nels, que cet écart me soit donc pardonné ; — pour une fois, comme on dit à Bruxelles.
On pourrait supposer, sur ce préambule, que je vais parler des ciels étoilés, des nuits d’été, du Pont des soupirs, des clairs Véronèses, des Tintorels enfumés qu’il me fut donné
de contempler, des roses effeuillées par un crépuscule prêt à s’évanouir dans un azur d’une idéale pureté, et d’une douceur mfiriicl Je n’y ai jamais songé. J’épargnerai, j’en fais serment à mon tour, cette réédition de motifs qui ont traîné sur toutes les mandolines, pour ne pas dire sur toutes les guitares du continent.
Mes souvenirs, en lisant M. Nozière, étaient au nombre de trois ; numéro deus impare gaudet. Ce que c’est pourtant que les associations d’idées! Aucune n’avait le moindre rapport avec le sujet très spirituellement traité par l’écrivain.
C’est ainsi que, dans la conversation, chacun suit sa propre pensée sans se préoccuper outre mesure des paroles de son partner; d’où peuvent résulter de fort médiocres qui
proquos. Mon tort était d’autant plus grave que les idées de l’écrivain valaient infiniment mieux que les miennes.
*
Mais qu’y faire ? Je vais donc relater ces réminiscences qui ne se rapportaient guère, d’ailleurs, qu’à des incidents fort ordinaires.
La première fois donc que je me transportai au Lido, causant avec deux autres personnes, —car le trajet est long à travers les pilotis et les débris de toutes natures qu’un insensible flot amène et remporte. Probablement, quelque mot attire l’attention du gondolier qui godillait à l’arrière.
Pris d’une subite inspiration, il prononça avec une émotion mal contenue ce nom ; Carlo Garnier ! ô Carlo Garnier !
Evidemment, il tenait à établir entre nous une communication sympathique en prononçant le nom du grand archi
tecte. De son patois vénitien nous planes conclure que cet homme brun avait été le gondolier favori de Charles Garnier, au temps où celui-ci fréquentait Venise.
Aussi en prononçait-il le nom avec une très fervente componction; ce qui ne pouvait évidemment que nous flatter,
nous qui avions l’honneur d’être les compatriotes d’un artiste de cette européenne réputation.
Pas besoin de dire que nous demandâmes et écoulâmes avec plaisir les remarques qu’avait pu faire ce gondolier observateur sur les originalités de Garnier. L’enthousiasme de son admirateur était des plus sincères, à en juger par l’effervescence tout i talienne de ses louanges.
Mais ce qui mit fin à l’entretien, ce fut la déclaration inattendue qui vint résumer tous les motifs de cette quasiadoration : ah ! signor ! Le plus grand compositeur du siècle !
Mettez cela en italien impétueux, et jugez de l’effet.
De quoi se compose donc la gloire? Et à quoi sert donc d’avoir bâti l’Opéra pour qu’un gondolier s’imagine que vous avez composé ce qui s’y chante ?
*
*
Quelques jours après j’eus une véritable apparition.
C’était le soir, sur le large balcon de Danielli d’où il est du meilleur goût de contempler les flots calmes et Saint- Georges qui compose effectivement un admirable fond de tableau.
J’avais l’honneur et le plaisir, chaque soir, d’y tenir compagnie à une fort aimable baronne autrichienne, très instruite, ayant tout lu, beaucoup vu et qui, de tout ce qu’elle avait vu, parlait fort agréablement. Notre conversation, un peu languissante comme il convient à ces heures très douces mais d’une mélancolie légèrement voilée, était une discus
sion apaisée. La dame (elle n’était plus jeune, et je le suis
encore moins; honni soit donc qui mal y pense) émettait cette formelle opinion que nous devions, par une correspon
dance réciproque, nous tenir au courant de ce qui se fait,
se dit, se joue, se lit aux lieux divers où nous devions retourner.
