Il nous reste maintenant a remplir, en toute impartialité, notre rôle d’historiographe en relatant les menus incidents
de cette somptueuse cérémonie. *
* *
Il commença par pleuvoir en manière de déluge, ce que l’on ne peut vraiment pas reprocher aux organisateurs très zélés de la fête. A l heure dite, un héraut d’armes fort mouillé, monté sur son palefroi et vêtu rigoureusement à la mode de 1553, date choisie, s’avança dès l heure dite vers la tente impé
riale, qui était reconstituée très exactement. La tente, le cos
tume, le harnachement, les armes, étaient tout ce qu il y a de plus de l’époque. Le cheval et le héraut étaient relativement modernes, car il y avait impossibilité absolue à les reconstituer sur simples documents.
Ce messager était chargé d’inviter, par un discours, les majestés présentes à admirer, préalablement, le défilé des guerriers que recélait en son sein le seigneurial château-fort. Le discours était long, comme il sied en pareille circonstance,
et devait ressembler comme un frère à celui qu’aurait pu prononcer un héraut de 1553 en pareille circonstance.
Ceci dit, on vit apparaître des joueurs de flûtes, suivis par des joueurs de tambours ; ce qui tendait sans doute à bien prouver ce fait, historiquement démontré : dès la Renaissance on savait que ce qui vient par le premier de ces instruments s’en va par l’autre.
Le défilé commençait : en tète, musiciens de toutes les couleurs aussi riches que nombreuses, et cuisiniers vêtus de cuir en toute simplicité, auxquels succédèrent des fauconniers portant sur le poing des faucons empaillés.
Bien que nous nous rendions compte des difficultés qu on aurait eu àsurmonter, pour se procurer des faucons du temps, nous regrettons amèrement que ces oiseaux de proie ne fussent qu empaillés; ils n’étaient plus ainsi à la véritable hau
teur des circonstances et n’offraient pas un suffisant intérêt archéologique.
Mais, à la suite, apparurent les pesants hommes d’armes; et leurs armes étaient des massues à têtes de clous, des épées à deux mains, des piques, des hallebardes, des arquebuses, toutes reconstituées avec la plus scrupuleuse fidélité.Au moins, cettefois, les arquebusiers n’étaient nullement empaillés; aussi toute objection critique est-elle réduite ici au silence absolu.
On vit même un chapelain rebondi, d’une graisse authentique, un bouffon aussi facétieux qu’on pouvait l être eu 1553
ou même en 1554. De génies dames représentèrent la grâce piquante et le charme naïf des villageoises, telles que la Renaissance avait pu les connaître. Enfin se présentèrent des piqueurs tenant en laisse « cinq aimables chiens frisés ». — C est M. G. Bourdon qui les définit ainsi.
Nous aimons à croire que ces animaux, aussi intéressants qu’aimables, n’avaient pas été frisés pour la circonstance, comme les jeunes communiantes ou les nouveaux mariés.Nous voudrions seulemcntsavoir si, d’après les archives du château,
les chiens étaient plus frisés au xvr siècle qu’à présent. Il y aurait là un point d histoire à éclaircir pour justifier celle intervention du coiffeur de la cour, du hof-friseur, comme on dit en Allemagne, et à Stuttgart en particulier.
Nous savons bien que les graveurs de l’époque représentaient assez mal les animaux do tous genres : les lions comme des caniches, les caniches comme des tigres, etc... Mais cette discussion technique nous mènerait beaucoup trop loin.
* * *
Il pleuvait toujours : les plumes qui, elles, auraient eu le droit
authentique de friser naturellement, se défrisaient de plus en plus. Les pourpoints tailladés, les perruques et barbes histo
riques, les chausses à crevés prenaient l aspect qu ils auraient dû avoir en sortant d’une lessive consciencieuse.
Les guerriers valeureux ne s’affectèrent point d un si mince incident ; ces braves figurants, voyant, dans la foule, sourire leurs parents et amis de leur mine post-diluvienne, prirent le même parti ; de proche en proche, le sourire gagna les rangs les plus jeunes de la cour, puis les dames, et finale
ment les majestés elles-mêmes. Ce sourire, qui n’était pas dans le programme austère, remplaçait celui du soleil qui continuait à faire défaut.
La gravité reparut lorsque s’avança un conseiller d’Etat, sous forme de chef des hallebardiers, au sein d une formi
dable cuirasse; les hallebardiers simples, non cuirassés, pour ne pas ressembler à de simples écrevisses dont la place est ailleurs, se contentaient de présenter leurs armes, avec toute la rigidité martiale qu’on avait su obtenir d’un maire, d’un assesseur, d un chef de district et, dit-on, « d’un gros négo
ciant. »,—ainsi désigné pour l’importance de son chiffre d affaires annuelles plutôt que pour son volume personnel.
