Tout le monde sait qu’il existe, aux environs d’Avignon, non loin de la célèbre fontaine de Vaucluse, un site étrange appelé les Baux, une petite ville forliliée qui fut creusée dans la roche même; les chapelles romanes ou gothiques, jadis construites de cette façon originale, subsistaient encore. Cette cité connut des périodes do splendeurs, comme le prouvent les tombes qui garnissent les cryptes de Saint-Vincent; on
y retrouve les noms des anciens chevaliers du pays : les de Manville, de Grilhe, Cabassol, Monté, Jeannès, Bougcvis, d’Estoubleau, Boisseron, Privât de Molière, Siffroy de Gigondas, et bien d’autres barons gouverneurs ou capitaines viguiers. On sait, entre autres choses, que les seigneurs du lieu des
cendirent un jour avec quinze cents J arquebusiers et deux cent soixante chevaux au devant du chevalier de Guise, lieutenant du duc son frère, au pays de Provence.
Ajoutons que, de ces hauteurs ensoleillées, les nombreux voyageurs découvraient un splendide panorama sur les Alpilles, la vallée de la Durance, les monts de la Sainte- Baume, la Camargue, etc., etc. Peu de sites, en France, pour
raient offrir aux regards autant de merveilles pittoresques et archéologiques.
Le moment est venu de les faire disparaître à tout jamais. La fontaine de Vaucluse a bien failli être convertie en usine hydraulique pour les besoins de l’industrie, elle a momentané
ment échappé à cette transformation radicale, éminemment utile à la civilisation. Il est maintenant question de transformer à leur tour les Baux en carrières de pierres.
Les Félibres, défenseurs naturels de la Provence, se sont émus et ont parlé, comme on sait parler en Provence. Au
banquet du printemps, M. P. Mariélon prit la parole pour exprimer fortement 1 indignation générale :
« Sous prétexte, dit-il, qu’il n’est pas louché aux pierres mêmes du monument classé qu’est le château des Baux avec ses dépendances, les exploitants se croient autorisés à l’exca
ver comme bon leur semble, sans souci d’un effondrement éventuel. »
Le Sénateur de la Drôme, M. Maurice Faure, ne craignit pas de qualilier ce crime de lèse-beauté, de lèse-humanilé. Car c’est, dit-il, priver non seulement nos contemporains, mais les générations futures de l’émotion artistique inséparable de la contemplation do ruines d’une telle grandeur et d’un tel intérêt historique.
En un mot, conclut-il, ce serait une action criminelle irréparable.
***
Le château seul, dit-on, est classé comme monument historique, ce qui permettra à l’État d’intervenir en sa faveur. Tous les autres vestiges des Baux sont-ils abandonnés aux entreprises des carriers industriels?
Comme le faisait encore observer M. Maurice Faure,il existe, depuis avril 190(3, une nouvelle loi protectrice « des sites et monuments naturels de caractère artistique », dont on pourrait faire usage dans la circonstance. Quelles sont au juste les monuments naturels? Précisément parce qu ils seraient diffi
ciles à définir exactement, il est tout à fait loisible de donner à cotte désignation vague autant d’extension qu’on voudra; c’est probablement sur quoi comptent les défenseurs des Baux.
Comme celle loi de 1906 n’est pas suffisamment connue, il n’est pas mauvais de rappeler qu’elle constitue, dans chaque département, une Commission spéciale dont font partie : le Préfet, l’ingénieur en chef, l agent voyer, le chef du service
des eaux et forêts. Elle se fortifie de doux conseillers municipaux.
Fort heureusement, elle doit encore se compléter par cinq membres que le Conseil général est chargé de choisir « parmi les notabilités des arts, des sciences des lettres ».
De cette façon on peut espérer que, parfois, d’une manière tout accidentelle, il est vrai, un architecte pourra être appelé à veiller sur les destinées des monuments naturels ou autres.
Pratiquement, 1 article 4 n’est pas le moins intéressant : le préfet, dit-il, au nom du département, ou le maire au nom de la commune, pourra, en se conformant aux prescriptions de la loi du 3 mai 1841, poursuivre l’expropriation des propriétés désignées par la commission comme susceptibles de classement.
