HÉRODIADE


Opéra en quatre actes et sept tableaux
de MM. PAUL MILLIET, GREMONT et ZAMADINI Hérodiade, dans la vie de Massenet, date de cette
époque bienheureuse, où les artistes dépensent, sans compter, les trésors de leur inspiration. C’est le bel âge, celui où le musicien et le poète, jeunes, indociles du joug, n’obéissant qu’à leur fantaisie, stimulés par les rivalités, mais non désabusés parles jalousies mesquines, font un rêve de gloire dont rien ne rompt le charme et l’harmonie.
Massenetavait trente-cinq ans lorsqu’il conçut le plan de cette œuvre. Il était déjà l’auteur applaudi des Suites d’Orchestre,


de Don César de Baçan, des Eryunies, de Marie-Magdeleine et d Eve; et le Roi de Lahore avait consacré sa renommée au théâtre. L’Institut lui avait ouvert ses portes, et la presse s’oc


cupait des moindres détails de sa vie. On peut juger de ma joie quand Massenetme choisit pour collaborateur. Un acte en vers, une étude sur les origines du théâtre, voilà quel était tout mon bagage littéraire : il me sembla que, dès lors, mon avenir était assuré, et que tous les manuscrits entassés sur ma table allaient trouver un directeur et un éditeur enthousiastes. C’est que Massenet ne m’apparaissait pas seulement comme un compositeur d’une irrésistible séduction, admirablement doué,
« savant, laborieux, d’une organisation sensitive unique, d’une imagination et d’un tempérament personnels, ayant la pleine maîtrise de son métier », mais aussi comme un combatif, un volontaire, un brave ; et, pour preuve de ces qualités enviables, je me rappelais cette jolie lettre qu’il avait adressée au sévère critique du Figaro, à propos d’un de ses comptes rendus :
« Monsieur,
« Vous consacrez à l’exécution de ma Symphonie (qui est une Suite d’Orchestre), un article extrêmement drôle et dont j’ai
beaucoup ri. Si vous me trouvez quelque valeur, Monsieur, moi je vous trouve infiniment d’esprit, et il n’est pas un lecteur du Figaro qui ne soit du même avis que moi. Seulement,
comme tous les gens d’esprit, — lesquels, du reste, ont cela de commun avec les imbéciles, — vous êtes sujet à l’erreur, et c’est précisément pour rectifier celle qui vous a échappé dans votre compte rendu d’hier, que je me permets de vous écrire aujour
d’hui. Ma Suite u’Orchestre (qui n’est pas une Symphonie) a été exécutée dimanche, non pour la première fois, mais pour la seconde ; et, il y a deux ans, j’étais encore à Rome, où les jeunes compositeurs vivent dans l’admiration des belles choses du passé et dans la profonde ignorance d’une foule de petits agréments qui les attendent à leur retour à Paris. »
Massenet avait donc toute mon admiration, et c’est plein d’espérance et de foi que je me mis au travail.
La légende d’Hérodias évoquait une époque fertile en passions dramatiques. Jérusalem, agitée par de continuelles sédi
tions ; la dynastie des H érodes avec ses souvenirs impérissables; Hérode le Grand, ambitieux profane, égaré dans un dédale de luttes religieuses, revivant dans son fils Antipas, dénué de mora
lité, Iduméen astucieux, lieutenant des Romains, analogue au radjahs de l’Inde sous la domination anglaise. Et les fanatique passionnes, recherchant la mort avec avidité, rêvant de renverse les aigles, de détruire les ouvrages d’art élevés au mépris de
règlements mosaïques, de s’insurger contre les écussons votif dressés par les procurateurs; les Samaritains exaltés; le « zélotes » ou sicaires, assassins pieux qui s’imposaient pou
tâche de tuer quiconque manquait à la loi; les thaumaturge: considérés comme des personnes divines, et trouvant créanci par suite du besoin impérieux que le siècle éprouvait de surnaturel et de divin. Et, dans la Galilée, — cercle enchanté, idyllique et charmant, que, selon les expressions de Renan, l’attente du Messie changeait en véritable fournaise, les deuxBaptiseurs, les deux Prophètes, Jean et Jésus, capables de toutes les abnégations, pleins des mêmes espérances et des mêmes haines, fai
sant cause commune, unissant leurs disciples et préparant « l’événement capital de l’histoire du monde ».
Quel cadre merveilleux! Ce pays où tout respirait la douceur, la tendresse, le bien-être et la gaieté; la campagne abon
dant en eaux fraîches et en fruits; les jardins formant des massifs de pommiers, de noyers et de grenadiers. La vie contente et facilement satisfaite « se spiritualisait en rêves éthérés, en une sorte de mysticisme poétique, confondant le ciel et la terre », c’est encore Renan qui parle. Toute l’histoire du christianisme naissait dans une délicieuse pastorale. Un Messie aux repas de noces, la courtisane et le bon Zachée appelés à ses festins, les fondateurs du royaume du ciel comme un cortège de paranymphes; la Galilée créant à l’état d’imagination populaire le plus sublime idéal, car, derrière son idylle, s’agitait Je sort de
l’humanité, et « la lumière qui éclairait ce tableau était le soleil du royaume de Dieu ».
Et, par-dessus les docteurs solennels, les vainqueurs insolents, les rois vicieux et conspirateurs, les dévots hypocrites et atrabilaires; par-dessus la naïve Sulamite, l’humble Chananéenne, la passionnée Madeleine, le bon nourricier Joseph et Marie, par-dessus tout cela, le Temple, le Temple de Salomon, qui était à la fois un Sanctuaire, un Forum, une Université et un Tribunal ; le Temple de Sion, dont les Cours et les Portiques étaient envahis par les foules ; où tout se concentrait, les discus
sions religieuses des écoles juives, l’enseignement canonique, les procès même et les causes civiles, en un mot toute l’activité de la nation.
Quant à la Légende, elle fut traitée par nous en légende, c’est-à-dire en « histoire fabuleuse ou mêlée de fables ». Fleury parlant de la légende des Saints (légendes, quia legendæ erant) a dit naïvement : « Or, quand on n’avait pas les actes d’un saint pour les lire au jour de sa fête, on en composait les plus vrai
semblables ou les plus merveilleux qu’on pouvait. » Nous fîmes ainsi, nous souvenant que l’art n’est pas à lui-même sa propre fin, qu’il est fait pour notre vie réelle, individuelle et générale.
musique de M. MASSENET