Lorsque l’averse eût amené le cortège au degré de saturation qui parut le plus convenable, la cour se dirigea vers une éminence où l attendait le ministre de l’intérieur, en per
sonne naturelle, c est-à-dire n’ayant sur lui qu une redingote en guise de costume Renaissance. Devant les hauts person
nages il alluma, en prose officielle, un magnifique feu d’arti
fices alimenté par les traits brillants de l éloquence la plus l’estivale.
La cérémonie ayant été improvisée un peu rapidement, M. le ministre avait craint de ne pouvoir se fier absolument à sa
mémoire ; aussi avait-il jugé prudent de se ménager, comme au théâtre, un souffleur qui se tenait discrètement derrière lui. Moyennant cette simple précaution, tout oratoire, bien
que peu conforme aux usages avérés du xvi” siècle, il parvint sans encombre à l extrémité de sa harangue où, en sa qualité de ministre de l Intérieur, il invitait la noble compagnie à visiter les dedans du château.
A quoi l Empereur s’empressa de répondre gracieusement en lisant, sur papier historique, un second discours où il félicitait d abord l’architecte pour le consoler de certaines critiques peu bienveillantes; puis les autorités, les artisans, les Sociétés archéologiques, la Direction des archives, tous ceux qui avaient contribué à la réédification : « laquelle, assura-t-il, dans sa forme actuelle, est une reproduction
aussi fidèle que possible de ce que fut le château, dans la réalité, vers l an 1500 ».
***
La pluie continuant, on se précipita, lentement et majestueusement, à l intérieur de l édifice ainsi reproduit. On put alors constater avec quel scrupule on avait remplacé ou reconstitué l’intervention du temps : les pierres, paraît-il, avaient été revêtues d un enduit rongé par les siècles; les cuivres avaient été bossues avec discernement; les ferrures sont tachées de rouille ingénieusement répartie. Les marches d escaliers elles-mêmes sont consciencieusement usées à force de vétusté artificielle; et certaines dalles des cours, choisies avec vraisemblance, ont été défoncées avec le plus grand soin.
Nous n’avons pas à parler de la comédie qui fut alors
représentée devant les augustes, hôtes, parce qu elle n’off re
de cette somptueuse cérémonie. *
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Il commença par pleuvoir en manière de déluge, ce que l’on ne peut vraiment pas reprocher aux organisateurs très zélés de la fête. A l heure dite, un héraut d’armes fort mouillé, monté sur son palefroi et vêtu rigoureusement à la mode de 1553, date choisie, s’avança dès l heure dite vers la tente impé
riale, qui était reconstituée très exactement. La tente, le cos
tume, le harnachement, les armes, étaient tout ce qu il y a de plus de l’époque. Le cheval et le héraut étaient relativement modernes, car il y avait impossibilité absolue à les reconstituer sur simples documents.
Ce messager était chargé d’inviter, par un discours, les majestés présentes à admirer, préalablement, le défilé des guerriers que recélait en son sein le seigneurial château-fort. Le discours était long, comme il sied en pareille circonstance,
et devait ressembler comme un frère à celui qu’aurait pu prononcer un héraut de 1553 en pareille circonstance.
Ceci dit, on vit apparaître des joueurs de flûtes, suivis par des joueurs de tambours ; ce qui tendait sans doute à bien prouver ce fait, historiquement démontré : dès la Renaissance on savait que ce qui vient par le premier de ces instruments s’en va par l’autre.
Le défilé commençait : en tète, musiciens de toutes les couleurs aussi riches que nombreuses, et cuisiniers vêtus de cuir en toute simplicité, auxquels succédèrent des fauconniers portant sur le poing des faucons empaillés.
Bien que nous nous rendions compte des difficultés qu on aurait eu àsurmonter, pour se procurer des faucons du temps, nous regrettons amèrement que ces oiseaux de proie ne fussent qu empaillés; ils n’étaient plus ainsi à la véritable hau
teur des circonstances et n’offraient pas un suffisant intérêt archéologique.
Mais, à la suite, apparurent les pesants hommes d’armes; et leurs armes étaient des massues à têtes de clous, des épées à deux mains, des piques, des hallebardes, des arquebuses, toutes reconstituées avec la plus scrupuleuse fidélité.Au moins, cettefois, les arquebusiers n’étaient nullement empaillés; aussi toute objection critique est-elle réduite ici au silence absolu.
