Maintenant, in médias rcs! comme disent les professeurs de rhétorique quand ils donnent des conseils sur l art dra


matique aux jeunes rhétoriciens qui, presque tous aujour


d’hui, songent à cueillir des lauriers sur la scène avec des pièces plus ou moins naturalistes (vous savez qu’au collège on ne bâtit plus de tragédies alexandrines comme au bon temps jadis, et il y a belle lurette).
Voici donc, sans plus de préambule, le passage du Figaro que j’incrimine :
« On a renoncé, dit-il, à déshonorer la place de l’Opéra avec ces rampes contorsionnées, ces lampadaires bossus qui signalent par d’énormes yeux de grenouille les autres sta
tions du Métropolitain. Celle-ci est entourée d’une simple balustrade en pierre polie se terminant, de chaque côté de l’entrée, par un pilastre massif et surbaissé, dans lequel elle
semble enrouler son large ruban de pierre ajouré en colonnettes d’un style sobre, en parfaite harmonie avec la façade de l’Académie de musique. C’est simple, très artistique et du meilleur goût.
« Maintenant que le premier pas est fait, nous espérons que l’on va faire disparaître les ornements « art nouveau » qui décorent la station de la place du Palais-Royal et celle des Tuileries, et que l’on va profiter de l’occasion pour jeter bas les deux pavillons de la place de l’Étoile, qui ne se contentent pas d’être fort laids et sont en outre absolument inutiles ».
Je n’ai pas la moindre prétention de défendre, dans la Construction Moderne, les lampadaires bossus ni les yeux de grenouille des stations actuelles; cependant je les ai beaucoup aimés. Cette affection, en prenant de l’âge, s’est cal
mée comme se calment toutes les passions de la jeunesse
— ce qu’on ne saurait trop regretter, hélas! — Mais elle a tourné en un de ces attachements apaisés, qui restent attendris par les souvenirs d’autrefois.
Ce n’est pas une raison pour persécuter vos lecteurs et pour prétendre à imposer une admiration sans borne poul
ies globes d’éclairage du Métropolitain, à ceux qui ne l’ont pas naturellement conçue. Nous ne parviendrions pas à nous convaincre mutuellement, ce serait donc du temps perdu.
Mais laissez-moi maintenant me retourner contre le critique du Figaro. Je ne sais pas (peut-être pas plus que lui) ce que sera la gare de demain, ni quel air elle pourra avoir lorsqu’elle sera débarrassée des palissades opaques qui la
soustraient encore aux regards, et lorsqu’elle apparaîtra enfin dans toute sa beauté.


La description qui nous en est donnée, et a pris pour mission de nous enthousiasmer, est-elle vraiment suffisante pour produire cet enviable résultat?


La simple balustrade qu’on nous annonce sera, paraît-il, en pierre polie. Permettez-moi de faire observer ici que nous avons déjà, dans un grand nombre de nos musées, des haches, des couteaux en silex, des flèches et autres accessoires appartenant au même âge de la même pierre polie.
Ne pensez-vous, ne craignez-vous pas, tout au moins, que la balustrade sus-monlionnéc n’appartienne au même âge pré
historique? Comme, d’ailleurs, la plupartdes balustrades qui, d’âge en âge, do génération en génération, se sont transmises jusqu’à nous. Car vous n’ignorez pas que l’on continue, de
nos jours et par cette constante tradition, à prodiguer des balustrades sur des édifices où l’on ne se promènera jamais puisqu’ils ont des toits en pente; en toutes sortes de lieux parfaitement inaccessibles; tout comme sur les plus vul
gaires terre-pleins où n’exist8 pas le moindre précipice capable d’engloutir les promeneurs.
Mais passons puisque, après tout, il y a un trou sur la place de l’Opéra, et puisque, après avoir monté, il faudra des
cendre. Toute la question à discuter, c’est de savoir si la balustrade en pierre parfaitement polie sera, ainsi que la plu
part de ses congénères, du style qui fut toujours adopté chez les marbriers funéraires et les fabricants de produits agglomé
rés. Auquel cas je ne cesserais de réclamer contre l’abus ainsi fait d’un balustre consacré par un long atavisme, il est vrai, mais dont je ne reconnais nullement la parenté, même lointaine, avec le Métro.
A la suite de cette collection de balustres authentiques, destinés à égayer l’accès delà future cave, se présente, nous dit-on, un pilastre massif et surbaissé dans lequel « semble » s’enrouler un large ruban de pierre ajouré en colonncllcs d’un style qui est en parfaite harmonie avec celui de l’Académie de musique???
L’harmonie avec une académie, qui est de musique, est tout à fait souhaitable en effet. Seulement je ne distinguo pas très bien, à première vue, celle qui peut s’établir entre la façade de Charles Garnier et une simple colonnetle qui m’a l’air de faire, tout bonnement, partie d’une rampe d’escalier.
Il me semble, toujours à première vue, que c’est faire marcher du même pas, dans le même rang, le ciron et l’élé
phant. Quelle diable d’harmonie peut donc s’établir entre deux êtres aussi dissemblables?
Si quelqu’un de vos ingénieux lecteurs pouvait ensuite me donner un croquis, un simple croquis en trois coups do crayon, figurant cet assemblage d’un pilastre massif et « surbaissé » (par l’âge ou par le malheur?), au moment où il s’enlace d’un ruban de pierre composé de colonnettes, je lui en serais profondément reconnaissant. Mais qu’il n’oublie pas, au cours de ses études, que le tout, pilastre (peut-être pilier) et ruban et colonnettes, doit être en parfait accord avec l’Opéra.
Cet accord n’est peut-être pas indispensable, puisque l’Opéra est visible à l’œil nu, tandis que le pilastre et ses accessoires sont probablement sous terre. Mais il n’importe ; l’accord existe, le rédacteur du Figaro nous l’affirme; il ne faut donc pas le supprimer. J’attends une réponse.
Il ne me reste plus qu’à vous faire remarquer, Monsieur le Directeur, combien ce même rédacteur do journal est sévère pour l’art nouveau des gares actuelles du Métro.
Cette sévérité, cruelle puisqu’elle va jusqu’à en demander la démolition, est-elle donc bien justifiée?
Ces gares ne s’harmonisent pas avec l’Opéra; il serait inutile do le contester. Mais était-il nécessaire qu’elles en empruntassent le style? Le style de Garnier s’adapte parfaitement à cette vaste Académie de musiquo; s’ajusterait-il aussi bien à une gare souterraine?
Et, d’autre part, est-il nécessaire que le style Métro soit


celui de notre premier théâtre do danse et de chant?