toujours neuf que de voir dans le port une galère glisser sur ses rames, ou cingler vers la Dogana une chelandre à coque bizarre, pareille à un homard énorme pavoisé d’ailes frémissantes. On croit le voir, le nez au vent, sur la Piazzetta ou la Riva de’ Schiavoni, prenant vivement un cro
quis, notant un mouvement, un geste, une forme d’ajustement, la hune d’un vaisseau dans son triangle de cordages, ou se remplissant les yeux de mille visions qui, une fois chez lui, se reproduisaient docilement sur le papier ou sur la toile. Ainsi se créait, au jour le jour, cette œuvre si origi
nale, vrai musée de la Venise d’il y a quatre cents ans, tout aéré, plein de soleil et d’oriflammes claquant au vent, sentant la brise du large et l’odeur des lointains, et pourtant d’un charme si local, qu’il se comprend à peine hors de l’archipel vénitien...
Mais d’autres aussi ont peint Venise, et, pour n’en citer qu’un, la Place Saint-Marc de Gentil Bellin ne le cède ni en précision ni en valeur docu
mentaire aux meilleures pages de Carpaccio. Il y a plus. Comptez chez lui les vues textuelles de la ville, les tableaux vénitiens au sens de Canaletto : vous serez surpris de leur petit nombre. Si son œuvre, dans l’ensemble,
fait une impression toute vénitienne, si l’on y rencontre à chaque pas des canaux et des quais, bordés d’architectures qui ont un air de famille avec celles de Venise, rien n’est plus rare que de pouvoir mettre un nom sur une de ces «fabriques », et d’y reconnaître une intention de copie positive.
Il est clair, au contraire, que l’artiste, la plupart du temps, a voulu nous dépayser, et il n’a pas tenu à lui qu’il y ait mieux réussi : car il a mis dans ses « histoires » tout ce qu’il a pu recueillir de renseignements exacts et de « couleur locale ». Ainsi, dans la Légende de sainte Ursule, il évite avec soin de peindre un seul palais littéralement vénitien ; mais il ne manque pas, dans l Arrivée à Rome, de représenter aussitôt la masse du château Saint-Ange, comme, dans les histoires orientales de saint Étienne et de saint Georges, il figure scrupuleusement, d’après les meilleures sources, les forts de Candie et de Rhodes, Jérusalem, les Pyramides. On dira peut-être que cet exotisme même est un trait vénitien : mais on sait que, dans ces cas-là, le peintre se servait d’un livre de dessins allemand, et que d’ailleurs les mêmes vues des Lieux Saints se retrouvent dans des ouvrages d’écoles fort différentes, comme la Passion de Taddeo Gaddi ou les Trois Maries de Van Eyck.
quis, notant un mouvement, un geste, une forme d’ajustement, la hune d’un vaisseau dans son triangle de cordages, ou se remplissant les yeux de mille visions qui, une fois chez lui, se reproduisaient docilement sur le papier ou sur la toile. Ainsi se créait, au jour le jour, cette œuvre si origi
nale, vrai musée de la Venise d’il y a quatre cents ans, tout aéré, plein de soleil et d’oriflammes claquant au vent, sentant la brise du large et l’odeur des lointains, et pourtant d’un charme si local, qu’il se comprend à peine hors de l’archipel vénitien...
Mais d’autres aussi ont peint Venise, et, pour n’en citer qu’un, la Place Saint-Marc de Gentil Bellin ne le cède ni en précision ni en valeur docu
mentaire aux meilleures pages de Carpaccio. Il y a plus. Comptez chez lui les vues textuelles de la ville, les tableaux vénitiens au sens de Canaletto : vous serez surpris de leur petit nombre. Si son œuvre, dans l’ensemble,
fait une impression toute vénitienne, si l’on y rencontre à chaque pas des canaux et des quais, bordés d’architectures qui ont un air de famille avec celles de Venise, rien n’est plus rare que de pouvoir mettre un nom sur une de ces «fabriques », et d’y reconnaître une intention de copie positive.
Il est clair, au contraire, que l’artiste, la plupart du temps, a voulu nous dépayser, et il n’a pas tenu à lui qu’il y ait mieux réussi : car il a mis dans ses « histoires » tout ce qu’il a pu recueillir de renseignements exacts et de « couleur locale ». Ainsi, dans la Légende de sainte Ursule, il évite avec soin de peindre un seul palais littéralement vénitien ; mais il ne manque pas, dans l Arrivée à Rome, de représenter aussitôt la masse du château Saint-Ange, comme, dans les histoires orientales de saint Étienne et de saint Georges, il figure scrupuleusement, d’après les meilleures sources, les forts de Candie et de Rhodes, Jérusalem, les Pyramides. On dira peut-être que cet exotisme même est un trait vénitien : mais on sait que, dans ces cas-là, le peintre se servait d’un livre de dessins allemand, et que d’ailleurs les mêmes vues des Lieux Saints se retrouvent dans des ouvrages d’écoles fort différentes, comme la Passion de Taddeo Gaddi ou les Trois Maries de Van Eyck.