jette sur le quai des gares aux tenancières de bibliothèques, une littérature plus hermétique étant destinée pour les aristocrates de l esthéticisme berlinois. Mais pourquoi Train opaline ? Ah ! Voilà.
L´opaline plaît à Sapho et à Corydon. heurs besoins ont créé une esthétique, à la suite du défunt impressionnismus, du Cézannismus, de l expressionnismus et du cubismus générateur des manières successives où s’épuisaient les énergies d’après-guerre, ha rudesse, le style noble, le Lothismus post-davidien, le simili-courbettismus terreux, cèdent à des recherches plus aimables, fondées sur toutes les manières de Picasso, de Braque et de Matisse. he champ en est vaste. Enfin la mode des tapisseries d’écran second Empire, des lampes,
vases et rince-bouche en opaline le dispute à notre caprice pour les meubles romantiques et la bimbeloterie Eouis- Philippe. he “ goût ” trop méprisé par les doctrinaires refleurit avec des grâces qui nous enchantent, des gentillesses
délicieuses. Corydon est-il décavé, se sent-il vieillir ? Il ouvre des cabinets de consultation, des entresols-boutiques d ameublement, de décor, de mignardises bien ingénieuses pour personnes qui emménagent. Vous, mon bon ami,
si vous avez déniché un logis dans quelque vieil hôtel à l’escalier fastueux mais en ruine, il vous faudra le meubler.
Peut-être ne possédez-vous pas de dollars ? ha nécessaire Citron B-14, ou la Bugatti vous coûte cher à entretenir.
De quoi, pauvre esthète de vingt ans, ornerez-vous votre sixième étage pour nous recevoir à l’heure du cocktail ? Eh bien ! vos murs seront tendus de papier d’emballage. Vos rideaux seront de guipure blanche, chipés dans l’armoire à linge de grand’mère, pourvoyeuse de chromos qui commé
morent l’Exposition universelle de 1867. Prenez-lui ses chaises noires laquées à filets d or et nacre ; son ottomane en acajou, ses abat-jour en opaline, vous n’aurez plus qu’à commander un vaste sommier-canapé, pour “ partouses ” et le sommeil réparateur. Quoi encore ? Grand’mère relègue à la campagne une Vierge et un saint Joseph en porce
laine de foire ; des fleurs en papier d’autel avec leurs globes ? Prenez-les. Oui, mais la peinture moderne? Voilà le hic !
Si un hôtel de Mallet-Stevens implique des divans en aluminium, des glaces polyédriques, objets dispendieux, l’architecture de l’édifice exige, comme complément, des Picasso, des héger, des Metzinger pour le moins. A défaut de ces trésors inaccessibles, les petites chambres de bonne dans l’île Saint-houis s’accommodent de moins riches oeuvres d’art. Sur quoi se rabattra le jeune maître de maison ?
Un de ses oncles, colonel de cavalerie, a pu lui léguer des agrandissements de photographies : l’impératrice Eugénie, le Prince impérial, Zulma Bouffar en tzigane à sequins, Hortense Schneider en grande-duchesse de Gérolstein ?
Vous plaisantez! ce n’est pas de l art ! Pourtant il en faut à notre bon ami, de la peinture ; n’y aurait-il pas, alentour, quelques études non vendues par des copains ? Des centres de panneau, d’abord ; on verra bien après. Mais l’ami A
s’attarde à peindre des nus à la Favory ; l’ami B, des bergères à la Segonzac ; l’ami C, des ciels d’orage à la Vlaminck, sans manifester le tempérament de ces artistes, h’ami D construit des guitaristes selon les principes de l’académie hhote. Cela devient pompier, car nous avons nos pompiers rouges, un jeune collectionneur n’admire plus les toiles de A, et B,
ni de D. Mais un nouveau génie, l’étonnant E, modèle avec tendresse des figures trois fois grandes comme nature. E se spécialise dans le portrait. C’est plus intéressant. On n’en faisait plus. Voici des têtes monstrueuses de jouvenceaux poupins mais hagards ; présentement nous aimons les dimensions gigantesques, les masques de carton emmanchés d’un long cou, comme Modigliani les dessinait ; mais il ne peignait pas des mathurins poétiques, lui ! A côté d’une estampe d’après Winterhalter, vous pendrez, monsieur, quelque toile titanique de l’amie. Dans un cadre de tru
meau à oves : portrait d’un lutteur, d’un aviateur, d’un as du volant, drapé d’un peignoir éponge qui simule la toge romaine, aux plis concertés, ou bien une garçonne pompéienne
de bar. Et ce sera un contraste, cette sculpturale effigie a l’huile, avec les gentils presse-papiers-boule, les barques er verre filé de grand’mère, les vases en forme de main, le caba
ret à liqueurs en opaline laitue, les chopes en cristal de Bohême grenat où une chasse à courre est gravée en blanc
En fouillant bien, on trouve encore, chez des domestiques retirés en province, d’autres bibelots bêtas, attendrissants, dont se rafraîchit l’intelligentsia trop lasse d’expériences ennuyeuses... C’est pourquoi nos jeunes peintres composent des natures mortes charmantes, avec des colifichets rassis auxquels ils redonnent de la fraîcheur.
