19 Octobre 1907
LA CONSTRUCTION MODERINE


ACTUALITÉS


PARIS QUI S’EN VA
Cette année encore on voit disparaître des vestiges précieux du Paris dʼautrefois; et nous ne sommes certainement pas au
bout de nos regrets. Personne ne conteste, depuis la création des automobiles, des autobus, des aulotaxis et autres véhicu
les à grandes allures, la nécessité de nouvelles percées larges et rectilignes; le besoin s’en fait plus que jamais sentir.
Lorsque ces démolitions mettent bas de véritables masures, comme il en existe beaucoup, qui ne sont aujourd hui que de sordides constructions bordant des ruelles malsaines et sans aucun caractère, il serait superflu de lancer de retentis
santes clameurs dont lʼécho ne se reproduirait nulle part. Il est bien naturel que chaque conseiller municipal exige, à son tour de rôle, quelques alignements nouveaux, quelques expropriations avantageuses pour le commerce de son quar
tier. Il ne fait en cela que défendre les intérêts do ses « commettants ».
Comme on ne peut pas tout faire à la fois, la Ville procède tronçon par tronçon; en beaucoup d’années ou voit çà et là
apparaître de multiples fragments qui, peu à peu, finissent par se rejoindre. Un beau jour, se dégage enfin un nouveau boule
vard ou une nouvelle avenue qui sont un embellissement de
plus pour la capitale, et qui, tout bien considéré, contribuent à créer une ville plus aérée, plus saine, en faisant disparaître des débris qui n’offraient aucun intérêt.
Si les regrets étaient, en pareil cas, peu ou mal justifiés, et si, au contraire, on a droit de se plaindre lorsqu’on abat d’an
ciens et remarquables hôtels qui étaient un des plus beaux ornements de Paris, il est un cas où lʼon se trouve un peu plus
embarrassé pour savoir si l’on doit définitivement déplorer certaines exécutions ou les accepter avec résignation.
Cʼest celui où, pour des nécessités plus ou moins urgentes, on se décide à démolir tel ou tel groupe de constructions qui n’avaient en réalité qu’un intérêt tout historique. Ces vieilles habitations n’offraient pas par elles-mêmes un bien grand intérêt architectural; elles étaient souvent dénaturées par l’enva
hissement du commerce, de ses immenses enseignes qui recouvrent tout du haut en bas. Mais elles avaient été témoins d’incidents importants de notre histoire. Or, c’est une qualité qui n’est pas précisément à dédaigner.
Puisque Paris n’est pas une cité née d’hier, puisqu’il a, en effet, une longue histoire, un passé remarquable, il n’est pas mauvais que subsistent ces témoins qui nous rappellent les jours mémorables d’autrefois. On ne peut, même à prix d’argent, les remplacer.
Parfois aussi il arrive que, sans grande valeur artistique si l’on veut, ils formaient des groupes dont l’ensemble, sinon le détail, était au moins pittoresque et contribuait à la physionomie originale de la ville.
Telle était cette vieille place Dauphine, un peu désorganisée par la façade qu’y éleva feu Duc; façade dont nous ne discu
tons certes pas le mérite, mais qui a le tort de n’avoir recher
ché aucune harmonie avec les bâtiments d’alentour. C’était, hier encore, tout un coin du Paris de Henri IV et de Louis XIII, du Paris parlementaire, commençant à la place Dauphine, enjambant la Seine par le vénérable Pont-Neuf, et venant
23e Année. N 3.