Dans sa jeunesse, paraît-il, il avait rêvé un moment de se présenter sur les chantiers de l’Opéra-Comique; on lui avait affirmé que le maçon, unique dans son genre, quʼon y a longtemps vu songeait à prendre sa retraite avant l’heure. Malheureusement, pour M. René Bures, cet habile ouvrier, qui pouvait terminer convenablement sa retraite en conti
nuant à se croiser honorablement les bras, finit par mal tourner: «Il lui prit un beau jour la fantaisie de travailler.
On l’a vu, après de longues années consacrées au culte des belles-lettres et aux doux soucis de l’amitié, manier la truelle et gâcher le mortier! »
C’est ainsi que l’écrivain fut détourné de sa vocation primitive et amené à manier une plume active et spirituelle. Tant pis pour lui, tant mieux pour ses lecteurs.
Cette apparente frénésie du maçon de la place Boïeldieu fut expliquée depuis: il paraît que le médecin attaché au futur
théâtre avait ordonné, comme remède urgent à quelque exces
sif embonpoint, un peu d’exercice modéré. Le maçon devenait plus excusable; mais la déception de M. Bures n’en restait pas moins cruelle.
Les années se passèrent. Un jour l’auteur se promena tout autour de la tour Saint-Jacques et admira l’échafaudage dont elle est actuellement parée. S informant, il apprit que cet appareil ingénieux avait été installé là pour permettre de visiter les gargouilles et les statues. On avait certainement le désir,
sinon lʼintention formelle, de réparer ou remplacer lesdites statues et gargouilles. Sans que M. Bures s’en soit pleinement assuré, nous avons toute confiance que c’était certainement là le véritable but de notre sage administration.
Lʼopération est d’ailleurs objet de première nécessité, comme le pain quotidien. Déjà, des pierres attachées au monu
ment depuis des siècles s’en étaient subitement détachées, on se demande un peu pourquoi? Pour aller s abattre sur les têtes de jeunes enfants tout innocents qui, eux, se contentaient de s ébattre dans les parterres voisins!
Heureusement le coup fut manqué. La tour, responsable de ses pierres, n’en étaient pas moins coupable; et, comme dit l’auteur que nous citons: Elle commençait à jouer au diabolo! Cʼétait intolérable.
Le diabolo est déjà désagréable par lui-même, au moins pour l’infime minorité que ne passionne pas encore ce diver
tissement singulier. Quand l’instrument est en bonne pierre de taille, il devient encore plus dangereux pour les passants. C’est pourquoi l’administration, prévoyante et vigilante gar
dienne de la sécurité publique, fit aussitôt enfermer la tour dans une de ces enceintes fortifiées qu’on appelle souvent échafaudages provisoires.
Celle-ci, tout à fait remarquable par sa grâce personnelle, est surtout une excellente défense contre toute approche. Et voici où brille la sagacité que nous attribuons aux autorités supérieures: elles se doutent bien que le remplacement des
pierres tombées exigera plusieurs exercices budgétaires, et que celui des pierres restées à leur poste, mais désireuses de suivre leurs devancières, appartient à un avenir probablement lointain. Aussi ont-elles établi d abord l’échafaudage qui est, en attendant, une clôture.
M. René Bures ne croit pas que personne monte jamais jusquʼen haut, ni que l on aille se promener sur les divers planchers, ne fùt-ce que par promenade d’agrément et pour
respirer un air plus pur. Peut-être oui; peut-être non; nous l’ignorons. Pour le moment, la charpente posée là n’est qu’une interdiction de circuler. Mais comme il faudra tôt ou tard, avant que la tour ne se démolisse elle-même, installer un échafaudage, autant a valu lʼinstaller tout de suite.
Quand on en aura besoin, il sera tout porté et tout posé. Il est tout aussi bien là que sous un hangar de charpentier,
n’est-il pas vrai? Cela coûte bien quelques petits frais; mais ce n’est pas payer trop cher le danger écarté et la confiance renaissante dans lʼesprit public.
Ensuite... ensuite il y a bien la raison de derrière la tête, qu’on ne peut pas décemment proclamer à haute voix, bien que tout le monde la connaisse. On sait bien que la Ville est tout comme l’État, dont nous constations, récemment encore, la détresse au sein de l’opulence... Chut! nʼen parlons pas trop ouvertement: disons seulement qu’il ne faut pas s’en
prendre amèrement aux architectes, pas plus qu’à cette pauvre administration, bien qu’elle ait bon dos. Il est vraisemblable que l’une et les autres ne demanderaient pas mieux que d’activer un peu plus les travaux devenus indispensables. Seulement...
Passons pour revenir plutôt à M. R. Bures, qui nous fournira des sujets de conversation plus récréatifs.
Il faut, dit-il, surveiller les ébats de la vieille drôlesse, — c’est la tour qu’il traite avec si peu de révérence. — Puisquʼil y a là-haut des planches et des planchers, il se sent pris d’un insurmontable désir d’y monter: Et s’il n’en monte qu’un, a-t-il l’air de se jurer à lui-même, je serai celui-là!
Il supplie donc M. le Préfet de lui accorder l’autorisation nécessaire pour occuper ce poste; et ce sera une bonne action
accomplie par la Préfecture, et pleinement méritée par l’écrivain.
Soyez tranquille! ajoute-t-il. Je ne travaillerai jamais; je ne veux pas faire de zèle. Je ne prétends pas gâter le métier. « Mais quelles rêveries merveilleuses seront les miennes, en haut de ma tour, dominant Paris et sa banlieue, voyant de loin se former les orages et accourir les aquilons. Le matin, je prendrai l’apéritif avec M. Jaubert, le météorologiste qui ha
bite au sommet du monument et que notre échafaudage doit bien ennuyer. Je lirai de bons auteurs. »
On dit partout que la poésie se meurt, que l’Académie n’a plus de poèmes ni de poètes à couronner du vert laurier. Elle
en couronne néanmoins, chaque année, le même nombre à peu près. Mais de quoi sont-ils faits?
On sait — ce n’est pas un mystère — quʼil existe des ateliers où ils sont fabriqués sur commande, à la mesure et à la taille de l’Académie. Lʼexécution en est consciencieuse à tous égards:
c’est, comme disent les marchands, à la fois solide et bien fait.
C’est généralement l’hiver, pendant la morte-saison, que se façonnent ces poèmes à l’usage de la docte Société. Comme le placement ne se fait qu’aux mois d’été, pendant les grandes réunions et distributions solennelles, on garde ces produits dans le poivre. La seule chose qui fait un peu défaut, c’est trop souvent le grain de poésie.
Or, M. René Bures nous l’annonce et nous le promet: làhaut, au sommet de la tour, à côté de l’endroit où se rédigent les bulletins météorologiques, entre lʼapéritif du matin et les aquilons de l’après-midi, un poète doit incontestablement naître, tout au moins se révéler. Ce poète serait un maçon contemplatif et sans ouvrage. Pourquoi pas? Maître Adam, des Chevilles, était un tonnelier, mais qui ne devait pas non plus travailler beaucoup à ses tonneaux, pendant qu’il faisait des vers.