Bien n’eût été plus xviiie siècle que cet échange de correspondance, en retour duquel m’étaient promises des révélations, prises à la cour d’Autriche même, sur la terrible fin du prince Rudolph et de la fort jolie comtesse Veczera, dont on parlait beaucoup alors. Bien entendu, je ne pro
C’est à ce moment précis que, un par an, apparurent autour de nous de sombres personnages, à noires figures afri
caines, tous enveloppés de manteaux rouges; lesquels s’accoudèrent au balcon et, silencieusement, contemplèrent au loin, et la lune et le campanile de Saint-Georges.
Dans le pays du More de Venise, la venue de ces nouvelles figures, aussi singulièrement accoutrées, leurs noirs visages aux yeux d’émail, étaient faits pour surprendre. Que venait faire là cette collection d’Othellos ?
Le premier moment de surprise et même d’émotion passé, nous comprîmes que nous avions autour de nous les envoyés du roi Ménélick, venus en mission diplomatique et fraîchechement débarqués.
L’incident bizarre fut l’intervention de la baronne qu s’empressa aussitôt de chercher à engager la conversation ;
questionnant déjà ces diplomates, obscurs par le teint, sur les moeurs, les coutumes, les mariages de leurs pays; cherchant à sonder les mystères de la cour éthiopienne, etc., etc., etc.
Je fus même quelque peu négligé ce soir-là, et suis trop 1 équitable pour en garder la moindre rancune.
J’avais d’ailleurs une suffisante consolation, presque une vengeance: L’interprète étant absent, l’aimable baronne eut beau insister en italien, allemand, français et en plusieurs autres langues connues d’elle, les diplomates ne comprirent certainement rien de ce qui leur était demandé; ils répon
La conclusion fut que j’engageai sincèrement la dame, si gracieusement curieuse de s’instruire, à rechercher l’inter
prète nécessaire et, par lui, à transmettre ses demandes de ; renseignements précis et variés.
J’affirmai en toute sincérité, que si elle réussissait dans sa démarche, elle nouerait avec eux désormais une correspondance infiniment plus intéressante que la mienne.
*
* *
Nous étions, toujours le soir — le jour, on court et l’on regarde, — sur le quai des Esclavons auprès des restes de ce
On pourrait supposer, sur ce préambule, que je vais parler des ciels étoilés, des nuits d’été, du Pont des soupirs, des clairs Véronèses, des Tintorels enfumés qu’il me fut donné
de contempler, des roses effeuillées par un crépuscule prêt à s’évanouir dans un azur d’une idéale pureté, et d’une douceur mfiriicl Je n’y ai jamais songé. J’épargnerai, j’en fais serment à mon tour, cette réédition de motifs qui ont traîné sur toutes les mandolines, pour ne pas dire sur toutes les guitares du continent.
Mes souvenirs, en lisant M. Nozière, étaient au nombre de trois ; numéro deus impare gaudet. Ce que c’est pourtant que les associations d’idées! Aucune n’avait le moindre rapport avec le sujet très spirituellement traité par l’écrivain.
C’est ainsi que, dans la conversation, chacun suit sa propre pensée sans se préoccuper outre mesure des paroles de son partner; d’où peuvent résulter de fort médiocres qui
proquos. Mon tort était d’autant plus grave que les idées de l’écrivain valaient infiniment mieux que les miennes.
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Mais qu’y faire ? Je vais donc relater ces réminiscences qui ne se rapportaient guère, d’ailleurs, qu’à des incidents fort ordinaires.
La première fois donc que je me transportai au Lido, causant avec deux autres personnes, —car le trajet est long à travers les pilotis et les débris de toutes natures qu’un insensible flot amène et remporte. Probablement, quelque mot attire l’attention du gondolier qui godillait à l’arrière.
Pris d’une subite inspiration, il prononça avec une émotion mal contenue ce nom ; Carlo Garnier ! ô Carlo Garnier !
Evidemment, il tenait à établir entre nous une communication sympathique en prononçant le nom du grand archi
tecte. De son patois vénitien nous planes conclure que cet homme brun avait été le gondolier favori de Charles Garnier, au temps où celui-ci fréquentait Venise.
Aussi en prononçait-il le nom avec une très fervente componction; ce qui ne pouvait évidemment que nous flatter,
nous qui avions l’honneur d’être les compatriotes d’un artiste de cette européenne réputation.