« Toute modification, sansautorisation, des lieux classés sera punie d’une amende de 100 à 3.000 francs. »
On compte donc sur cette loi nouvelle pour arrêter les déprédations.
*
* *
Il est du reste un dernier argument sur lequel la défense peut particulièrement compter; c’est peut-être le plus sûr de tous. La pierre des Baux n’a pas grande valeur et ne pourrait, en tout cas, figurer qu’en dernière ligne parmi les matériaux de construction.
L’intérêt financier des carriers n’est donc pas bien sérieusement engagé dans la destruction projetée. Comme on dit, au
point de vue industriel et commercial : elle n’en vaut pas la peine.
On rappelait l’autre jour l’opinion émise par Berthelot, l’illustre chimiste, qui admirait fort les débris de la ville
morte et ajoutait avec grand regret : Hélas ! cette pierre n’en a pas pour plus de trois siècles avant d’être en miettes!
En fait, elle est friable et peu résistante. Los carriers, exposés à couvrir leurs frais plutôt difficilement, n’opposeront peut-être pas une intransigeance insurmontable, et la loi
de 1906, ordinairement peu ou mal appliquée, trouvera peutêtre, celte fois, l’occasion de faire voir qu’elle existe.
Au sous-secrétariat des Beaux-Arts qui, à l’instar des Félibres, s’est ému à son tour, on affirme que « toute diligence va être employée » : on enverra sans retard un inspecteur des monuments historiques !
Que les bous se rassurent donc, et que les méchants tremblent! Comme l’archange au glaive flamboyant, l’inspec
teur des monuments va bientôt apparaître au sommet des Baux et chassera devant lui les carriers maudits; il les expulsera hors du paradis provençal.
(A suivre.) P. P.
(Voyez payes 375-376.)
En traversant l’immense hall de sculpture pour nous rendre à notre section afin de commencer notre revue d’une façon
méthodique, un monument nous arrête sur le passage et attire nos regards; c’est une statue en granit rose qui représente L’Architecture. Le fait est assez rare pour mériter d’ôtre mentionné ici, et en bonne place.
Cet envoi, est une commande de l’Etat et porte la signa
y retrouve les noms des anciens chevaliers du pays : les de Manville, de Grilhe, Cabassol, Monté, Jeannès, Bougcvis, d’Estoubleau, Boisseron, Privât de Molière, Siffroy de Gigondas, et bien d’autres barons gouverneurs ou capitaines viguiers. On sait, entre autres choses, que les seigneurs du lieu des
cendirent un jour avec quinze cents J arquebusiers et deux cent soixante chevaux au devant du chevalier de Guise, lieutenant du duc son frère, au pays de Provence.
Ajoutons que, de ces hauteurs ensoleillées, les nombreux voyageurs découvraient un splendide panorama sur les Alpilles, la vallée de la Durance, les monts de la Sainte- Baume, la Camargue, etc., etc. Peu de sites, en France, pour
raient offrir aux regards autant de merveilles pittoresques et archéologiques.
Le moment est venu de les faire disparaître à tout jamais. La fontaine de Vaucluse a bien failli être convertie en usine hydraulique pour les besoins de l’industrie, elle a momentané
ment échappé à cette transformation radicale, éminemment utile à la civilisation. Il est maintenant question de transformer à leur tour les Baux en carrières de pierres.
Les Félibres, défenseurs naturels de la Provence, se sont émus et ont parlé, comme on sait parler en Provence. Au
banquet du printemps, M. P. Mariélon prit la parole pour exprimer fortement 1 indignation générale :
« Sous prétexte, dit-il, qu’il n’est pas louché aux pierres mêmes du monument classé qu’est le château des Baux avec ses dépendances, les exploitants se croient autorisés à l’exca
ver comme bon leur semble, sans souci d’un effondrement éventuel. »
Le Sénateur de la Drôme, M. Maurice Faure, ne craignit pas de qualilier ce crime de lèse-beauté, de lèse-humanilé. Car c’est, dit-il, priver non seulement nos contemporains, mais les générations futures de l’émotion artistique inséparable de la contemplation do ruines d’une telle grandeur et d’un tel intérêt historique.
