30 Mai 1908
LA CONSTRUCTION MODERNE


ACTUALITES


LE SALON DES POÈTES
La Société des Artistes français, en sou présent Salon, s’est montrée généreusement hospitalière : de même qu’elle accueille, à bras ouverts, les peintres, sculpteurs, architectes,
graveurs, aquarellistes et pastellistes, qu’elle ouvre de temps en temps ses portes àlamusique, elle a voulu cette année offrir un abri aux poètes errants. Une alliance entre les xYrts et la Poésie n’était-elle pas toute naturelle, ne s’imposait-elle pas en raison des inspirations communes?
Nos lecteurs savent qu’en un salon spécial Messieurs les poètes sont appelés à donner lecture de leurs œuvres à haute et intelligible voix. Ceux qui ne compteraient pas beaucoup
sur leur propre talent de récitation sont autorisés à recourir aux voix d’or de nos plus sympathiques actrices, ou même aux voix d airain de nos plus chers tragédiens.
La poésie française va-t-elle par suite prendre un nouvel et plus puissant essor? Tout est possible; en tout cas la produc
tion ne se ralentira pas; elle est déjà surabondante, les poètes eux-mèmes le reconnaissent, et les deux sexes contribuent courageusement aujourd’hui à entretenir le feu sacré, l’en
thousiasme inspiré par les dieux. Nous avons presque autant de poétesses que de poètes. — Et l’on dit que les générations
actuelles s’enfoncent de plus en plus dans un réalisme abject!
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Puisque l’on crée, grâce aux Artistes français, un Salon pour les Alexandrins, les Sonnets et les Rondeaux, il fallait bien qu’il y eût une inauguration. Elle a eu lieu, et elle eut
comme chef d’orchestre M. Edmond Haraucourt, président de la Société des Poètes français; — car il y a une Société des poètes. Qui donc n’en a pas?
Le Président a prononcé, comme de raison, un discours où il commença par remercier M. Nénot et tous les artistes do leur aimable hospitalité. La salle était comble, plus que
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comble, dit-on même, car tous les poètes actuellement vivants s y étaient donné rendez-vous et ils sont, ainsi qu’on va voir, plus nombreux que les grains de sable de la mer. Et, comme
ils sont naturellement enthousiastes, l’accueil lait au discours présidentiel fut plus que chaleureux.
C’était pleine justice, car il n’est pas possible de prononcer un discours plus spirituel que celui de M. Haraucourt. Le
meilleur moyen de ne pas faire sourire à ses dépens est encore de se railler soi-même avec beaucoup d esprit et de bonhomie. Tout prétexte se trouve ainsi enlevé aux malveil
lants qui seraient bien embarrassés de mettre autant de bonne grâce à leurs critiques, bien ou mal fondées.
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Au début : hommage au Comité des artistes qui offre un Palais aux poètes plutôt indigents et plus habitués aux man
sardes, paraît-il; hommage aux princes et princesses de théâtre qui prêtent leurs voix à ceux qui n’en ont guère, à ceux qui n’eu ont pas, dit la vieille chanson; enlin, et surtout, aux « auditeurs courageux » qui no craignent pas do s’aventurer dans l’antre de la Poésie, ou do s’embarquer sur ses flots tumultueux.....tout en sachant ce qui les attend.
De même que là bas on félicite nos troupes de leur allègre endurance, n’est-il pas agréable de constater ici que la race française n’a rien perdu de ses qualités natives et sait, quand il le faut, résister à toutes les épreuves?
M. le Président, dépourvu de toute illusion, ne croit cependant pas que le public contemporain guette avec impatience les sonnets prêts à naître; et encore moins, suppose-t-il, les
élégies en voie de formation. Il le dit en toute sincérité, et explique cette indifférence par les conditions « électriquesde l’existence moderne.
Nos générations, dit-il, trop pressées, ne tolèrent pas qu’on leur répète deux fois la même chose, ce qui est précisément le propre des rimes.