suspendu à lui. — C’est d’abord l’ensemble de toutes les côtes, la cage osseuse que le diaphragme sépare en deux cavités, comme une cloison. — Le poids des organes con
tenus dans ces deux cavités : songez à ce que peut peser le rumen chargé d’herbes triturées, et la masse des intes
tins d’un ruminant ! Songez-vous que les intestins, chez le mouton, ont vingt-huit fois la longueur du corps, et vingtdeux fois chez le bœuf!
La voûte dorsale se montre à vos yeux droite dans l’a­ nimal vivant, à cause des muscles qui la garnissent ; dans un squelette, vous vous assurerez qu’elle est voûtée en contre-haut, comme l’est un
pont suspendu, disposition que l’architecte adopte parce qu’il l’a reconnue par expé
rience la plus propre pour que le pont résiste et supporte bien. Comme dit spirituellement M. Jourdier, « De même qu’un architecte serait inquiet d’un tassement survenu dans une voûte qu’il aurait fait construire, de même un
amateur repoussera un bélier qui se présentera dans des conditions analogues. » Le dos rectiligne du vivant garan
tit une voûte vertébrale bien disposée en contre-haut; le dos ensellé ne vous offre aucune garantie.
Avec un dos ensellé, il est à craindre que les intestins, n’étant plus soutenus convenablement, ne soient ballottés : les digestions se feront mal, surtout à cause du tiraille
ment qui s’opérera sur les tissus vasculaires et nerveux; ceux-ci n’exciteront plus suffisamment, ni parle sang qu’ils conduisent ou qu’ils reprennent, ni par l’influx nerveux qu’ils doivent porter. Chez la brebis pleine, à mesure que le produit se développera, il apportera un poids plus fort dans une cavité déjà trop chargée. La cloison qui sépare les deux cavités sera refoulée par le poids des organes ab
dominaux, et viendra disputer, dans la cavité antérieure, l’espace réservé aux poumons, qui précisément, chez le mouton, sont d’une remarquable petitesse relative.
Le dos rectiligne n’en est pas moins une affaire de mode ; bien mieux, c’est, à mon avis, contre le dos ensellé qu’il faudrait retourner l’accusation. Les Espagnols, vers la fin du moyen âge, ont élevé avec grand soin, les premiers, la sorte de chevaux qu’on appelait les genets d Espagne ou les andaloux : c’était la monture à l’usage des dames et des hauts personnages du clergé. On exigeait dans cet ani
mal, entre autres conditions, le dos trës-ensellé, qui offrît en effet au cavalier un siège où les réactions se font sentir moins vivement. Cette forme ne manque pas de grâce; l’œil s’y sera bientôt accoutumé volontiers. La mode se sera introduite de la rechercher aussi dans le mou
ton. Aujourd’hui, on y a renoncé pour l’élève du cheval, parce qu’on a reconnu qu’elle était l’indice d une constition faible, et le temps est venu où l’éleveur sage y renonce aussi même pour le mérinos. Dans ce dernier animal, le dos ensellé, signe de faiblesse, semble s’accorder, il est vrai, avec la faculté de produire une laine très-fine ; mais est-il déraisonnable de chercher à produire la belle laine sur des animaux bien constitués et d’une existence moins
chanceuse? Les Anglais y ont réussi dans l’Australie : leurs récents produits Je cèdent à peine aux magnifiques laines de la Saxe, ce qui ferait croire que la qualité de la toison tient surtout à certaines conditions inexplicables, ou du moins inexpliquées, de nourriture et de climat. De leur côté, nos grands éleveurs, MM. Gilbert, Pluchet, etc., entrent résolument dans la même voie. Nous touchons à une ère nouvelle, où le dos de toutes les ouailles sera strictement redressé. Au surplus, consultez les bas-reliefs antiques,
vous verrez que le sculpteur n’y a jamais retracé de bélier ou de taureau qui présentât une échine ensellée. Pour lui, l’élégance, la vraie beauté ne se trouvait pas dans cette condition : nous ne faisons donc que revenir à la loi de la nature.
Maintenant arrivons aux bœufs. Il s’agit pour eux debien autre chose, ma foi ! Il s’agit de réhabiliter leur réputation compromise chez nous comme animaux de vitesse. Dans le courant de l’été dernier, les fabricants de sucre de l’arron
dissement de Valenciennes ont imaginé de lancer au trot un attelage de bœufs sur la grande route de Denain à Valen
ciennes. La distance de neuf kilomètres qui sépare ces deux villes a été parcourue en cinquante-quatre minutes par ces énormes coureurs. Partis de Denain à quatre heu
res du matin, et suivis d’un grand nombre de curieux à cheval et en voiture, ils sont entrés triomphalement avant cinq heures dans la cour d’un hôtel où devait se consommer en joyeux repas l’argent d’un pari : leur propriétaire s’était engagé à ce qu’ils ne mettraient pas plus d’une heure : ils ont répondu noblement à sa confiance.
