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Hans Thoma a pris soin de consigner lui-même ses souvenirs d’enfance et de jeunesse dans un recueil d’articles autobiographiques réunis en volume sous ce titre mélancolique : A l automne de la vie (Im Herbste des Lebens, Munich, 1909). Ces souvenirs sont loin d’avoir la valeur psycholo
gique et littéraire du Journal de Delacroix, des confidences de Fromentin ou du Testament (Vermæclitnis) de Feuerbach : la pensée balbutiante qui s’y débat n’a ni la profondeur des méditations d’Eugène Carrière, ni l’accent des Écrits pour l’art d’Émile Gallé. Mais si Hans Thoma n’appar
tient pas à la race des peintres penseurs et stylistes, il a du moins le mérite d’une entière sincérité : il se montre à nous tel qu’il est, avec sa bonhomie parfois malicieuse et sa bonne foi ingénue : nous pouvons avoir créance en l’exactitude de son témoignage.
Hans Thoma est un Allemand du sud, un Allemand du pays rhénan, comme son grand contemporain Arnold Bôcklin. Il est né en 1839, à Bernau, petit village de la Forêt-Noire, qui fait presque partie de la banlieue de Bâle : toute sa vie s’est écoulée entre le Rhin et la Forêt-Noire. Son grand-père et scs oncles étaient horlogers et peignaient des cadrans de montres1. Il grandit librement dans ce milieu très humble d’artisans rustiques, et ses yeux d’enfant s’imprégnèrent avidement des paysages
du Schwarzwald. « Je devins tout œil, écrit-il, longtemps avant de savoir et de connaître les moyens par lesquels on pouvait fixer, dans une certaine mesure, ce plaisir intense de vision. »
Sa mère le mit quelque temps en apprentissage chez un lithographe de Bâle ; mais sa santé débile s’altérait, il avait la nostalgie de la Forêt- Noire ; il revint bientôt à Bernau.
En 1859, il entra, grâce à la protection du grand-duc de Bade, à l’École des beaux-arts de Carlsruhe. C’était alors une simple dépendance de l’Académie de Düsseldorf, où le paysagiste Schirmer, le premier maître de Bocklin, donnait le ton. Thoma se trouva mal à son aise dans ce milieu
1. Il était de mode, jadis, d’orner les cadrans émaillés de vignettes peintes à la main. On sait que cette industrie a donné naissance, sur le versant français des Vosges, à l imagerie populaire d’Épinal.
L’horloger Jean-Charles Pellerin imagina, en 1790, de substituer à ces cadrans peints des cadrans en papier, dont les vignettes étaient imprimées et enluminées au moyen de pochoirs.