26 Octobre 1907
LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITÉS


LA PROTECTION DES MONUMENTS.
Notre Code qui, sans sʼen douter, a gardé des allures quelque peu féodales dit: La propriété est le droit d’user et d’abu
ser. On ne saurait être plus catégorique, et il est peu de jurisconsultes qui fussent disposés à en rabattre d’un iota.
De là naissent toutes les difficultés, presque inextricables, où viennent s’engluer les tentatives qui se proposent de dé
fendre nos richesses artistiques contre l’ignorance, la mauvaise volonté des propriétaires ou les convoitises do la spéculation.
Au temps jadis on se préoccupait fort peu de ce genre de protection. Chaque génération, tour à tour, était convaincue que les seules œuvres d’art intéressantes étaient celles qu’elle engendrait elle-même. Ce qu’avaient créé les générations antérieures était volontiers considéré comme barbare, quelque peu sauvage tout au moins et médiocrement digne d’intérêt. Aussi se préoccupait-on fort peu de savoir ce que tout cela pourrait devenir.
Au xIxe siècle seulement, qui fut à la fois plus éclectique et plus intolérant que ses prédécesseurs, on commença à préparer des lois et règlements pour la sauvegarde des monuments dits historiques.
A vrai dire, la tradition ancienne qui affichait un profond dédain de toute œuvre antérieure ne fit d’abord que se trans
former Il est bien avéré que l’on doit à l’école néo-gothique de louables efforts pour empêcher la ruine définitive des mo
numents du moyen âge. Elle en poussait même lʼamour jusqu’à vouloir les perfectionner, les compléter, les corriger, amender, restituer, au besoin les refaire complètement, plus gothiques encore qu’ils ne l’avaient jamais été. Ce fut le grand écart de la ferveur dite archéologique et moyen âgeuse.
Mais il aurait passé un assez fâcheux quart d’heure, celui qui aurait alors prétendu que l’art français, après deux ou trois siècles de floraison gothique, n’avait pas subi une déca
dence de plus en plus rapide, de plus en plus déplorable; et que, passé le xve siècle, il y avait eu, même eu architecture,
quelques créations non moins françaises ni moins remarquables. Il est assez aisé de se figurer de quelles indignations eût été accueillie une proposition aussi ridicule!
L’école néo-gothique ne se montra donc pas moins intolérante en réalité que n avaient été ses prédécesseurs.
La seule différence, c est que, n’ayant guère créé de style qui lui fût propre, elle avait placé son idéal dans un style,
admirable sans doute, mais qui avait le môme défaut que la jument de Roland. Celle-ci possédait, on le sait, toutes les qualités; elle n’avait qu’une faiblesse, celle d’être morte et depuis longtemps.
Cette ferveur, très sincère d’ailleurs, eut d’utiles effets; on lui doit les premières mesures oficielles de protection. Affir
mer que les promoteurs eux-mêmes aient toujours porté le même intérêt aux œuvres du xvIIe ou du xvIIIe siècle, par exem
ple, qu’à celles du xIIIe ou du xIve, et qu’ils aient toujours fait preuve du plus large et du plus intelligent éclectisme ce serait pousser l’amour du paradoxe au delà des limites d’une aimable plaisanterie. Plus d’un parmi eux, à côté d’autres plus raisonnables, aurait volontiers voté la disparition ou tout au moins lʼabandon de tout ce qu’avaient produit les styles abhorrés de Louis XIV et de Louis XV; ils auraient volon
tiers semé le sel sur les ruines de leurs derniers vestiges, et prononcé pour la circonstance les ultimes malédictions.
Inutile de rappeler quo le style Louis XVI avait été condamnédans l’œuf, — legrand poète, inspirateur du néo-gothisme romantique, ayant déclaré que le Panthéon était un gâteau de
Savoie posé sur un temple grec. Un édifice ne se relève pas d’une critique aussi judicieuse.
Effectivement, vers 1830, les pâtissiers construisaient laborieusement, en pâte de Savoie, des dômes à cannelures, généralement couronnés d’une large rose en papier, d’un ton assez vif. ou d’un jeune amour aux ailes en sucre La rose manquait à la coupole de Soufflot, mais le rapprochement n’en était pas moins ingénieux, ni plus exact.
23e Année. N 4.