Pas besoin de dire que nous demandâmes et écoulâmes avec plaisir les remarques qu’avait pu faire ce gondolier observateur sur les originalités de Garnier. L’enthousiasme de son admirateur était des plus sincères, à en juger par l’effervescence tout i talienne de ses louanges.
Mais ce qui mit fin à l’entretien, ce fut la déclaration inattendue qui vint résumer tous les motifs de cette quasiadoration : ah ! signor ! Le plus grand compositeur du siècle !
Mettez cela en italien impétueux, et jugez de l’effet.
De quoi se compose donc la gloire? Et à quoi sert donc d’avoir bâti l’Opéra pour qu’un gondolier s’imagine que vous avez composé ce qui s’y chante ?
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Quelques jours après j’eus une véritable apparition.
C’était le soir, sur le large balcon de Danielli d’où il est du meilleur goût de contempler les flots calmes et Saint- Georges qui compose effectivement un admirable fond de tableau.
J’avais l’honneur et le plaisir, chaque soir, d’y tenir compagnie à une fort aimable baronne autrichienne, très instruite, ayant tout lu, beaucoup vu et qui, de tout ce qu’elle avait vu, parlait fort agréablement. Notre conversation, un peu languissante comme il convient à ces heures très douces mais d’une mélancolie légèrement voilée, était une discus
sion apaisée. La dame (elle n’était plus jeune, et je le suis
encore moins; honni soit donc qui mal y pense) émettait cette formelle opinion que nous devions, par une correspon
dance réciproque, nous tenir au courant de ce qui se fait,
se dit, se joue, se lit aux lieux divers où nous devions retourner.
Bien n’eût été plus xviiie siècle que cet échange de correspondance, en retour duquel m’étaient promises des révélations, prises à la cour d’Autriche même, sur la terrible fin du prince Rudolph et de la fort jolie comtesse Veczera, dont on parlait beaucoup alors. Bien entendu, je ne pro
mettais rien, n’ayant rien à offrir en échange qui valût le présent offert.
C’est à ce moment précis que, un par an, apparurent autour de nous de sombres personnages, à noires figures afri
caines, tous enveloppés de manteaux rouges; lesquels s’accoudèrent au balcon et, silencieusement, contemplèrent au loin, et la lune et le campanile de Saint-Georges.
Dans le pays du More de Venise, la venue de ces nouvelles figures, aussi singulièrement accoutrées, leurs noirs visages aux yeux d’émail, étaient faits pour surprendre. Que venait faire là cette collection d’Othellos ?
Le premier moment de surprise et même d’émotion passé, nous comprîmes que nous avions autour de nous les envoyés du roi Ménélick, venus en mission diplomatique et fraîchechement débarqués.
L’incident bizarre fut l’intervention de la baronne qu s’empressa aussitôt de chercher à engager la conversation ;
questionnant déjà ces diplomates, obscurs par le teint, sur les moeurs, les coutumes, les mariages de leurs pays; cherchant à sonder les mystères de la cour éthiopienne, etc., etc., etc.
Je fus même quelque peu négligé ce soir-là, et suis trop 1 équitable pour en garder la moindre rancune.
J’avais d’ailleurs une suffisante consolation, presque une vengeance: L’interprète étant absent, l’aimable baronne eut beau insister en italien, allemand, français et en plusieurs autres langues connues d’elle, les diplomates ne comprirent certainement rien de ce qui leur était demandé; ils répon
dirent tout ce qu’ils voulurent, mais nous n’en saurons jamais le premier mot.
La conclusion fut que j’engageai sincèrement la dame, si gracieusement curieuse de s’instruire, à rechercher l’inter
prète nécessaire et, par lui, à transmettre ses demandes de ; renseignements précis et variés.
J’affirmai en toute sincérité, que si elle réussissait dans sa démarche, elle nouerait avec eux désormais une correspondance infiniment plus intéressante que la mienne.
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Ensuite, je ne relrouve plus grand’chose qui soit digne de mémoire, jusqu’à la veille du départ.
Nous étions, toujours le soir — le jour, on court et l’on regarde, — sur le quai des Esclavons auprès des restes de ce