Car la propagation des œuvres d’architecture par la pâtisserie n’est autre chose que la constatation et la consécration définitive de l’enthousiasme général qu’elles ont fait naître. Si le dôme du Panthéon a eu les honneurs du gâteau de Savoie, c’est qu’il avait été reconnu, pendant de longues années, comme le plus remarquable spécimen de lʼart français.
Il en est pour les grands hommes comme pour les grands édifices, bien que la consécration dont ils sont l objet prenne une forme quelque peu différente. Les personnages les plus illustres ne sont définitivement recommandés à la postérité par leurs propres contemporains, que le jour où leur image a été adoptée par les artistes qui adaptent l’écume dite de mer aux besoins et aux goûts des fumeurs.
Comme on le rappelait récemment à propos d’une inauguration internationale, Garibaldi fut le héros le plus universel
lement populaire; et la meilleure preuve, la plus convaincante de toutes, c’est qu’il a fourni longtemps le plus remarquable de tous les modèles pour têtes de pipe.
On aurait grand tort d’y voir de l’irrévérence; c’est, tout au contraire, l’expression d’une sorte de dévotion, naïve si l’on veut, mais parfaitement sincère et très justifiée.
Donc, contrairement à l’opinion de l’illustre poète, ce n’est pas le Panthéon qui s’est modelé sur le gâteau de Savoie et s’est fait plagiaire; c’est le gâteau de Savoie qui, enthousiasmé par le Panthéon, a pris modèle sur lui.
Ces orages d’antan sont passés depuis longtemps. De part et d’autre la conciliation s’est faite, et la Commission des monuments historiques a commencé plus tard à montrer un esprit beaucoup plus large que par le passé et beaucoup plus accessible aux beautés de tous ordres et de tous temps.
Par malheur, non seulement elle manque de ressources suffisantes, mais les lois existantes ne sont guère qu’une arme assez débile entre ses mains; le tranchant en est singulière
ment émoussé. Les jurisconsultes s’opposent sévèrement à toute tentative qui voudrait l’affiler de manière qu’il pût servir à quelque chose.
« La propriété est le droit d’user et d’abuser », dit le Code. Pour les jurisconsultes il n’y a pas à sortir de là. Aussi le monument, quel qu’il soit, ne peut-il être protégé qu’en vertu d’un contrat offert par l’État, consenti par le propriétaire.
Lorsque celui-ci se montre récalcitrant et lient à conserver son droit formel de conserver ou de détruire, ou de laisser dépérir, l’État est désarmé. Il lui faut recourir alors aux expédients suprêmes, à l’expropriation, et devenir propriétaire à son tour sans trop savoir ce qu’il pourra bien faire de sa nouvelle acquisition.
On ne peut pourtant pas créer indéfiniment des musées où l’on ne sait que mettre. Si encore il y avait possibilité de transporter les petits édifices dans les grands, on pourrait arriver à constituer une exposition universelle de monuments historiques, laquelle ne manquerait pas d’intérêt. Mais il y aurait certainement des difficultés de transport, et il ne serait pas aisé de trouver un contenant capable de tous ces contenus.
Nous en sommes au point où l’on sera obligé de modifier toute cette législation qui, pour n’être pas encore bien âgée, apparaît déjà quelque peu sénile; c’est pourquoi la jeune école juridique recherche des modifications qu’on ferait approuver peut-être par les jurisconsultes de l’ancien régime, avec
quelque chance de les faire voter par des Chambres plus inoccupées ce jour là que les autres.
Si l’on veut bien y réfléchir, on verra assez facilement que, sans contester le moins du monde l’antique et respectable droit de la propriété, on peut et on doit parfois lui tracer des limites.
Tout droit, comme toute liberté, sʼarrête où commencent le droit ou la liberté d’autrui.
Prenons un exemple. Incontestablement, le possesseur d’un immeuble est maître de le démolir sʼil lui plaît et de se causer à lui-même tous les dommages qu’il trouve agréable de s’infliger. C’est lʼabus après l’usage, que Ton tient tant à respecter.
Pour aller plus vite, ce propriétaire est parfaitement libre de détruire sa maison par l incendie, si tel est son bon plaisir. Qu’il y mette le feu si bon lui semble. La loi n’a-t-elle rien à dire cependant?
Si Ton a eu soin de placer son immeuble dans un lieu solitaire, au milieu de ses propres terrains, loin de toute autre habitation, il est bien probable, en effet, que ni MM. les gendarmes, ni M. le Procureur, ne se croiront autorisés à intervenir le moins du monde.
