9 Novembre 1907LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITÉS


LA BROCANTE
MM. les brocanteurs, ou antiquaires pour parler dʼeux avec plus do révérence; en un mot, les marchands de bric-à-brac passent un mauvais quart d’heure. Les collectionneurs, indigènes ou exotiques, — certains dʼentre eux au moins, — appa
raissent aussi comme dépourvus de quelques scrupules qu on aurait voulu voir fleurir en eux.
Tout cela, c’est la faute de la bande à Thomas. Quels que soient les vrais coupables, il reste avéré que, chez la génération actuelle si éperdument enamourée de Beauté, le cambriolage dʼart s’est élevé à la hauteur d’une institution forte
ment constituée, tout à fait nationale et même internationale. A l’Esthétisme doublé d’érudition et plaqué de snobisme, nous devons cet immense progrès social.
Les choses ont mal tourné; on est obligé de reconnaître que la soustraction, sous une forme ou l autre, est une des sources abondantes qui alimentent la Curiosité. A ceux qui cherchaient
à le faire entendre, on répondait jadis que c’était profaner le culte le plus pur, le plus élevé, le plus noble de la Beauté; froisser les sentiments les plus délicats des amants de lʼArt sacré, etc., etc., etc.
Aujourd’hui on est réduit à chercher les moyens dʼempêcher que la passion des châsses, des reliquaires brachiaux, des chefs et autres objets curieux ne dégénère partout en cambriolage compliqué de spéculation. Généralement, ces « icones » sont d une laideur incontestable; elles sont appa
rentées de près avec les images similaires que produisent les naturels des îles Hawaï. Mais elles sont authentiques, extrê
mement vieilles et passent pour rarissimes. Elles ont donc une très haute valeur, puisque le véritable principe de la beauté, c’est la Rareté. A côté, le reste est fort peu de chose.
Ces objets rares étant assez mal gardés, on s’est demandé comment on pourrait en empècher l’exode vers des rivages milliardaires. Les sceptiques à tournure d esprit paradoxale esti
ment que les collectionneurs-acquéreurs sont, en fait, les plus dupés parmi les dupes que fait ce genre de spéculation, et que, versant des centaines de mille dollars en échange de ces petites horreurs, ils n’en ont vraiment pas pour leur argent.
Ils parlent mal. Étant admis, en dehors de tout mérite artistique, que ces objets ont une valeur monétaire cotée en hausse à la Bourse de la curiosité, il est certainement regrettable que leur
légitime propriétaire en soit dépouillé s il y a eu rapt; ou qu il touche fort peu de chose quand l’opération se fait en toute régularité, tandis que la brocanle empoche seule la forte somme.
On veut mettre ces précieuses pièces hors d’atteinte, et sans plus tarder, puisqu il y a péril en la demeure. L’administration des Beaux-Arts a, en toute hâte, émis une idée parfaitement originale: celle d enserrer tous ces trésors dans nos innom
brables musées, qu’elle est à peu près seule à considérer comme de véritables colfre-forts, à l’abri de tous les cambriolages.
L étonnement a été vif dans le public, qui n’ignore pas que ces sortes de monuments sont particulièrement exposées à ce genre dʼinconvénients. Les grands musées de nos plus importantes villes sont très sujets à ces accidents; quant à ceux
des centres moins importants, nul n ignore qu il y manque,
à peu près totalement, les plus élémentaires garanties de sécurité. Les conservateurs sont certainement très dévoués à la mission qui leur est confiée; mais peuvent-ils rem
placer un concierge, des gardiens, des surveillants qui n’existent quʼà lʼétat dʼabsence complète et définitive?
Dans les églises, môme communales, il y a parfois du monde. Dans la plupart des musées dits régionaux, mais un peu reculés, jamais ne parut un chat, qu’il fût ami des Lettres ou
des Arts. Ce serait donc ouvrir à la Brocante une ère de liberté et de prospérité inouïes que de réunir dans ces musées tous les objets qu’elle cherche à se procurer. Aussi les protestations nʼont-elles pas manqué.
M. de Saint-Marceaux, le sculpteur; demande qu on nous montre les preuves do cette sécurité que lʼon doit créer de toutes pièces, et constate que, le jour où toutes ces « belles choses » (il y en a dans le nombre) seront emprisonnées entre ces tristes murs, personne ne les verra plus.
M. Edouard Rod, l’auteur bien connu, appelle irrévérencieusement ces sortes d établissements orthopédiques qu’on appelle musées: cimetières de l art. Il estime qu il y règne un soufle de mort; que les œuvres empilées dans ces pièces de
débarras y perdent de leur éclat. Hors de leur cadre naturel, dit-il, ils sont sans vie et ne conservent quelque intérêt qu’aux yeux des érudits.
Tous les musées provinciaux qu il a visités, ajoute t-il, lui
ont laissé une inoubliable impression de cendres et de désola
23e Année. N 6.