16 Novembre 1907LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITÉS


LES ENLAIDISSEMENTS de paris
Il faut lire le réquisitoire publié dans les Débats du 18 octobre dernier. M. André Hallays en est l’auteur. Si nous disons:
réquisitoire, c est que le feuilletoniste y attaque avec sa verve habituelle: « La tyrannie des ingénieurs, la barbarie des architectes et l’incurie des fonctionnaires. »
Dire que toutes les objurgations ainsi lancées soient de la plus stricte équité, qu elles se maintiennent dans la rigoureuse mesure du juste et du vrai, ce serait exagérer quelque peu.
Ajouter qu’elles sont d une bienveillance extrême, ce serait se livrer de gaîté de cœur au ridicule. Mais il suffit qu’on y trouve une part de vérité pour que l’on doive en tenir compte, en faisant également la part des exagérations.
M. André Hallays présente donc un tableau du désordre qui règne dans nos plus belles rues, et des fâcheux aspects, ditil, de constructions nouvelles qui ont surgi en certains en
droits où leur place n’était pas précisément indiquée. Comme on ne peut pas tracer en quelques colonnes un panorama complet, il a limité son terrain, et se borne à une description,
non flattée, de ce qu’on pourrait appeler la vallée de la Seine dans Paris.
Certes, les générations successives avaient créé là, peut-être sans trop s’en rendre compte, sans plan préconçu bien cer
tainement, un ensemble des plus harmonieux, chanté par nos poètes, admiré dans le monde entier. Il faut, pour être exact, reconnaître que nous le détruisons peu à peu, pour cause d’utilité publique, affirme-t-on; ce qui est plutôt, aujourd’hui, l’équivalent de: pour cause de spéculation. Comme si la pre
mière utilité publique n’était pas de conserver ce qui a toujours fait la beauté attractive de la capitale.
Tous les jours, les plus graves journaux parisiens s’élèvent
contre le vandalisme provincial, quand on a supprimé quelque part une porte ou un vieux donjon Ils n’ont assurément pas tort; mais il était temps pour eux d’examiner, non plus la paille du voisin, mais la poutre qu’on a dans l’œil.
M. André Hallays, un des premiers, a compris qu’il y a là une mission utile à remplir; d’autres journalistes ont suivi le mouvement. Loin de les blâmer, il faut reconnaître que leurs réclamations ne sont que trop justifiées. Peut-être mettent-ils un peu trop de virulence dans ces critiques qui fauchent à la fois les coupables et quelques innocents. Mais, comme on dit,
assez vulgairement et assez justement néanmoins, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Plaignons les œufs, mais profitons de l’omelette.
On doit bien s attendre à ce que, dans la circonstance, les architectes passeront encore quelques quarts d’heure pénibles;
on sait que c’est l’intermède de rigueur. Aussi, ne faut-il pas s’étonner du début: « Qu’elle est devenue lamentable, la délicieuse promenade d’autrefois! En dix ans, tout a été boule
versé. Des architectures innombrables se sont élevées de place en place! »
Ces architectures, il y en avait déjà en assez grand nombre, tout le long du fleuve, de l’amont à l’aval. Mais celles-ci étaient anciennes. Il y en avait de fort belles, de médiocres, d’assez laides; mais leur âge les rendait toutes respectables. Nous n’y contredisons pas.
Tandis que les « innombrables » dont il est ici parlé sont modernes; partant, elles sont hideuses. S’il est un axiome, dé
sormais démontré et bien établi par les Débats, c’est celui-là. Il n’y a donc plus à discuter: un axiome ne souffre pas d’exception.
23e Année. N 7.