A cette nouvelle, grand émoi parmi les agronomes. Il faudra toujours, disent-ils, des chevaux pour les transports au delà des limites de la ferme, pour ceux qui ont lieu en hiver lorsque la terre est couverte de neige ou de glace ; mais si l’on se représente combien est coûteux l’entretien des chevaux, à combien d’accidents ils sont sujets, comme leur valeur diminue avec l’âge pour arriver à zéro, l’on comprendra quel avantage il y aurait à remplacer par des bœufs de vitesse deux tiers ou trois quarts des attelages de chevaux. Quelle différence par an pour tel fermier lor
rain, nourrissant vingt-quatre chevaux qui passent oisifs à l’écurie quatre à cinq mois de la mauvaise saison, s’il n’a­
vait que six chevaux et s’il engraissait chaque hiver vingt bœufs !
« Il me semble, dit M. Villeroy, qu’il serait utile de savoir quelle est la race de ces bœufs et leur poids moyen. — Comment les vaches de peüe race payent leur nourriture en lait ; — et surtout comment les bêtes prennent la graisse.
— Comment on dresse, comment on attèle, comment on nourrit et on gouverne les bœufs. ·— Quelle est la somme de travail qu’on peut en obtenir comparativement à des chevaux de moyenne force ; comment ils résistent à ce travail. »
A la plupart de ces questions on peut trouver un commencement de réponse dès aujourd’hui. Si l’on est sérieuse
ment en quête du meilleur bœuf de vitesse, c’est probablement à certaines contrées de l’Asie qu’il convient d’aller demander la race par excellence plutôt qu’aux bœufs de Valenciennes, bien que ceux-ci se soient admirablement conduits. Le yak, que les voyageurs nomment la vache gro
gnante, ou buffle à queue de cheval, est plié depuis un temps immémorial à la domesticité. Originaire des monta
gnes de la Tartarie, du Thibet et du Boutan, il y vit en troupeaux considérables, dont les Kalmouks, les Tartares et les Chinois tirent le parti le plus avantageux. C’est leur bête de somme ordinaire, car le mâle ou le yak peut por
ter de lourds fardeaux, et la génisse ou dhé est excellente laitière. (J’emprunte ces documents à M. Lesson, membre correspondant de l’Académie des sciences.) Cuvier ajoute qu’une épaisse fourrure de laine douce revêt les deux sexes, sur les côtés et le dessus du corps ; les poils du ventre tom
bent jusqu’à la hauteur des jarrets. Cette toison est utilisée pour tisser des étoffes. Bien que ses mouvements soient brusques, le yak a une marche plus rapide et aussi sûre que celle du cheval. Il est à peu près de la grosseur de notre bœuf vulgaire.
Dans les vallées neigeuses de l’Oxus, les hordes Kirghiz qui y descendent de Pamir, ce Caucase de la Tartarie, s’y rendent sur des yaks qu’ils appellent kunghau, ou vaches de montagnes. Ecoutez un voyageur anglais, le capitaine Wood :
« Je vis une femme Kirghiz ayant un yak pour monture. « Assise sur une selle légère, qui avait des étriers de corne,
« elle le conduisait au moyen d’une cordelette passée dans « le cartilage du nez, en guise de bride. Cet animal, fort de « membres, couvert d’une épaisse toison, ayant un gros « ventre qui touchait presque à terre, et balayant le sol de « sa queue touffue, me représentait un monstrueux chien « de Terre-Neuve. »
Il me semble que voilà à peu près remplies toutes les conditions du programme posé. Ajoutez qu’au lieu de l’i­
gnoble queue de notre bœuf vulgaire, tout au plus bonne à fabriquer de fausses barbes pour le carnaval, notre agriculture recueillerait dans les poils de la queue du yak, une ma
tière textile qui joint à l’éclat et à la finesse de la soie la solidité du crin. Ils sont épais et floconneux, et l’on en fa
brique des tentes solides, des cordes estimées, les parures des bonnets chinois, etc. Ces queues conservées dans leur intégrité servent d’étendards aux Turcs et aux Persans, et de là sont venus les titres de pachas à une ou deux queues ; il y en a de plus d’un mètre de longueur. D’un autre côté, je ne vous cacherai pas qu’au rapport du voyageur Georgi, le beurre provenant du lait tartare aurait un léger goût de suif : vous voyez que je suis impartial. Cuvier dit qu’il y a des races sans cornes, et que cet animal ne mugit jamais et se contente de grogner très-bas et dans des cas bien rares ; on n’est pas plus résigné, on n’a pas plus de savoirvivre.
