jusque dans le sanctuaire des Beaux-Arts, « à l’influence déprimante des mœurs façonnées par notre scrutin d arrondissement ».
Qu’il soit de liste ou d’arrondissement, proportionnel ou proportionné à la population ou au nombre des seuls électeurs, nous n’avons pas mission de discuter ses mérites ou scs imperfections. Tout ce que nous avons à dire, c est que le rapport de la Commission estime que, malgré la belle défense de M. le sous-secrétaire d’Etat, cette pernicieuse in
fluence aurait trouvé trop souvent asile jusque dans le Palais- Royal. Le favoritisme devra donc disparaître au cours du prochain exercice, dès le mois de janvier prochain, probablement. Tout le monde en accepte l’augure.
Alors, nous promet-on, la République ne songera plus qu’à entretenir le culte de la beauté, elle sʼefforcera «de former le goût public; elle conservera et courra même le risque d’accroître la richesse nationale ».
Il aurait l’esprit bien mal fait, celui qui repousserait un moyen aussi certain d accroître cette richesse commune à tous.
N’était-il pas convenu cependant que l’État, loin de former le goût public, se contenterait d’en suivre les variations?
Il doit y avoir, en la circonstance, une distinction que nous avons le tort de ne pas saisir, car elle ferait certainement disparaître ce qui semble être une pure contradiction.
Pour le moment, voici le procédé suivi pour obtenir cet accroissement. Les parlementaires qui fréquentent aux Beaux- Arts auraient, nous apprend-on, un défaut bien mal placé; ils ont le culte de la petite patrie, c’est-à-dire de leur lieu d’élec
tion, beaucoup plus que le souci de l art, nous ne le savions pas; mais on nous l’apprend.
Ils jouent les Mécène sans bourse délier et, par leurs instances réitérées, contraignent l’administration des Beaux-Arts à conquérir des «œuvres le plus souvent médiocres et, ce qui est pire, d’une médiocrité durable ». — Qui l’eût cru?
Médiocrité durable, le mot est joli d’ailleurs. Voilà pourquoi nos villes départementales seraient encombrées d œuvres qualifiées; « piètres » par la Commission et destinées à « déformer »
le goût public. — Actuellement on ne forme pas, on déforme?
Mais, sur les sages avis de la Commission, tout va changer. Désormais notre plus haute administration artistique nʼaurait plus qu’un seul souci, qu’on lui recommande: celui de « prévoir l’avenir ».
Non pas quʼelle doive désormais faire concurrence à Mme de Thèbes, on le pense bien. Non; mais lʼadministration aura dorénavant un discernement exquis; « elle saura découvrir la gloire avant qu’elle soit trop chère. Elle ne laissera pas partir une belle œuvre alors qu’elle est encore d’un prix abordable! Voilà la formule! » M. Buyat l’affirme.
La recette est éminemment pratique; les plus subtils marchands de tableaux ne font pas mieux. Nous voudrions compléter cette juste recommandation par une autre, propre à mettre en plus complète évidence la sagacité et lʼeconomie administratives. Lorsque les belles œuvres, pas trop chères, enle
vées à des prix avantageux de bon marché, seront envoyées là-bas, dans ces musées départementaux si peu favorisés jus
qu’à ce jour, pourquoi ne porteraient-elles pas sur la bordure celte inscription: Selon la formule; exactement comme font les
pharmaciens quand ils livrent aux malades leurs produits les plus réconfortants?
Dʼici là, nous conseille la Commission, nous devons gémir
en pensant aux sommes « gaspillées en pure perte », avec lesquelles nous aurions pu nous assurer tant de gloires à venir, pendant qu’elles étaient encore à des prix abordables... même pour l’État.
*
Le moment était venu de dire son fait à la statuomanie; ce que fait résolument M. Buyat en un récit plein de verve et de saveur, qui est un leste croquis, tracé d après nature.
Au «Cafe du commerce » donc, telle petite et bien paisible localité s est, découvert un grand homme. Les grands hommes ne sont pas rares aujourd hui, ce qui est très flatteur pour notre pays; néanmoins, il n’y en a pas encore partout. Il faut donc continuer à en découvrir de nouveaux; c’est à quoi l’on travaille journellement.
A partir de ce moment, justement mémorable, la localité songe aussitôt à préparer la fête commémorative; déjà naissent et poussent les « espoirs rouges et violets » auxquels tous les sols du territoire sont généralement favorables.
Toute statue a son comité; celle-ci a le sien, et ce comité nomme une délégation. M. Buyat, qui paraît s’y connaître,
estime que c’est tout simplement une bonne occasion de venir à Paris — où l on est reçu, d’une façon charmante, par M. le sous-secrétaire d’État.
Les délégués lui exposent les innombrables vertus dont le défunt jouit depuis sa mort; tant et si bien qu’ils finissent par attendrir les bureaux de la rue de Valois eux-mêmes. Que voulez-vous: on a beau être bureaux, on est sensible, après tout!
L’État, également attendri par ricochet parlementaire, se saigne aux quatres veines, comme un ordinaire pélican. Il
offre, de ses deniers, le dixième de la dépense, dont se con tente la délégation qui, peut-être, n’osait pas en espérer tant. Et la délégation sʼen va comme elle était venue, mais avec un véritable enchantement dans ses bagages:
« Longtemps on parlera, sous les ormes du Mail De la réception de M. le Ministre! »
Ici, la toile tombe. Quand elle se relève, on cherche un sculpteur. Il faut que ce soit un enfant du pays, le pays n’eût-il jamais produit de sculpteurs. On finit toujours par en trouver un, tant notre vieux sol français est fécond en espoirs de couleurs, fécond en sculpteurs: celui-ci perpétuera le souvenir des autres en attendant qu’on perpétue le sien. »
Ce qui ne peut manquer d’arriver. C’est ainsi que les commémorations glorificatrices s’entraînent les unes les autres, qu un Comité engendre les suivants, qu une délégation prépare les voies à celles qui naîtront après elles.
Est-ce le chêne qui produit le gland; est-ce le gland qui fait germer le chêne? Insondable question qui n’a jamais été résolue depuis qu’elle fut posée pour la première fois.
Entre temps, l’Administration des Beaux-Arts, qui n’est pas curieuse, voudrait pourtant bien savoir où sera érigé le monument, quel sera lʼemplacement, et s il est réellement favorable à l’érection projetée; l’auteur du monument expose aussi, bien timidement, ses préférences. Nul n’en a cure.
Les considérations électorales sont entrées en scène; et puis le quartier dʼen haut avait déjà une statue, tout au moins quelque chose qui y ressemble. Le quartier bas veut la sienne;
et ce que veut le quartier bas, la municipalité le veut; elle est bien obligée de le vouloir.
Il faut voir, dans le récit du rapporteur qui a vu par luimême, comment est alors reçu le fonctionnaire des Beaux-Arts