En un mot, conclut-il, ce serait une action criminelle irréparable.
***
Le château seul, dit-on, est classé comme monument historique, ce qui permettra à l’État d’intervenir en sa faveur. Tous les autres vestiges des Baux sont-ils abandonnés aux entreprises des carriers industriels?
Comme le faisait encore observer M. Maurice Faure,il existe, depuis avril 190(3, une nouvelle loi protectrice « des sites et monuments naturels de caractère artistique », dont on pourrait faire usage dans la circonstance. Quelles sont au juste les monuments naturels? Précisément parce qu ils seraient diffi
ciles à définir exactement, il est tout à fait loisible de donner à cotte désignation vague autant d’extension qu’on voudra; c’est probablement sur quoi comptent les défenseurs des Baux.
Comme celle loi de 1906 n’est pas suffisamment connue, il n’est pas mauvais de rappeler qu’elle constitue, dans chaque département, une Commission spéciale dont font partie : le Préfet, l’ingénieur en chef, l agent voyer, le chef du service
des eaux et forêts. Elle se fortifie de doux conseillers municipaux.
Fort heureusement, elle doit encore se compléter par cinq membres que le Conseil général est chargé de choisir « parmi les notabilités des arts, des sciences des lettres ».
De cette façon on peut espérer que, parfois, d’une manière tout accidentelle, il est vrai, un architecte pourra être appelé à veiller sur les destinées des monuments naturels ou autres.
Pratiquement, 1 article 4 n’est pas le moins intéressant : le préfet, dit-il, au nom du département, ou le maire au nom de la commune, pourra, en se conformant aux prescriptions de la loi du 3 mai 1841, poursuivre l’expropriation des propriétés désignées par la commission comme susceptibles de classement.
« Toute modification, sansautorisation, des lieux classés sera punie d’une amende de 100 à 3.000 francs. »
On compte donc sur cette loi nouvelle pour arrêter les déprédations.
*
* *
Il est du reste un dernier argument sur lequel la défense peut particulièrement compter; c’est peut-être le plus sûr de tous. La pierre des Baux n’a pas grande valeur et ne pourrait, en tout cas, figurer qu’en dernière ligne parmi les matériaux de construction.
L’intérêt financier des carriers n’est donc pas bien sérieusement engagé dans la destruction projetée. Comme on dit, au
point de vue industriel et commercial : elle n’en vaut pas la peine.
On rappelait l’autre jour l’opinion émise par Berthelot, l’illustre chimiste, qui admirait fort les débris de la ville
morte et ajoutait avec grand regret : Hélas ! cette pierre n’en a pas pour plus de trois siècles avant d’être en miettes!
En fait, elle est friable et peu résistante. Los carriers, exposés à couvrir leurs frais plutôt difficilement, n’opposeront peut-être pas une intransigeance insurmontable, et la loi
de 1906, ordinairement peu ou mal appliquée, trouvera peutêtre, celte fois, l’occasion de faire voir qu’elle existe.
Au sous-secrétariat des Beaux-Arts qui, à l’instar des Félibres, s’est ému à son tour, on affirme que « toute diligence va être employée » : on enverra sans retard un inspecteur des monuments historiques !
Que les bous se rassurent donc, et que les méchants tremblent! Comme l’archange au glaive flamboyant, l’inspec
teur des monuments va bientôt apparaître au sommet des Baux et chassera devant lui les carriers maudits; il les expulsera hors du paradis provençal.
(A suivre.) P. P.
LE SALON
DES ARTISTES FRANÇAIS
(Voyez payes 375-376.)
En traversant l’immense hall de sculpture pour nous rendre à notre section afin de commencer notre revue d’une façon
méthodique, un monument nous arrête sur le passage et attire nos regards; c’est une statue en granit rose qui représente L’Architecture. Le fait est assez rare pour mériter d’ôtre mentionné ici, et en bonne place.
Cet envoi, est une commande de l’Etat et porte la signa