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L’ART NOUVEAU APPLIQUÉ AUX CHEMINS DE FER
On nous adresse la lettre suivante :
Monsieur le Directeur,
Permettez-moi de vous communiquer quelques extraits d’un entrefilet paru en ce jour (26 septembre) dans le Figaro,
en vous signalant le singulier revirement d’opinion dont il est l’expression ; expression amusante et spirituelle, je ne le nie pas; mais contestable au premier chef, selon moi.
Le rédacteur de cet article commence par remarquer qu’cnfmla place de l’Opéra va être débarrassée des palissades qu’on y a successivement installées, démontées, réinstallées
et qui vont, au moins l’espère-t-il, disparaître définitivement pour faire place à la nouvelle gare du Métropolitain, destinée à devenir un vestibule préliminaire du monument Garnier.
A cette judicieuse observation je n’ai, personnellement, aucune objection à opposer. Nous nous rappelons tous la splendide excavation qui, pendant des mois entiers, convertit cette place monumentale en un précipice, dont les abords furent rigoureusement interdits. On fouilla, on creusa, on posa de gigantesques poutres en fer; et ce fut, pendant une longue période, une véritable joie pour les Parisiens, provinciaux et étrangers, que de regarder par les fentes de la palissade le lent avancement de ces difficiles travaux.


Nous attendions avec le plus vif intérêt l’apparition de la gare qui devait couronner ce trou béant. Mais les ingé


nieurs de la Ville, désireux évidemment de prolonger et renouveler nos plaisirs, fermèrent un beau jour le trou, le recouvrirent, refirent la chaussée, les refuges, les trottoirs,
remirent en place les candélabres. On put croire que, tout bien considéré, ils abandonnaient la partie et que la gare souterraine était décidément convertie on musée pour les œuvres d’art do la Ville do Paris; musée dont l’entrée était et demeurerait interdite au public, puisqu’on ne lui attribuait aucun genre d’entrée.
Etant donné le haut intérêt que présentent généralement les musées municipaux, tels qu’ils sont constitués, cette mesure se comprenait parfaitement.
C’est ainsi, monsieur, et vous le savez bien, que l’opinion publique s’égare elle-même. Quelques mois se passèrent;
après quoi l’on posa de nouvelles palissades ; ou plutôt l’on reposa les mêmes; après quoi on refit le même trou, mais sur des proportions plus modestes.
D’aucuns pensèrent que la Municipalité, désireuse de donner satisfaction immédiate à de plus pressants besoins que ceux de la locomotion, avait compris la nécessité d’installer enfin le chalet, le célèbre chalet qui fut déjà, à plusieurs reprises, posé, déposé, reposé et finalement enlevé, précisément au même endroit.
Séjournant autour de la palissade, en plusieurs de mes moments de loisir, j’ai pu recueillir les impressions de plu
sieurs des membres du Suffrage universel, qui séjournaient comme moi-même autour de ce centre d’attraction. Lès uns niaient que la Ville eut pu revenir sur son ancienne décision, prise par suite de la réprobation générale.
D’autres affirmaient la réapparition prochaine du Chalet. Celui d’Adolphe Adam ayant, de temps immémorial, obtenu les faveurs du public mélomane de l’Opéra-Comique, ils
ne voyaient aucune raison pour que le public de l’Opéra ne fît pas le même accueil à celui-ci, dont l’utilité pratique était incontestable.
Plusieurs autres flâneurs, doués d’un véritable sens esthétique, discutèrent le style qu’il conviendrait d adopter pour mettre le nouvel édicule en harmonie avec le chef-d’œuvre de Garnier et avec les bâtiments en style Napoléon III qui l’entourent. Il ne vous intéresserait guère de savoir comment
ces critiques sagaces entendaient marier le style du châlet avec les tendances archéologiques du jour; d’autant moins que le point de départ de toutes ces dissertations était fort mal placé. Nous savons tous aujourd’hui que c’est, décidé
ment, la nouvelle gare métropolitaine, et non point un châlet, qui va s’édifier sous nos yeux.
J’aurais évidemment pu, me direz-vous, vous éviter moimême toutes ces divagations qui sont sans objet ; vous me pardonnerez si j’aime trop à commencer par le commencement.
XXe Année de la Collection.
1er octobre 1904LA CONSTRUCTION MODERNE
2e Série. 10e Année. № 1.