M. d’Orsay s était d’abord étonné, dit-il, de voir la Cour des Comptes on construction depuis neuf ans accomplis, et restée en suspens depuis dix-huit mois. Mais il finit par deviner que l’État doit manquer totalement de fonds.
En fait, jamais n’avaient afflué autant d’espèces dans les caisses de l’État; mais on doit supposer qu’il a, depuis un certain nombre d’années, découvert des sources de dépenses absolument indispensables, bien qu’elles fussent inconnues auparavant. En tout cas, on constate qu’il ne dispose, pour les bâti
ments civils ou autres, que d’un très petit nombre de centimes qui forment à grand’peine des décimes légaux.
De plus l’État, obligé de ne pas avouer cette détresse étrange au sein de l’opulence, a trouvé le moyen de dissimuler par le
procédé bien connu. Il ne dispose que dʼune veine liquide qui s’écoule, goutte à goutte, d’un robinet à peine entr ouvert; néanmoins il tient à faire croire que l’irrigation continue.
Aussi divise-t-il sa veine en innombrables et imperceptibles filets, ses gouttes en gouttelettes qui sont évaporées avant d’avoir humecté quoi que ce soit.
On trouverait évidemment bizarre un propriétaire qui, disposant de ressources, non pas maigres, mais décharnées, con
tinuerait à entreprendre des bâtisses de tous côtés; tandis qu’il serait si raisonnable d’en achever une d’abord, une autre après, avant de passer à la troisième.
Mais il est des raisons tout à fait majeures —elles ont même atteint depuis longtemps leur majorité — qui s’opposent à toute mesure de ce genre. Il faut que la pluie, convertie en simple brouillard, en bruine inconsistante, tout au plus hu
mide, fasse partout constater sa présence. C’est pourquoi
nous possédons plusieurs bâtiments qui se dégraderont, seront ruinés peut-être avant d’être achevés, ou transformés, aménagés, etc.
Si ce parti, si difficile à justifier, s’impose absolument, tout au moins serait-il raisonnable alors de n’engager que les travaux dont on peut venir à bout, dans un délai acceptable, et ne pas employer toutes les trompettes de la Renommée
pour annoncer qu’on installe ici une Cour, là un Musée, ailleurs un Ministère, plus loin des Expositions grandioses, etc., etc. Revenons à une plus séante modestie, car ces amples manifestations ne font plus d’illusion à personne.
M. d’Orsay veut s’inspirer, — mais dans une intention beau oup plus sérieuse et plus utile, — d’un précédent plutôt bizarre qu’il raconte ainsi:
« Un milliardaire américain, il y a quelques années, — c’était, je crois, sous le premier ministère Caillaux, — ayant appris que le budget allait se trouver en fâcheux déficit, offrit à notre Jacques Cœur national de louer pendant la sai
son, pour une grosse somme d’argent, l’Arc de triomphe de l’Étoile; à seule fin, disait-il, d’y traiter ses amis et d’y orga
niser quelques five o clock, et le soir, aux lanternes, d’aimables garden parties.
Ce fantaisiste a-t-il existé, venant tout droit du pays classique des excentricités? Faisait-il sérieusement cette singu
lière proposition? Admettons-le puisque M. d’Orsay l’affirme et d’ailleurs, fait prendre aujourd’hui une forme moins extravagante à sa nouvelle demande.
L’Etat, dit-il, avec les remplois, les virements, les transferts de capitaux ou d’émargements auxquels il lui faut recourir actuellement pour la moindre opération, est déplo
rable constructeur. La nouvelle Société qui se forme, estimant avec raison qu’il lui sera facile de faire beaucoup mieux,
commencerait donc par racheter la Cour des Comptes si bien commencée et si peu finie; elle en ferait un superbe palace clair, bien aéré, coquet... pour 800 familles pauvres.
Elle en ferait autant de l’hôtel de Rohan et de l’immeuble Oudinot, actuellement hors d’usage, et don t la vacuité l’afflige. M. d’Orsay, fondateur de la future Société, l’avoue hautement en ces termes; «Ma nature, dit-il, a horreur du vide. » — Puis
que c’est, affirme-t-on, une propriété bien constatée de la Nature en général, il n’y a rien d’étonnant à ce que celle de M. d’Orsay en particulier participe à la même répugnance, fort avouable d’ailleurs.
Pour combler le vide, on multiplierait les colonies d’enfants pauvres, qu’on élèverait sur couches (sociales) au sein des nouveaux palaces hôtels. C’est ainsi « qu’on remplirait ces espaces désolés de jeunes rires sonores et de joyeuses cla
meurs ». — Il est certain que rien n’est meublant comme des rires et des clameurs, surtout quand on les prend jeunes.
On transformerait aussi les terrains du Champ-de-Mars, considérés par la Société en formation: « comme un immense dé
sert de Gobi, mais défoncé par la pioche incohérente et bar
bare de terrassiers ivres; comme un nauséabond marécage où dansent en sarabande les vibrions et les miasmes, etc... »
Ce dangereux rendez-vous de terrassiers que l’ivresse seule rend irresponsables, cette salle de bal pour microbes aérobies ou anaérobies, deviendrait ainsi une collection de squares riants, de verdoyantes oasis aux sinueuses allées, et serait à l’avenir les délices des gens de lettres et des hommes politiques!
C’est un bel avenir en effet qui nous est offert ainsi d’une main légère et généreuse.
N’oubliant, pas qu’il s’adresse à la personne même de M. le Directeur des Domaines, et désireux de le séduire par un
argument final, et ad hominem, M. d’Orsay lui rappelle que lui-même, au sortir de ses bureaux directoriaux, pourrait venir, au sein de l’oasis projetée, oublier un instant les soucis domaniaux et fumer une pipe de tout repos « en évoquant, de virgiliennes songeries »!
Que le lecteur cherche maintenant à se représenter l’accueil — bienveillant à coup sûr, mais teinté de quelque stu
péfaction — que pourra faire un aussi haut, et respectable fonctionnaire à des propositions aussi aventurées. Les prendra-t-il seulement en quelque sérieuse considération?
Est-il probable aussi que M. d’Orsay ait sérieusement voulu les présenter comme fruit de graves, longues, pénibles médi
tations? N’y a-t-il pas certitude, au contraire, qu’il a voulu
plaisanter quelque peu l’État, ses Domaines, son Budget, ses Comptes et leur Cour, les Colonies ministérielles et les Colonies d’enfants pauvres mais joyeux... et bien d’autres choses encore?
Nous penchons fortement vers cette dernière interprétation.
P. PLANAT.


MUSÉES PAYANTS


On aurait pu croire l’enquête close; mais voici que, après avoir consulté nombre de personnes éminentes on autres, on songe a demander quelques renseignements à l’expérience