On vit même un chapelain rebondi, d’une graisse authentique, un bouffon aussi facétieux qu’on pouvait l être eu 1553
ou même en 1554. De génies dames représentèrent la grâce piquante et le charme naïf des villageoises, telles que la Renaissance avait pu les connaître. Enfin se présentèrent des piqueurs tenant en laisse « cinq aimables chiens frisés ». — C est M. G. Bourdon qui les définit ainsi.
Nous aimons à croire que ces animaux, aussi intéressants qu’aimables, n’avaient pas été frisés pour la circonstance, comme les jeunes communiantes ou les nouveaux mariés.Nous voudrions seulemcntsavoir si, d’après les archives du château,
les chiens étaient plus frisés au xvr siècle qu’à présent. Il y aurait là un point d histoire à éclaircir pour justifier celle intervention du coiffeur de la cour, du hof-friseur, comme on dit en Allemagne, et à Stuttgart en particulier.
Nous savons bien que les graveurs de l’époque représentaient assez mal les animaux do tous genres : les lions comme des caniches, les caniches comme des tigres, etc... Mais cette discussion technique nous mènerait beaucoup trop loin.
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Il pleuvait toujours : les plumes qui, elles, auraient eu le droit
authentique de friser naturellement, se défrisaient de plus en plus. Les pourpoints tailladés, les perruques et barbes histo
riques, les chausses à crevés prenaient l aspect qu ils auraient dû avoir en sortant d’une lessive consciencieuse.
Les guerriers valeureux ne s’affectèrent point d un si mince incident ; ces braves figurants, voyant, dans la foule, sourire leurs parents et amis de leur mine post-diluvienne, prirent le même parti ; de proche en proche, le sourire gagna les rangs les plus jeunes de la cour, puis les dames, et finale
ment les majestés elles-mêmes. Ce sourire, qui n’était pas dans le programme austère, remplaçait celui du soleil qui continuait à faire défaut.
La gravité reparut lorsque s’avança un conseiller d’Etat, sous forme de chef des hallebardiers, au sein d une formi
dable cuirasse; les hallebardiers simples, non cuirassés, pour ne pas ressembler à de simples écrevisses dont la place est ailleurs, se contentaient de présenter leurs armes, avec toute la rigidité martiale qu’on avait su obtenir d’un maire, d’un assesseur, d un chef de district et, dit-on, « d’un gros négo
ciant. »,—ainsi désigné pour l’importance de son chiffre d affaires annuelles plutôt que pour son volume personnel.
Lorsque l’averse eût amené le cortège au degré de saturation qui parut le plus convenable, la cour se dirigea vers une éminence où l attendait le ministre de l’intérieur, en per
sonne naturelle, c est-à-dire n’ayant sur lui qu une redingote en guise de costume Renaissance. Devant les hauts person
nages il alluma, en prose officielle, un magnifique feu d’arti
fices alimenté par les traits brillants de l éloquence la plus l’estivale.
La cérémonie ayant été improvisée un peu rapidement, M. le ministre avait craint de ne pouvoir se fier absolument à sa
mémoire ; aussi avait-il jugé prudent de se ménager, comme au théâtre, un souffleur qui se tenait discrètement derrière lui. Moyennant cette simple précaution, tout oratoire, bien
que peu conforme aux usages avérés du xvi” siècle, il parvint sans encombre à l extrémité de sa harangue où, en sa qualité de ministre de l Intérieur, il invitait la noble compagnie à visiter les dedans du château.
A quoi l Empereur s’empressa de répondre gracieusement en lisant, sur papier historique, un second discours où il félicitait d abord l’architecte pour le consoler de certaines critiques peu bienveillantes; puis les autorités, les artisans, les Sociétés archéologiques, la Direction des archives, tous ceux qui avaient contribué à la réédification : « laquelle, assura-t-il, dans sa forme actuelle, est une reproduction
aussi fidèle que possible de ce que fut le château, dans la réalité, vers l an 1500 ».
***
La pluie continuant, on se précipita, lentement et majestueusement, à l intérieur de l édifice ainsi reproduit. On put alors constater avec quel scrupule on avait remplacé ou reconstitué l’intervention du temps : les pierres, paraît-il, avaient été revêtues d un enduit rongé par les siècles; les cuivres avaient été bossues avec discernement; les ferrures sont tachées de rouille ingénieusement répartie. Les marches d escaliers elles-mêmes sont consciencieusement usées à force de vétusté artificielle; et certaines dalles des cours, choisies avec vraisemblance, ont été défoncées avec le plus grand soin.
Nous n’avons pas à parler de la comédie qui fut alors
représentée devant les augustes, hôtes, parce qu elle n’off re