Que si, malgré ses qualités et même ses vertus, vous dédaignez, à cause d’un léger défaut qu’on pourrait proba
blement corriger, le yak des Tartares et des Chinois, venons demander le bœuf de vitesse aux éleveurs Hindous qui ne l’ont pas encore laissé dégénérer. Nous retrouverons dans l’Inde, comme du temps d’OElien, qui écrivait, vers l’an
220, une histoire des animaux, les grands et petits bœufs à bosse ou zébus, qui courent aussi bien que les chevaux. Je lis dans un article de Cuvier qu’il y en a de la taille de nos plus grands bœufs d’Europe, et d’autres qui sont à peine plus grands que nos boucs : cette petite variété sert à traî
ner les enfants. On les emploie comme monture, comme bêtes de trait et comme bêtes de somme. Il y en a dont l’allure est aussi douce que celle de nos chevaux dressés pour femmes. Mais, raconte un voyageur, il faut bien pren
dre garde, lorsqu’on achète ou qu’on loue un bœuf pour le monter, que sa corne n’ait pas plus d’un pied de hauteur,
parce que, si elle est plus longue, les mouches venant à le piquer, il se débat et hausse la tête, et peut donner de ses cornes dans l’estomac, comme on l’a vu arriver plusieurs fois. » Le bœuf de trait tire à l’aide d’une bande de cuir, large de quatre doigts, qu’on lui jette autour du col et qui se trouve arrêtée par la grosse bosse. Le zébu de selle ou de trait se laisse conduire par une petite corde qu’on lui passe dans la cloison des narines : on prend la précaution de le ferrer lorsqu’il doit voyager sur un terrain rude.
Le zébu, raconte Tavernier, qui en parle d’après sa propre expérience, fait des voyages de soixante journées, à douze ou quinze lieues par jour et toujours au trot. Quand ils ont fait la moitié de la journée, on leur donne à chacun deux ou trois pelotes de la grosseur de nos pains d’un sou.
Ces pains, du temps de Tavernier, étaient le double de ceux d’aujourd’hui, faits de farine defroipent pétrie avec du beurre et du sucre noir ; et le soir ils ont leur ordinaire de pois chiches concassés et trempés une demi-heure dans l’eau.
Nos chevaux de roulage ne font pas mieux; mais l’on voit, par ce régime substantiel accordé aux zébus, qu’il faut en tout pays nourrir en proportion du service qu’on exige, ou, comme dit le savant M. Dumas, « entretenir soigneusement a le combustible du foyer, l’huile delà lampe qui brûle dans « le sein de l’animal, alimenter le feu de la forge, selon que « le jeu du soufflet, c’est-à-dire des poumons, est plus ou « moins actif. » N’admirez-vous pas ces sagaces Hindous, qui, bien longtemps avant que Lavoisier eût allumé le flam
beau de la chimie moderne, avaient découvert ces grandes vérités : que les légumineuses et la farine de froment sont les substances alimentaires les plus riches en azote; et que le beurre et le sucre sont d’admirables matériaux pour fournir à une riche combustion vitale !
Cuvier pense que le zébu serait très-susceptible de multiplier dans nos climats. Des expériences faites à Pile de France ont prouvé qu’il produit avec nos vaches, et que la bosse s’efface après quelques croisements. Les Anglais en ont importé chez eux, et de riches propriétaires en ont en
tretenu dans leurs parcs, mais simplement comme objet d< curiosité, plusieurs générations successives.
Ma conscience ne me permet pas de taire que toutes ces brillantes qualités çjê zébu sont atténuées par un grave dé
faut. Les voyageurs n’ont pas trouvé que sa chair valûl celle de notre bœuf vulgaire. Les Anglais, qui ont été i même d’en manger de formée sur les herbages du sol bri
tannique, et qui n’eussent pas demandé mieux que de la trouver bonne, ont été malheureusement de la même opi
nion que les voyageurs. Un éleveur habile pourrait espérer, il est vrai, de modifier la qualité en mieux; il ne faudrait peut-être que de la persévérance. Cependant, si cela vous décourage ou que le voyage de l’Inde vous semble trop long, demandons-nous tout simplement si, sur notre sol français, quelqifune de nos belles races de bœufs monta
gnards, celle d’Auvergne par exemple, ne pourrait pas nous fournir le bœuf de vitesse. Débarrassons cet animal aux membres robustes et allongés de cette lourde pièce de bois qui charge sa tête et la lient forcément rapprochée de terre, en liant ses mouvements à ceux d’un camarade qui n’est pas moins gêné que lui, et nous modifierons, quand nous le voudrons, son allure que nous qualifions de paresseuse, et qui n’est que l’allure souffreteuse de tout forçat à la chaîne.
