LA PORCELAINE HOLLANDAISE
I
Si l’on envisage 1rs choses au point de vue philosophique ou moral, il n’est rien qui puisse paraître plus extravagant, plus triste, plus pénible même, que les débuts, dans l’Europe centrale, de la
fabrication de la porcelaine. Deux siècles avant que le kaolin, celle pierre philosophale de la céramique, ne soit découvert, on s acharne à le suppléer par les combinaisons chimiques les plus diverses et les moins vraisemblables, mais
alors qu’on en est encore réduit aux tâtonnements préliminaires, à ces formules empiriques et mystérieuses, auxquelles les auteurs les plus com
pétents accordent une sorte de sanction officielle’, déjà l’on se débat eu plein mélodrame.
Si, par exception, les tentatives discrètes de ce précurseur, que ses compatriotes appellent encore de nos jours : uiïcerto Antonio alchimista1, demeurent entourées d une certaine dignité scientifique; si, à son exemple,
Ulysse Aldovrandi conserve dans le château de San Marco, où il opère pour le compte des Médicis, une retenue qui inspire le respect; en France,
en Allemagne, on ne rencontre qu’inventeurs trahis, que détenteurs de prétendus secrets dépouillés, frappés, parfois incarcérés ou menacés de mort. Et le plus lamentable dans cette aventure peut-être unique dans les fastes artistiques de l’Europe, c’est que des deux côtés du Rhin, les personnages les plus augustes, les princes les plus cultivés, les ministres les plus habiles, des magistrats qu’on aimerait à se figurer plus intègres,
1. Cf. Haudicquer de Blancourt, l Art de la Verrerie. — Manière de composer la terre pour faire une belle Porcelaine (Paris, 1687), ch. cxcv.
2. Angelo Genolini, Maioliche italiane (Milano, 1881), p. 10.