Mais il lui est arrivé pis encore : Longtemps il a été concédé à l’administration militaire. Or, comme le faisait récemment observer la Construction Moderne, il n’est pire ennemi des châteaux et palais que l’occupation militaire.
Ainsi qu’il arrive fréquemment pour nos divers monuments plus ou moins historiques, celui-ci est fort loin d’être d’une seule venue. Il fut tout d’abord bâti, dit-on, sur l’emplacement d’une église de Saint-Florent, fort ancienne puis
qu’elle remonterait au xe siècle. Quelques parties plein cintre auraient été conservées et sont encore enclavées dans les constructions actuelles.
Ce serait au règne de Saint-Louis à peu près que se reporterait la date des principales parties actuelles; mais, à la fin du xvie siècle, Duplessis-Mornay avait fait transformer le système de défense par l’ingénieur Bartolomeo, pour le mettre à la hauteur des progrès modernes alors; ce qui impliquait une profonde modification et une extension considérable.
C’est pourquoi Mérimée, cité par M. A. Hallays, disait avec raison : « Le château situé au sommet d’un rocher escarpe passe pour avoir été construit sous le règne de Saint- Louis; mais depuis cette époque il a bien changé.
« On a abattu plusieurs de ses tours, des courtines entières, et son aspect aujourd’hui est plutôt celui d’une forteresse du xvie siècle que d un château du xiiie ».
Voici donc, d’après M. Hallays, qu’il serait aujourd’hui question de le restaurer, c’est-à-dire de relever les défenses écroulées, rebâtir les créneaux tombés et les échauguettes disparues, reconstruire les toits pointus qui coiffaient les tourelles ; bref de refaire le château de jadis.
Tout naturellement, cet écrivain s’en prend aux architectes qui veulent absolument « jouer à bâtir des forteresses ».
A cela on pourra répondre, et on répondra certainement, que l’administration des Reaux-Arts et que les Monuments Historiques, de qui relèvent ces opérations, ne sont pas
exclusivement composées d’architectes, tant s’en faut; et que s’ils acceptaient une semblable décision, il ne faudrait pas s’en prendre exclusivement aux architectes et à leur désir bien connu de construire des petits forts de tous côtés.
Il n’y aurait pas grand intérêt à insister outre mesure sur ce leit-molivc de M. Hallays; tout le monde y est habitué. Quand un leit-motivc revient par trop souvent, il perd une
très grande partie de son charme primitif, et perd en tout cas le mérite de la nouveauté.
Néanmoins l’objection présentée par M. Hallays contre la restauration, telle qu’elle serait proposée selon lui, n’en
subsiste pas moins, et elle mérite assurément d’être prise en sérieuse considération.
M. Hallays demande en effet, non sans quelque ironie, si l’on a eu soin de faire un choix préalable. Refera-t-on le château de Saint-Louis ou celui de Henri IV ? Il serait bon d’être fixé auparavant.
Si l’on refait celui de Saint-Louis, non pas tel qu’il a pu exister, mais tel que le concevront les restaurateurs, il fau


dra alors mettre bas tout ce qui est du xvie siècle; et ce serait grand dommage.


Si, à l’inverse, on refait le château style Henri IV, il faudra démolir tout ce qui reste du xiiie siècle; et cette démolition ne sera pas moins regrettable.
Mais si l’on se contentaitde conserver ce qui existe et — c’est évidemment lo plus raisonnable, — de consolider? Alors... oh alors ! que deviendrait cette unité de style qui fut, si longtemps, considérée comme l’objet principal des restaurations
faites sur des édifices —qui n’avaient jamais connu d’ailleurs semblable unité?
Telle est l’objection, et elle est fort plausible, si telles sont effectivement les intentions de l’administration des Beaux- Arts et celles des Monuments historiques. Nous conservons des doutes assez sérieux à cet égard, car le temps n’est plus à ces restaurations ultra-modernes qui avaient la prétention de rétablir une authenticité inattaquable.
Il se pourrait, à notre avis, que l’on se bornât à consolider, à réparer discrètement ce qui est réparable; il se pour
rait que l’on n’ait pas le moins du monde prétendu à une restitution qui serait effectivement une opération fort peu


louable. On doit avoir aujourd’hui rompu avec ces opérations regrettables.


Mais s”il en était autrement, on doitreconnaître que M. Hallays n’a pas eu tort de jeter un cri d’alarme. En criant, pour écarter d’avance toute fâcheuse velléité de ce genre, il n’y a pas de mal à crier un peu fort, avant même d’être écorché.
On voit que nous cherchons à être plus équitables que ne l’est parfois M. Hallays lui-même. Qu’ils nous soit main
tenant permis de compléter par une simple remarque à son adresse.
Puisqu’il est si loin d’admirer — et il a cent fois raison — ces restitutions aventurées, bien qu’elles se mettent sous la protection du canon archéologique; puisqu’il ne veut plus qu’on y dépense des sommes considérables qui seraient beaucoup plus utilement employées à la simple et solide conser
vation de nombreux vestiges tout aussi intéressants, alors pourquoi s’était-il fait, avec tant de persistance, le défenseur des remparts restitués jadis par Viollet-le-Duc à Avignon?
Que ce travail ait été fait avec une conscience extrême, en s’entourant de tous les documents qu’on a pu se procurer, nous n’y contredisons nullement. Mais il suffit de les avoir vus pour se rendre compte que l’absence obligatoire de fossés,


l’impossibilité de rétablir les niveaux anciens, celle de donner




à ces simulacres de remparts des épaisseurs qui eussent entraîné des dépenses par trop exagérées ; que tout cela réuni


n’a pas permis à l’habile archéologue-architecte qu’était Viollet-Le-Duc de réaliser ce qu’il aurait probablement souhaité ; un véritable mur de défense, qui en aurait eu la sérieuse apparence.
Si donc il ne faut pas, à Saumur, de ces restitutions plus ou moins heureuses, et fort coûteuses en tous cas, pourquoi
s’attacher tant à cette partie des remparts d’Avignon qui ont été restaurés en vertu du même système que l’on désapprouve si énergiquement à Saumur ?
Personne n’a jamais contesté qu’il faut, à Avignon, conserver pieusement tout ce qui reste des vieux et superbes remparts, les défendre contre les attaques de municipalités ou d’administrations maladroites ou aveugles. Sur ce point tout le monde est d’accord.
Mais considérer comme intangibles des constructions élevées dans le plus pur style gothique ou Renaissance de l’érudit xtx° siècle, cela nous paraîtrait comporter quelque exagération. En tout cas, il faut choisir entre les deux méthodes, soit l’une soit l’autre ; mais s’y tenir.


HOTEL DE VILLE DE SENS




(Hanches 1, 2. 3, 4. — Voyez page 6.)


L’Hôtel de Ville construit à Sens par MM. Dupont et Poivert, avait fait il y a quelques années l’objet d’un con