Une autre protège l Art moderne; elle s’appelle: Les Amis du Luxembourg. Elle a pris pour devise: « On est aussi bien
ici qu’en face. » — Nous ne prétendons nullement que celleci veuille ainsi rivaliser avec ces joviaux (ou jovials) marchands de vin qui font eux-mêmes concurrence aux cimetières; nous serions coupables d’irrévérence et de la plus choquante injustice.
Ne plaisantons pas. Chacune de ces sociétés rend journellement de réels services, justement appréciés. Tout le monde sait que l État, pour des motifs que nous sommes incapables d apprécier, manque totalement d’argent pour remplir la plu
part des missions dont il est légitimement chargé, et ne peut jamais s’en acquitter.
Les Amis ont compris que c’était aux particuliers à suppléer, de leurs deniers, aux incapacités financières de l’État, providence aux mains vides, toujours souffrante de cette infirmité qu’on appela jadis: faute de pécule, — ou de pécune, ce qui serait plus correct.
Qu’il s’agisse d’entretenir, d abriter, de réparer, les Amis sont toujours là!... ainsi qu’on chantait à l’Opéra-Comique,
dans les temps reculés où M. Scribe y était en honneur et for
mait avec Adam et Auber une inébranlable trinité poétique et musicale.
Donc il ne faut pas médire de ces deux amicales sociétés. Sous les auspices de lʼÉcho de Paris, cette fois, la troisième est née. Elle se recrute parmi les Amis de Versailles. Ce palais passe pour péricliter; on y découvre dos lézardes, des fuites, des murs qui surplombent, se déjettent ou prennent du ventre. C’est un effet des ans. — Les Amis versaillais veulent donc réparer des ans le réparable outrage.
Oui ou non, est-ce une pensée charitable, utile, estimable?
Évidemment oui. Aussi n’en faut-il pas médire; aussi rendrons-nous consciencieusement compte des démarches commencées par lʼÉcho, et prendrons-nous acte des encou
ragements qu’il a recueillis. Nous n’avons plus qu’à citer sans commentaires déplacés.
A tout Seigneur tout honneur. M. de Nolhac, le dévoué conservateur du Palais, recevant un délégué de l Écho, sʼest montré sympathique, mais avec une discrète réserve.
« Jʼapprouve en principe », aurait-il dit. Il aurait même ajouté: « Si votre Société réussit, comme tout le fait pré
sager, cʼest qu’elle correspondra à un besoin et sera capable de rendre des services; nous la jugerons à l’œuvre. »
En effet, c’est au pied du mur qu’on connaît le maçon; une longue expérience l’avait démontré aux auteurs de ce dicton Une société qui « correspond à un besoin » se doit à elle-même de donner les preuves nécessaires, non seule
ment de sa bonne volonté, dont on ne doute pas, mais de son intelligente capacité. Sans quoi l’on ne verrait pas quel besoin, à son tour, correspond à ladite Société.
L’Écho, désireux d’apaiser à l’avance quelque susceptibilité qui aurait pu naître, — car enfin chacun aime à marcher seul dans ses platebandes, — ajouta:
— Vous ne craignez pas quʼon apporte des idées d’innovations plus ou moins heureuses, des critiques de vos travaux?
— Il y en aura sans doute, a répondu M. de Nolhac; mais, à la manière dont je vois que vous vous organisez, avec les noms que vous avez déjà groupés, il me semble certain que les éléments artistes et sages lʼemporteront sur les autres.
Y en aura-t-il d’autres? Espérons que non; ce serait dommage.
Sagesse, Sagesse! C’est aussi ce que recommanda très rai
sonnablement M. le duc de Fezensac qui souhaite de voir appeler le concours des hommes de tous les partis. L’œuvre à accomplir, dit-il, doit être française avant tout, sans distinc
tion dʼopinions politiques. Il se plaît à constaler qu’en dix ans la République a dépensé beaucoup d’argent pour Versailles.
Il lui est également agréable d’avoir pu constater, en entendant M Dujardin-Beaumetz donner des indications aux architectes, qu’il le faisait en artiste et en homme de goût.
On se demande effectivement, quelles que soient, les opinions personnelles de lʼÉcho, ce que la politique aurait à voir dans l entretien du Palais de Versailles.
Quelle que soit sa date, est-ce une belle œuvre? Si oui, tousles régimes n’ont-ils pas intérêt à le conserver? Quel avantage trouverait-on à le transformer en champ clos pour les luttes du Gouvernement et de lʼOpposition. Il ne manque pas d’autres arènes, aux Folies-Bergère, au Sénat et à la Chambre qui sont les Folies-politiques, pour y décerner le caleçon conquis par le Champion du Monde.
M. le duc de Fezensac est un sage.
M. Maurice Barrés est un auteur de grand talent. Il sait gré à Louis XIV de n’avoir pas redouté les critiques de Taine et de M. Vandal, et d’avoir passé outre. M. Barrés, en art, partage tout à fait la manière de voir qu’avait adoptée le grand roi.
« Le lieu commun de nos aînés, dit-il, c’était de moquer Versailles, « l’ennuyeux Versailles ». Vandal vous a très bien
rappelé cet état d’esprit. Un Taine lui-même a-t-il assez rabâché sur la nature peignée, la nature en perruque, le Versailles de Boileau!
« La thèse, quand je suis arrivé à Paris, c’était: « Nous aimons la nature libre; elle vaut mieux que ces parcs pei
gnés, apprêtés. » Eh bien! maintenant, nous sommes disposés à voir dans la nature comme une mine immense; l’intéressant, c’est desavoir ce que l’homme en saura faire! J’aime les grands
bois, ils sont lʼœuvre des dieux, ils sont les dieux eux-mêmes. Mais ce domaine de Versailles, ses parcs et ses bâtiments, c’est le travail humain.
« J’admire dans Versailles une « construction humaine », puis j’y reconnais « une pensée française », un rêve héroïque réalisé, une volonté héroïque qui a parfaitement abouti.
Louis XIV a voulu ramasser toutes les difficultés pour les vaincre plus glorieusement. Il a fait surgir de la plus plate platitude la plus noble majesté. »
De ceux qui, au xviie siècle, trouvaient que la nature n’est qu’un composé de lieux sauvages, comme on disait alors; et
de ceux qui ne voient dans Versailles qu’une perruque architecturale, on ne peut dire qu’une chose: les uns ne savent pas voir la nature; les autres ne comprennent pas Versailles.
Il est plus intelligent de comprendre et d’aimer l’une et l’autre.
L’Écho eût été maladroit et peu galant s’il nʼavait pas consulté M. Dujardin-Beaumetz, le directeur affable des arts les plus beaux, les plus dignes d’envie. Il le vit à la rue de Valois, revenant de Carcassonne, — car il avait vu Carcassonne.