Attelez le bœuf d’Auvergne avec un harnais, comme celui du cheval, de manière qu’il ait sa franche et libre al
lure naturelle, et il est à parier que vous l’aurez bientôt accoutumé à une marche plus rapide. Seulement, atten
dons-nous à ce qu’il faudra le nourrir plus largement, ou d’aliments de meilleure qualité, à partir du jour où nous obtiendrons de lui une plus grande somme de travail. En l’attelant mal, nous nous privons d’une notable partie de sa force et nous perdons beaucoup de son temps ; il est vrai qu’il peut se contenter alors d’une nourriture moins riche ; mais pensez-vous que ce soit là un bon calcul?
Les cultivateurs anglais, qui chez eux ont très-peu de contrées montagneuses, ont établi sagement la division du tra
vail : le cheval produit de la force, le bœuf n’est admis à produire que de la viande, par la raison que le bœuf donne la meilleure viande, et que le cheval, en pays de plaine, donne la force rapide et pouvant surtout l’exercer en toute saison, la force réellement économique. La tendance ac
tuelle de notre pays, celle qu’encouragent les comices, est d’imiter l’Angleterre et de modifier nos races bovines de manière à en faire des animaux de boucherie; cela est bien dans nos pays de plaine ; mais dans nos pays de montagnes, c’est-à-dire sur une bonne portion de notre territoire, le cheval, comme travailleur économique, perd de sa supério
rité sur le bœuf; nous ne pouvons donc nous passer du bœuf de travail opposé au bœuf d’engrais. Il serait sage de faire un choix parmi nos races, afin de ne modifier dans le sens de la boucherie, que celles dont la chair est de meilleure qualité, et de nous appliquer, au contraire, à perfec
tionner chez les autres la conformation pour le travail, mais pour le travail uniquement. Leur chair se vendra un peu
moins; mais nous serons amplement dédommagés si nous parvenons à créer parmi l’une d’elles le bœuf de vitesse qui
puisse, comme celui du Thibet ou de l’Inde, nous donner tout son service en force économique. Persister à vouloir conformer l’animal à deux fins, ce serait persister à violer le grand principe des temps modernes, la division du travail.
Terminons par une visite aux chevaux. Il s’agirait, quant à eux, de leur épargner les ennuis et les dégoûts d’une vieillesse trop prolongée, de les soustraire au couteau de l’ignoble équarisseur, pour les livrer à la massue du bou
cher, ce qui aurait l’avantage de leur donner une valeur nouvelle après leur mort. Pour cela que faut-il? Répandre parmi les populations le goût de la chair du cheval et l’ha
bitude de la consommer sciemment et avec intention bien formelle. Les prédicateurs de cette mission s’en vont répé
tant qu’à Copenhague, Naples et Munich, des boucheries se sont publiquement ouvertes avec succès pour débiter un aliment repoussé par d’absurdes préjugés, sans parler des Tartares et des Gauchos de l’Amérique du sud qui le consomment à peu près cru et simplement mortifié par un pro
cédé énergique, mais qui manque tant soi peu de propreté. La langue du cheval, nous dit-on, est un mets délicat; le bouillon fait de sa chair rappelle beaucoup celui de poule et nourrit mieux que celui de bœuf. Ces apôtres parlent d’or, et cependant je doute qu’ils réussissent à opérer des con
versions nombreuses, et surtout ferventes, dans les pays où les bœufs ne manqueront pas, et aussi longtemps que la gent chevaline sera sujette à certaines maladies qui respec
tent l’autre bétail; par exemple, la gourme, la morve et le farcin. Mille pardons, lecteurs, d’avoir abordé ces détails peu appétissants, mais j’avais à remplir mon devoir de gazetier agricole.
Saint-Germain Leduc.
Saint-Anselme de Cantorbéry,
PAR M. CHARLES DE RÉMUSAT. 1 VOL IN-8° ; CHEZ DIDIER.
M. de. Itémusat a d’autres titres encore que ceux de ses excellents travaux. Son nom a l’heureux privilège de représenter certaines traditions d’atticisme, de goût et de par
faite urbanité, que l’on apprécie d’autant mieux qu’elles s effacent de jour en jour. Empêchera-t-on que le public qui lit un livre ne se préoccupe en même temps de l’auteur? Où est le mal après tout? Autrefois ce titre d’homme de talent et d’esprit imposait des qualités de politesse, de bon sens et de sociabilité presque indispensa
bles. On n’aurait point supporté, il y a seulement cinquante ans même, chez les plus grands génies, ces excès de morgue révoltante, ces affectations de toute nature qu’affichent avec tant de complaisance plusieurs écrivains de nos jours.
— Lisez le livre ! est-on obligé de dire sans cesse aux lecteurs qui ne sont pas au fait des choses littéraires; mais évitez de