de donner à l’armée de défense deux mots d’ordre au lieu d’un, nous n’hésitons pas à tenir le seul langage que puisse inspirer l’idée de la patrie en danger.
— Vous, gouvernement de la défense nationale, doublez, triplez, décuplez vos forces et vos moyens d’action. Sachez que la patrie, oublieuse de ce que vous aurez fait, n’aura de mémoire que pour vous reprocher ce que vous aurez omis de faire ! Sachez encore que si le salut de Paris est en ce moment le salut de la France, la chute de Paris vous fera descendre au fond de l’abîme ouvert devant nous ! Sachez, enfin, que pour vous l’impos
sible n’existe plus, et que le pays n’attend de vous que la victoire !
— Vous, Comités de toute couleur et de toute origine, regardez en ce moment le mot réaction comme un blasphème. Souvenez-vous que tout déchirement intérieur livre la France aux Prussiens, et ne songez qu’à chasser l’ennemi, en vous di
sant que la République, après avoir délivré la
France, y aura des racines que rien ne pourra détruire !
Donc, plus que jamais, union, concorde ! Et, ce point mis hors de discussion, revenons à ce jour


nal du siège de Paris, à coup sûr le plus inattendu,


le plus mouvementé et le plus dramatique de notre histoire.
Samedi 17 septembre
La garde nationale.
Impossible de ne pas le reconnaître. Plus la situation devient pressante, critique, plus l’attitude de la garde nationale devient énergique et virile.
Les inscriptions continuent dans toutes les mairies.
Les distributions de fusils se font sur la plus grande échelle.
Le nombre des bataillons augmente de jour en jour avec l’élan de la population. On . compte déjà plus de deux cents bataillons de quinze cents hommes.
La garde des remparts, très-pénible la nuit, est montée pendant vingt-quatre heures avec un entrain qui ne se dément pas.
Bien mieux! Des gardes nationaux, mécontents de n’être appelés qu’à monter la garde derrière les fortifications, ont demandé à faire hors Paris des reconnaissances d’avant-postes. Il y a eu des sorties de gardes nationaux du coté de Clamart et du coté du Bourget.
Et c’est pour donner satisfaction à l’ardeur des citoyens qu’il est question d’organiser des batail
lons de volontaires de la garde nationale, appelés à prendre une part active à la lutte en rase campagne.
Ce sont là des actes qui répondent de l’énergie des gardes-nationaux parisiens. Paris nous réserve ainsi des surprises qui nous confondent.
En juin 1818, un général voyant se développer de minute en minute sur tous les poiuts de Paris le vaste réseau de l’insurrection, disait avec désespoir : « Demain, Paris sera au pouvoir des insurgés. »
Ce général ne comptait pour rien la garde civique, et ce furent les bataillons de la garde natio
nale de Paris et des départements qui eurent raison du plus formidable mouvement insurrectionnel qu’ait jamais vu la capitale.
Encore une fois, comptez sur la garde nationale, et regardez-la comme une puissance formidable!
L’arrivée des Prussiens.
jes quatre uhlans de la légende prussienne commencent à se montrer sur tous les points.
On les a vus à Maisons-Laffitte, Argenteuil, Stains, Genevilliers, Saint-Denis, Joinville-le
Pont, Saint-Maur, Créteil, La Yarenne, Villeneuve-Samt-Georges, Ghoisy-le-Roi, Chevilly, Juvisy, Ghatillon, Clamart et Meudon.
Du nord-ouest au sud-ouest, le cercle de fer étreint Paris.
Aujourd’hui, les éclaireurs, demain, les corps d’armée !
Et naturellement, les Prussiens s’avancent gonflés de prétentions et d’orgueil. Le vieux roi se montrerait encore plus in traitable que Bismark.
La Lorraine et l’Alsace! Le roi Prend-Tout ne sortira pas de là.
Il aurait fait venir dans ces provinces des savants avec mission de fouiller les archives des villes occupées par lui, et d’y recueillir les docu
ments afférant à l’histoire de l’Allemagne au moyen âge. La cession de ces documents fera partie des conditions de la paix.
Fouiller quoi ? Les savants en m de la Prusse apprendront, comme vient de le démontrer M. Henri Martin, qu’à l’exception de quelques petites villes et d’un certain nombre de villages de la Sarre et du nord des Yosges, qui parlent allemand, la Lorraine est une population d’ori
gine gauloise, qui n’a jamais parlé une langue teutonique à aucune époque, et qui n’est pas plus
allemande de race que la Franche-Comté et la Provence, autrefois relevant, comme la Lorraine, de ce qui s’appelait, non l’empire allemand, mais
le saint empire romain. Au reste, peu importe la question de race et de langue. L’Alsace, de langue germanique, est aussi Française que la Lor
raine, puisqu’elle veut l’être ; il n’y a pas d’autre droit que le droit des peuples à disposer d’euxmêmes; la force peut comprimer momentané
ment le droit; il ne se laissera jamais prescrire jusqu’à ce qu’il redevienne la force à son tour.
Le roi Guillaume a pu apprendre à Nancy, la ville prise par les quatre uhlans légendaires, comment Lorrains et Alsaciens étaient disposés à se faire Prussiens.
Le 8 septembre, les autorités prussiennes enjoignirent à la cour de reprendre ses audiences. Le président demanda au gouverneur en quel nom on rendrait la justice :
— Au nom des puissances alliées, dit le gouverneur.
— Jamais, répondit le président. — Eh bien, au nom de la loi.
— La loi est une abstraction, répliqua le président, on ne peut pas rendre la justice au nom de la loi.
— Alors, au nom de l’empereur ?
— L’empereur est déchu, et nous devons obéir au gouvernement que la France a choisi, bien que nous n’ayons pu en être informé régulièrement. Nous rendrons la justice au nom de la République.


