№ 36
SEPTEMBRE 1901
QUELQUES PEINTRES
IDÉALISTES FRANÇAIS.
«Le corps humain ne finit pas par des lignes. « En cela les sculpteurs peuvent mieux
« approcher la vérité que nous autres: la nature « comporte une suite de rondeurs qui s’envelop« pent les unes les autres. Il n’y a pas de lignes « dans la nature où tout est plein, c’est en mode« lant qu’on dessine, c’est-à-dire qu’on détache «les choses du milieu où elles sont; la distribu« tion du jour donne seule l’apparence au corps.
« J’ai répandu sur les contours un nuage de « demi-teintes blondes et chaudes qui fait que « l’on ne saurait précisément poser le doigt sur « la place où les contours se rencontrent avec « les fonds. De près ce travail semble cotonneux « et sans précision, mais à deux pas tout se raf« fermit, s’arrête et se détache: le corps tourne, « on sent l’air circuler tout autour. Peut-être ne « faudrait-il pas dessiner un seul trait, mais atta« quer une figure par le milieu en s’attachant «d’abord aux saillies les plus éclairées, pour «passer ensuite aux portions les plus sombres. « N’est-ce pas ainsi que procède le soleil?»
Ces paroles n’enclosent-elles pas toute la définition de l’impressionnisme, de l’art de Rodin, de Besnard et de Carrière? Sont-elles dues à l’un de nos critiques, à Roger Marx ou à Gus
tave Geft roy? Elles sont d’Honoré de Balzac et sont dites par le vieux peintre Frenhofer dans
le Chef-d’œuvre inconnu, en 1832. Divinatoires de toute une époque d’art, j’ai tenu à les trans
crire. Pour beaucoup elles seront une surprise — et la nouvelle tout entière présage étrange
ment l’Œuvre d’Émile Zola en racontant le martyre d’un impressionniste absolu. Il y a là, exprimé avec une netteté parfaite, le désir contemporain: suppression delà ligne, élément abstrait et prédominance de la couleur, élément de sensibilité pure. En pleine période néo
grecque, dans le triomphe de David et d’Ingres, au moment où Delacroix bafoué cherchait péniblement la théorie des couleurs complémentaires et de la fragmentation des tons dans les
ombres, se souvenant de Watteau et présageant Monet, Balzac s’est trouvé formuler le credo des peintres proprement dits, de ceux qui considèrent leur art comme la recherche exclusive des beaux tons et des belles surfaces, synthéti
sées d’après les éléments de la nature, en faisant chanter l’âme de la couleur et en faisant de ce chant le sujet essentiel de tout tableau. «Un tableau est le développement logique de la lu
mière», dit souvent Eugène Carrière, pourtant distinct de l’impressionnisme par sa recherche intense du sentiment, du mystère et du frisson
psychologique. Les artistes que je me propose d’étudier ici sont aussi des peintres, mais ils se font de leur art une idée différente. Tous ont commencé par appliquer les procédés du moder
nisme, mais graduellement, se préoccupant du problème de l’idéologie en peinture, ils sont arri
vés à rendre à la ligne son importance plénière, en la considérant comme l’élément permanent de leur art et la couleur comme l’expression de l’instantanéité. Enclins au symbolisme littéraire
ARMAND POINT PORTRAIT