Mais, s’il y a des voisins, s’il y a d autres constructions contiguës ou mitoyennes, le cas serait-il absolument le même?
Il n’y a pas à douter du contraire. Le voisin qui, lui aussi, a le droit d’user et même d’abuser, interviendrait aussitôt. Il aurait le droit, à son tour de défendre sa propriété mitoyenne,
de s’opposer à l’incendie; ou, si Ton n’a pu l’empêcher, de recourir à la loi et à la force armée contre lʼauteur du méfait; car il y a méfait.
Si large que soit donc la définition de la propriété, quelque respect qui lui soit dû, son droit n’est pas illimité; dans mainte circonstance on doit être autorisé à le borner. C’est du reste, malgré la vieille opinion des jurisconsultes, ce quʼon voit tous les jours sous forme de servitudes de tous genres imposées à la propriété.
Tout le débat se concentre donc sur ce point: la possession d’un chef-d’œuvre, tout au moins d’une œuvre remarquable, qui fait partie du patrimoine artistique de toute la nation, estelle une propriété comme une autre? Doit-on laisser à l’incurie, à la cupidité ou à l’incapacité la faculté de faire disparatre ce qui appartient bien un peu à tous, au préjudice de tous?
Il ne manque pas aujourd’hui de pays où cette question a été résolue par la négative.
Chez nous, aussi longtemps qu’avait duré ce dédain assez impertinent du passé, tel que nous le rappelions tout à l’heure, cette insouciance complète de toute conservation des œuvres d’art s’expliquait assez naturellement, sans être mieux justifiée pour cela. On a maintenant ouvert les yeux: nous ne sommes
peut-être pas beaucoup plus modestes que nos devanciers et croyons peut-être tout autant que l’art créé par nous est de beaucoup supérieur à tout autre; mais au moins consentonsnous à reconnaître que tout n’était pas absolument méprisable dans ce que faisaient nos pères.
C’est pourquoi, d’année en année, s’accuse le désir de protection et s’accentuent les réclamations du public contre une législation insuffisante.
A l’heure présente, dit-on: « il faut choisir entre l’établisse
ment d’une servitude d’utilité publique et la ruine de toutes les beautés artistiques et naturelles de la France ». — Car on veut également, on le sait, défendre la beauté de nos paysages. Au lieu d’un contrat entre l’État et le propriétaire, contrat que
Il en est pour les grands hommes comme pour les grands édifices, bien que la consécration dont ils sont l objet prenne une forme quelque peu différente. Les personnages les plus illustres ne sont définitivement recommandés à la postérité par leurs propres contemporains, que le jour où leur image a été adoptée par les artistes qui adaptent l’écume dite de mer aux besoins et aux goûts des fumeurs.
Comme on le rappelait récemment à propos d’une inauguration internationale, Garibaldi fut le héros le plus universel
lement populaire; et la meilleure preuve, la plus convaincante de toutes, c’est qu’il a fourni longtemps le plus remarquable de tous les modèles pour têtes de pipe.
On aurait grand tort d’y voir de l’irrévérence; c’est, tout au contraire, l’expression d’une sorte de dévotion, naïve si l’on veut, mais parfaitement sincère et très justifiée.
Donc, contrairement à l’opinion de l’illustre poète, ce n’est pas le Panthéon qui s’est modelé sur le gâteau de Savoie et s’est fait plagiaire; c’est le gâteau de Savoie qui, enthousiasmé par le Panthéon, a pris modèle sur lui.
Ces orages d’antan sont passés depuis longtemps. De part et d’autre la conciliation s’est faite, et la Commission des monuments historiques a commencé plus tard à montrer un esprit beaucoup plus large que par le passé et beaucoup plus accessible aux beautés de tous ordres et de tous temps.
Par malheur, non seulement elle manque de ressources suffisantes, mais les lois existantes ne sont guère qu’une arme assez débile entre ses mains; le tranchant en est singulière
ment émoussé. Les jurisconsultes s’opposent sévèrement à toute tentative qui voudrait l’affiler de manière qu’il pût servir à quelque chose.
« La propriété est le droit d’user et d’abuser », dit le Code. Pour les jurisconsultes il n’y a pas à sortir de là. Aussi le monument, quel qu’il soit, ne peut-il être protégé qu’en vertu d’un contrat offert par l’État, consenti par le propriétaire.
