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LES GONDOLES DE L’ARCHITECTURE


Je lisais, ces jours derniers, un article de M. Nozière qui doit très probablement ce nom à un roman de M. Paul Bourget. A faire tant que de choisir un pseudonyme, il n’y a pas de mal à l’aller prendre chez cet éminent auteur.


M. Nozière, qui est un fort aimable écrivain, d’esprit compatissant, déplorait donc la grève des gondoliers à Venise.


Venise sans gondoliers, s’écriera-t-on, mais c’est Paris sans Métro, c est un Cirque dont on aurait retiré les chevaux pré
sentés en liberté, un canon qui n’aurait plus qu’une âme sans bronze autour!
Ce n’est pourtant pas là ce qui attendrissait M. Nozière. Toute sa commisération compatissante se portait vers les jeunes mariés. Car tout être humain qui a déambulé sous les arcades de la place Saint-Marc ne peut ignorer que les photographes vénitiens ont la spécialité de portraiturer les couples récemment unis et qui tiennent à conserver leur image encadrée d’une noire gondole.
Il y a une pose, avec enlacement, qui est absolument classique et do rigueur; le photographe l’indique et le fait prendre
sanshais supplémentaires. Du reste, l’appareilla reproduirait de lui- même, si on ne la prenait pas, tant il y est habitué.
Oi, plus de gondoliers, plus de gondoles! Alors plus de couples enlacés et suipris instantanément sous les rayons d’une lune ajoutée après coup par les soins do l’opérateur et qui n’en argente pas moins agréablement les Ilots do l’Adriatique.
C’est cette conséquence funeste d’une grève intempestive que regrettait profondément M. Nozière; et il avait raison. Il ne faut pas mettre le moindre obstacle au culte des sou


venirs quand ils conservent l’image d’amours jeunes et


légitimes que rien n’est encore venu contrarier. Il est bon que chacun garde colle empreinte d’une lune de miel à son premier quartier, telle que la symbolisaient artificiellement les photographes vénitiens.
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Ceci conduisit M. Nozière à faire incidemment intervenir l’architecture; nous y viendrons tout à l’heure. Mais qu’il me soit accordé de parler d’abord des réminiscences que cet article éveilla dans ma pensée : anchi’io, moi aussi j’ai retrouvé, à cette lecture, des souvenirs presque oubliés de cette même Venise; ils sont de nature un peu différente des considérations présentées en liberté par M. Nozière, ils ne m’en sont pas moins chers.
Nos lecteurs pourront affirmer, sous la foi du serment, que je n’abuse pas trop des impressions personnelles, n’ai
mant guère à dire, comme d’autres : Je faisais ceci, je disais cola! ainsi que font des critiques connus; ou encore : j’approuve cette œuvre, je blâme cette tendance-là. — En quoi cela pourrait-il intéresser le lecteur de savoir que j’approuve ou que je blâme? Cela doit lui être à peu près aussi égal qu’à moi-même.
Si, par exception, je rappelle ici des souvenirs person
8 OCTOBRE 1904
LA CONSTRUCTION MODERNE
2e Série. 10e Année. № 2.


XXe Année de la Collection.