Il a connu, en Finlande, les printemps brusques et splendides. Il a vu, du jour au lendemain, la terre se parer et sourire, les feuilles trembler dans l’air bleu, de fines vapeurs errer sur les
lacs, des oiseaux agencer leurs nids, les fleurs épanouir leur vie charmante. Oh ! ces fleurs toutes d’exquise inconscience et de naïf orgueil! L’artiste s’est penché sur elles avec tendresse, avec angoisse aussi. Il a pressenti leur prompte décrépitude, il lésa plaintes d’être éphémères.Il
les a symbolisées par des femmes, longues et flexibles, pleines de grâce juvénile, mais averties de leur sort, pleurant leur brève destinée. Il a créé ce monde exquis de filles-fleurs, qui semblent porter dans leurs yeux, sur leurs fris
sonnantes épaules, les fatalités d’une nature marâtre, aux inexplicables colères. Il a donné des nymphes pathétiques à la douleur.
Est-ce à dire que M. Vallgren soit d’âme tourmentée ou de corps souffrant? On aurait tort de se le figurer tel. De taille moyenne, le torse musclé, les bras solides, il atteint aujourd’hui sa puissante maturité. Son visage plein,
frais, coloré dans l’encadrement des cheveux blonds et de la barbe en pointe, ses yeux clairs, sa bouche forte et bonne ne trahissent aucune torture morale. Sa cordialité ne recèle pas d’amertume. Il a d’ailleurs toutes les satisfac
tions. Il est illustre à un âge où bien des artistes se débattent encore dans l’obscurité; un public délicat l’environne de ferveur ; une exquise compagne, d’âme haute, de sensibilité profonde, veille sur son foyer, lui donne le spectacle
d’une activité sœur, créatrice elle aussi d’œuvres originales, gravures sur bois, bustes d’enfants, reliures délicieusement conçues que l’Art Décoratif s’est plu d’ailleurs à reproduire. Il pos
sède maintenant l’aise matérielle ; i 1 peut voyager, visiter les cathédrales gothiques dont le mysti
cisme l’enchante; accroître devant les maîtres la conscience de sa propre maîtrise; aller tous les ans retrouver en Bretagne l’atmosphère grise
de la Finlande, sa mélancolie et ses tragiques beautés. Il peut, au retour, s’enfermer de longs mois dans son atelier et, du matin au soir, sou
vent même à la lueur d’une lampe, pareil à quelque alchimiste, modelant
l’argile, ciselant le métal, manipulant les acides, faire éclore, sans effort, avec une abondance pour ainsi dire heureuse, les plus expressives figures de la détresse et du deuil.
C’est un contraste assez fréquent que celui d’une imagination triste et d’une par
faite santé physique, d’une grande sérénité morale. La tristesse de M. Vallgren est naturelle et facile. Dans cet atelier du faubourg Saint- Honoré, où le maître m’ac
cueille avec une bonne grâce
charmante, sur les selles, les bahuts, derrière les glaces des vitrines, d’innombrables ébauches, souvent mutilées, mais tièdes encore de l’inspi
ration et de la main du sculp
teur, des terres exquisement
teintes, comme des Tanagra quiseraient mélancoliques, des bronzes aux patines chaudes, nuancées, savoureuses mêlent leur sanglotante théorie. La nuque palpitante, le dos tra
PLEUREUSE (SOUS DEUX FACES)