— Jamais ! a crié le gouverneur, jamais !


Jamais, monsieur le gouverneur, est un mot qui, en histoire, n’appartient à personne. Demandez à notre Roulier ce qu’est devenu le ja
mais! qu’il prononçait avec tant de hauteur à notre tribune !
La réponse à faire.
La réponse à faire à la Prusse, vous la connaissez. Victor Hugo vient de la formuler dans un appel suprême à la France, où nous lisons cette virulente apostrophe ;
« La France doit à tous les peuples et à tous les hommes de sauver Paris; non pour Paris, mais pour le monde.
« Ce devoir, la France l’accomplira.
« Que toutes les communes se lèvent! que toutes les campagnes prennent feu! que toutes les forêts s’emplissent de voix tonnantes ! Tocsin ! Tocsin! que de chaque maison il sorte un soldat;
que le faubourg devienne régiment; que la ville se fasse armée. Les Prussiens sont huit cent mille, vous êtes quarante millions d’hommes. Dressezvous, et soufflez sur eux! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orléans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche ! Lyon, prends ton fu
sil, Bordeaux, prends ta carabine, Rouen, tire ton épée, et toi, Marseille, chante ta chanson et viens terrible. Cités, cité, cités, faites des forêts de piques, épaississez vos baïonnettes, attelez vos ca
nons, et toi village, prends ta fourche. On n’a pas de pondre on n’a pas de munition*, on n’a pas d’artillerie? Erreur On en a. D’i neu s les paysans suisses n’avaient que des cognées, les
paysans polonais n’avaient que des faulx, les paysans bretons, n’avaient que des bâtons. Et tout s’évavouissait devant eux! Tout est secourable à qui fait bien. Nous sommes chez nous. La saison sera pour nous, la bise sera pour nous, la pluie sera pour nous. Guerre ou Honte! Qui veut, peut. Un mauvais fusil est excellent quand le cœur est bon; un vieux tronçon de sabre est invincible quand le bras est vaillant. C’est aux paysans d’Es
pagne que s’est brisé Napoléon. Tout de suite, en hâte, sans perdre une heure, que chacun, riche, pauvre, ouvrier, laboureur, prenne chez lui, ou ramasse à terre, tout ce qui ressemble à une arme ou à un projectile. Roulez des rochers, en
tassez des pavés, changez les socs en haches,
changez les sillons en fosses, combattez avec tout ce qui vous tombe sous la main, prenez les pierres
de notre terre sacrée, lapidez les envahisseurs avec les ossements de notre mère la France. O citoyens, dans les cailloux du chemin, ce que vous leur jetez à la face, c’est la patrie! »
Que la France éclate ainsi, comme un volcan, et le prodige de 1792 s’accomplira une seconde fois dans notre histoire !
Dimanche 18 septembre
Nouvelles.
De jour en jour, le cercle se rétrécit. Paris voit couper, l’une après l’autre, les artères qui établissent entre lui et les départements la vie sociale.
Les chemins de l’ouest sur la Normandie, du Nord, de l’Est, de Yincennes, de Lyon sont cou
pés. La voie d’Orléans a été coupée, le 16, au deuxième pont, entre Ablon et Athis.
Plus rien qu’une ligne, celle de Montparnasse. Combien de temps ira-t-elle ?
Et naturellement, canons et chassepots font entendre leurs voix déchirantes.
On s’est battu à Athis, et les avant-postes échangent des balles à Clamart, à Juvisy, au delà de Saint-Denis, à Créteil, un peu partout.
L’engagement le plus sérieux est celui qui a eu lieu au-dessus de Créteil. C’est le corps du général Yinov qui a envoyé là des forces assez impor
tantes. Le combat a été livré près de Bonneuil, près des bois qui couronnent le plateau de Mély.
Trois éclaireurs à cheval, MM. deKergariou, Joly de Marval et de Bédé ont été blessés. Il y avait là tout un corps d’armée prussienne auquel nos mitrailleuses ont fait subir des pertes sensibles.
Ah ! nos mitrailleuses peuvent se multiplier et tonner sans interruption. C’est maintenant qu’il faut faire merveille, car la fourmilière des hordes ennemies lance autour de nous des nuées d’assiégeants !
Les arrestations.
Les arrestations menacent de nous présenter un des épisodes les plus émouvants du siège.
Hier, une nouvelle à sensation mettait soudain tout Paris en émoi. On disait qu’on venait d’ar
rêter le vieux maréchal Yaillant, qui prenait des notes aux environs de Yincennes et qui avait crié devant les gardes nationaux qui l arrêtaient : Vive l’Empereur !
L’arrestation était vraie; mais il faut reconnaître que la chute du régime impérial a été telle, que pas un serviteur de l’empire n’oserait crier : Vive l’Empereur!
Le maréchal Vaillant, membre de l’ancien comité de défense, a été conduit par M. Garnier- Pagès chez le général Trochu, et il est maintenant hors Paris.
Aujourd’hui, c’est le général Ambert, commandant une des sections des fortifications, qui a
été arrêté par le groupe d’officiers de la garde na-, tionale auxquels il donnait des instructions pom la défense de l’enceinte. Sommé de crier : Vive la République ! le général a répondu qu’il ne reconnaissait pas un gouvernement de fait et qu’il verrait plus tard. C’était aller au devant d’une explosion. Les officiers ont, en effet, arrêté le géné
ral Ambert, qui, le lendemain, était destitué et remplacé par le contre-amiral de Quilio,