LA ROSE A BAGATELLE
L’exposition de Bagatelle semble illustrer un mythe de Platon. On y approche de l’idée pure, sans jamais l’atteindre, et cet exercice à quoi l’on nous convie est délicieux. La rose, c’est la perfection, le divin, la fleur à son paroxysme, à l’état sublime, seule et incomparable... inaccessible à nos yeux trop faibles, à nos mains trop lourdes. Ce qui reste sujet à notre prise, ce sont des images, des reflets, des ombres de la rose, de l’unique rose qui s’épanouit au delà de la caverne. A cette beauté pressentie et dont, peut-être, on se souvient, des nuées d’artistes de tous les temps se sont évertués à donner une forme sensible, pour nourrir leur plaisir, et le nôtre. Forme perpétuellement imparfaite, mais toujours amoureuse, car la Rose, c’est Bros. La voici sur les antiques monnaies de Rhodes, l’île parfumée de ce nom magique, ou bien écartelée sur les pièces d’or des Tudor — c’est en Angleterre qu’on la prit galamment pour panache de bataille à la fois dans deux camps adverses. Mais elle est aussi sur les bretelles de Balzac, sur des porcelaines de toutes fabriques, en bordure des tapisseries, sur le sein ou dans la main des femmes, tenue droite comme un sceptre par des doigts délicats, malgré ses épines, ou épandue en guirlandes. Elle s’incruste dans les marqueteries, et fleurit dans le bois ouvré des meubles. Elle prolifère dans les tissus et sur les robes légères, en marge des miniatures d’Orient ou d’Occident. Un passionné, Redouté, croit la capter en dessinant ses pétales avec un soin attendri, en comptant les piquants de son feuillage, et il nous laisse cent estampes radieuses... d’où la rose s’est envolée. Lavreince, Boucher, Fragonard, Debucourt nous la montrent tentatrice et voluptueuse, et parfois mal défendue. La rose, c’est un meuble de blason, une cible, une couronne, un timbre, un cachet, un diamant, une devise, un ordre, un motif, un insigne, un prétexte ou un symbole. Elle connaît dans l’argent, l’or, le bronze, le stuc, le marbre ou la pierre, dix mille incarnations. C’est le titre du plus long et du plus court des poèmes de France; elle se fait mystique dans les litanies; le plus illustre des poètes persans la consacre dans le vin de Chiraz; les Chinois la peignent sur de la soie. Elle est biblique et romantique, académique et révolutionnaire, car elle se revêt de toutes les nuances de l’esprit. Elle grimpe dans le jardin du curé, se dessèche à Jéricho, les plus savants horticulteurs parviennent à la rendre noire comme Satan, ou bien lui donnent des noms de femmes ou de maréchaux. Elle commente le portrait de la Pompadour sur la breloque de Louis XV, mais c’est à la plus vertueuse que le pape la décerne. On la voit sur des jetons, des montres, des éventails ou des boîtes qui ne servent à rien. C’est une couleur et des couleurs, et la touche complaisante d’un pinceau qui s’évase: c’est aussi un parfum, car les fenêtres de Bagatelle s’ouvrent sur des parterres où s’achève cette épiphanie.