Lorsque celui-ci se montre récalcitrant et lient à conserver son droit formel de conserver ou de détruire, ou de laisser dépérir, l’État est désarmé. Il lui faut recourir alors aux expédients suprêmes, à l’expropriation, et devenir propriétaire à son tour sans trop savoir ce qu’il pourra bien faire de sa nouvelle acquisition.
On ne peut pourtant pas créer indéfiniment des musées où l’on ne sait que mettre. Si encore il y avait possibilité de transporter les petits édifices dans les grands, on pourrait arriver à constituer une exposition universelle de monuments historiques, laquelle ne manquerait pas d’intérêt. Mais il y aurait certainement des difficultés de transport, et il ne serait pas aisé de trouver un contenant capable de tous ces contenus.
Nous en sommes au point où l’on sera obligé de modifier toute cette législation qui, pour n’être pas encore bien âgée, apparaît déjà quelque peu sénile; c’est pourquoi la jeune école juridique recherche des modifications qu’on ferait approuver peut-être par les jurisconsultes de l’ancien régime, avec
quelque chance de les faire voter par des Chambres plus inoccupées ce jour là que les autres.
Si l’on veut bien y réfléchir, on verra assez facilement que, sans contester le moins du monde l’antique et respectable droit de la propriété, on peut et on doit parfois lui tracer des limites.
Tout droit, comme toute liberté, sʼarrête où commencent le droit ou la liberté d’autrui.
Prenons un exemple. Incontestablement, le possesseur d’un immeuble est maître de le démolir sʼil lui plaît et de se causer à lui-même tous les dommages qu’il trouve agréable de s’infliger. C’est lʼabus après l’usage, que Ton tient tant à respecter.
Pour aller plus vite, ce propriétaire est parfaitement libre de détruire sa maison par l incendie, si tel est son bon plaisir. Qu’il y mette le feu si bon lui semble. La loi n’a-t-elle rien à dire cependant?
Si Ton a eu soin de placer son immeuble dans un lieu solitaire, au milieu de ses propres terrains, loin de toute autre habitation, il est bien probable, en effet, que ni MM. les gendarmes, ni M. le Procureur, ne se croiront autorisés à intervenir le moins du monde.
Mais, s’il y a des voisins, s’il y a d autres constructions contiguës ou mitoyennes, le cas serait-il absolument le même?
Il n’y a pas à douter du contraire. Le voisin qui, lui aussi, a le droit d’user et même d’abuser, interviendrait aussitôt. Il aurait le droit, à son tour de défendre sa propriété mitoyenne,
de s’opposer à l’incendie; ou, si Ton n’a pu l’empêcher, de recourir à la loi et à la force armée contre lʼauteur du méfait; car il y a méfait.
Si large que soit donc la définition de la propriété, quelque respect qui lui soit dû, son droit n’est pas illimité; dans mainte circonstance on doit être autorisé à le borner. C’est du reste, malgré la vieille opinion des jurisconsultes, ce quʼon voit tous les jours sous forme de servitudes de tous genres imposées à la propriété.
Tout le débat se concentre donc sur ce point: la possession d’un chef-d’œuvre, tout au moins d’une œuvre remarquable, qui fait partie du patrimoine artistique de toute la nation, estelle une propriété comme une autre? Doit-on laisser à l’incurie, à la cupidité ou à l’incapacité la faculté de faire disparatre ce qui appartient bien un peu à tous, au préjudice de tous?
Il ne manque pas aujourd’hui de pays où cette question a été résolue par la négative.
Chez nous, aussi longtemps qu’avait duré ce dédain assez impertinent du passé, tel que nous le rappelions tout à l’heure, cette insouciance complète de toute conservation des œuvres d’art s’expliquait assez naturellement, sans être mieux justifiée pour cela. On a maintenant ouvert les yeux: nous ne sommes
peut-être pas beaucoup plus modestes que nos devanciers et croyons peut-être tout autant que l’art créé par nous est de beaucoup supérieur à tout autre; mais au moins consentonsnous à reconnaître que tout n’était pas absolument méprisable dans ce que faisaient nos pères.
C’est pourquoi, d’année en année, s’accuse le désir de protection et s’accentuent les réclamations du public contre une législation insuffisante.
A l’heure présente, dit-on: « il faut choisir entre l’établisse
ment d’une servitude d’utilité publique et la ruine de toutes les beautés artistiques et naturelles de la France ». — Car on veut également, on le sait, défendre la beauté de nos paysages. Au lieu d’un contrat entre l’État et le propriétaire, contrat que