le vois essayant de galvaniser cette âme séchée par l’orgueil, raidie par la prévention, et de pousser le général dans les bras de l’impé
ratrice. Ce fut lui le dernier qui escorta la fugitive à travers les longues galeries désertes du Louvre, jusqu’au moment où elle le força de retourner en arrière et s’avança seule dans la foule, avec l’é­
nergique Mme Le Breton, cette femme qui a le cœur d’un homme et d’un soldat.
Vraiment, M. Zola, comment auriez-vous écrit cette page de la vie de l’amiral?
L’Académie, en ne vous nommant pas, vous o tiré d’un mortel embarras. Vous l’avez échappée belle, l’amiral aussi.
Celui que l’Académie a préféré à l’auteur de la Débâcle vint me voir ce matin-là aux Tuileries ; il portait l’uniforme de la garde nationale. En nous promenant le long du château, nous causâmes tris
tement de l’avenir, de cet enfant si cher, à l’éducation duquel nous travaillions tous deux et qu’attendaient,
à quelque dix ans de là, d’autres tragédies. Il regardait cette maison condamnée, ce lourd dôme de l’Horloge qui devait s’abîmer dans les flammes, et un nuage voilait ces yeux clairs, faits pour expri
mer et pour inspirer la force calme, la confiance
réfléchie, la sérénité de la pensée... A celui-là, j’en suis sûr, il ne déplaira pas de redire les sentiments qui exaltaient l’âme du loyal marin.
Je reviens à la Débâcle. J’ai dit que M. Zola y avait mis tout son talent. Je dois, pour être juste, ajouter qu’il y a peint tout l’homme : l’ange et la bête. Il y a introduit, de plus, une moralité profonde qui donne un sens à toute cette épopée des Rougon
Macquart. A part quelques scènes inévitables de pillage et de tuerie, il a eu le bon esprit de ne pas noircir outre mesure nos vainqueurs. Leur victoire, il a eu le courage de l’écrire, n’est pas un accident, mais la résultante d’une loi, le triomphe de l’ordre, de la discipline et de la science surl’ignorance, la con
fusion et l’imprévoyance. Mais il y a, Dieu merci ! une autre leçon dans la Débâcle. Jean, le modeste héros, le caporal paysan, nous dit quelque part, en son langage : « Fichu ?... Non... je ne sens pas ça ». Ce mot vulgaire est le mot du livre. La France populaire survit à ce grand désastre. Ses parties vi
tales n’ont pas été atteintes; sa réserve de force intime subsiste, en ses couches profondes, presque inépuisable. Que faut-il? Que le peuple et la bour
geoisie se réconcilient, s’aiment, s’embrassent, comme s’embrassent et s’aiment, dans le roman, après s’être dédaignés et insultés, Jean et Maurice.
Ceux qui liront la Débâcle dans trente ans diront peut-être qu’elle a été le chef-d’œuvre de M. Zola, et que, d’une manière absolue, c’est un chef-d’œuvre. Tout pesé, je crois qu’ils auront raison.
Augustin Filon.


NOTES ET IMPRESSIONS


La célébrité est un pont volant qui peui servir à franchir un abime.
Balzac.
Rien ne fait plus de bruil qu’une secte, rien n’est moins au centre d’un pays et d’un temps.
Sainte-Beuve.
1 ne politesse est un échange de deux dérangements.
Alceste [de Freycinet]. Luxe de la décoration, indigence de l’art.
Lud. Halévy.
Dire d’un paysage : < On croirait y être » ne vaut pas: « On voudrait y être ». Le cœur loue mieux que les yeux.
Guy Delaforest.
Les soldats, comme le fer, se rouillent dans la paix.
Jules Simon.
Les basses misères de la caserne demandent plus de courage que les nobles périls.
Jean Aicard.
Les manœuvres sont à la guerre ce que le théâtre est à la vie.
Joseph Rëinach.
Le bien se fait, d’ordinaire, spontanément, le mal à la réflexion.
Nous avons réalisé tant de rêves depuis cinquante ans, que noire expérience va plus loin que l’imagination de nos pères.
G.-M. Valtour.