Ainsi l’art masculin de la Florence classique fait place à un art précieux, quintessencié, hybride, mais que l’on croirait plutôt féminin. Il est issu des idylles Pompadourbeardsleyennes de Marie Eaurencin et des dernières fantaisies de Braque ; mais infiniment plus mignard.
La recette n’en est pas simple. Etalez au couteau de belles couches de gris-rosé, de blanc crème-Chantilly, de gris froid, et laissez sécher. Quand la pâte est bien descendue, lisse, poncée, prenez un pinceau de martre, trempé dans du noir, et dessinez en fil de fer des arabesques formant des motifs heureux ; passez, par endroits, un glacis de carmin
laqueux dessinant lui-même une autre arabesque ; enfin, avec une brosse dure, plaquez des fleurettes d’une coloration vive ; ne négligez pas d’introduire un récipient en opaline, un éventail ou une boîte à gants, quelques perles, comme motifs accessoires ; et l’exquis gâteau nappé de vernis, servez-le dans un double plat, je veux dire cadre — l’un en bois naturel, l’autre en or mat ou en argent. Ee consommateur se pourléche les lèvres avant de l’avoir emporté chez lui. Paris doit exporter par centaines ces tartes friandes, ces feuilletés onctueux, pour l’usage des gourmets d’outre-Rhin.
Ea grâce française, que l’étranger apprécie dans les chiffons de nos couturières et les chapeaux de nos modistes, ne doit point laisser d’être appréciée dans les produits de notre peinture masculine ; nous regrettons de ne savoir ce que l’homosexualité tudesque a inventé, en tant qu’art plastique, colossal et sur-expressionniste, que d’après les repro
ductions des revues d’avant-garde ; le cinéma, où nos voisins sont passés maîtres, obéit encore aux conventions des libret
tistes. Seules les prises de vues, la mise en scène de quelques films nous révèlent l’originalité et l’audace d’une technique parvenue à une déconcertante perfection. Heureusement, le train-opaline, en échange de nos tableaux de chevalet, nous amène de temps en temps des chefs-d’œuvre du métier de l’écran.
S’il n’était pas trop tard pour en parler, nous aurions beaucoup à dire sur les impressions que vient de nous causer une représentation de Métropolis, dans un quartier populeux. Au premier chef, l’antinomie déroutante de cette technique, compliquée jusqu’à l’obscurité, parfois dépassant les données de l’énigme, du symbolisme ; et de l’indigence puérile de l’idée, des sentiments et de l’action, dont la platitude devrait rebuter le génie des cinéastes. Ensuite, il est remarquable qu’en une assemblée d’innocents et de primaires, nul rac
courci, nul détail à deviner (comme les choses qu’un éclair soudain illumine et replonge dans l’ombre), n’échappe à tels spectateurs qui demeurent stupides devant une toile peinte, un texte tant soit peu fin. Apparemment, un nouveau lan
gage figuré nous est né du cinéma, que les petits enfants entendent comme le petit nègre de leur nourrice. D’autre part, les intentions, si délicates parfois, de Charlie Chaplin, son pathétique discret et voilé dans Le Cirque, assument la même autorité, exercent le même prestige sur un public à la rude écorce que sur des gens plus sensibles. N’est-il pas probable que d’ici dix ans, l’art du cinéma s’étant substitué à celui de la peinture et de la sculpture, de la façon qu’il a réduit à néant la comédie et le drame de ces messieurs Sardou,
Robert de Fiers et consorts, nous verrons aussi le Cinémaopaline ! Tous les sexes auront leurs cinéastes.
Jacques-Emile BLANCHE