Mais alors que doit-il arriver quand les poètes s adressent — recours suprême! — aux rimes redoublées?
Cependant quelques esprils audacieux ont, parait-il, trouvé le moyen de tourner la difficulté ; elM. llarancourt révèle le procédé, aussi nouveau qu ingénieux, qu ont découvert quelques poètes amis du progrès : C’est pour cela, dit-il, que quelques-uns d entre nous renoncent à rimer leurs vers.
Procédé simple; seulement, comme on dit : il y fallait penser.
* * *
Malgré ces habiles innovations, les poètes seraient, affirme-t-il, démodés tout comme « les diligences, les chevaux et les anthropophages ».
Il est clair que les diligences ne réclameront pas contre celle juste affirmation de leur décadence. Il n en existe plus. Les chevaux savent bien que la concurrence automobile les fera disparaître un jour ou l autre. Les anthropophages reculent devant une civilisation qui les extermine sans les manger.
En serait-il de même pour les poètes? Mais ceux-ci ne vont-ils pas protester contre celle résignation prématurée de leur président? Il y a des choses qui ne meurent ni se
démodent; depuis l’Art d accommoder les Restes jusqu aux Revues du 14 juillet; depuis les tournées électorales jusqu à celles des Comédiens français; depuis les corsets jusqu’aux chapeaux colosses. La Poésie est du nombre.
La meilleure preuve qu on en puisse offrir, c’est M. Haraucourl qui la donne lui-même : « Plus on se détourne de nous, reconnaît-il,et plus notre nombre augmente; jamais il n’attei
gnit des chiffres aussi déconcertants ! A la sentence de Tolstoï
et même de Platon, qui nous excluent, nous répliquons par la devise d Abraham : Croissez et multipliez! »
Et ils croissent, et ils multiplient, dussent Platon et Tolstoï en maigrir de colère ; à la grande joie d Abraham qui, dit-on, donnait lui même l’excellent exemple de multiplier chaleureusement.
* * *
Ou sait que l’Australie, devant un phénomène de multiplication analogue, a toutes les peines du monde à restreindre l accroissement de ses lapins,— de fiers lapins — qui, faute d avoir été bannis par Platon ou Tolstoï, n en devenaient pas moins encombrants. On a même eu recours aux disciples de Pasteur qui, malgré la fourniture de nombreux microbes, tant aérobies qu’anaérobies, ont dû se déclarer impuissants.
Nous n’avons nulle intention d établirdes comparaisons irré vérencieuses et savons toute la distance qui sépare le poète bienfaisant pour l’humanité et le lapin même sauté. Bien au contraire, nous désirons joindre nos éloges à ceux de l hono
rable président qui, s’adressant au public enthousiaste, s’écriait avec quelque fierté, bien justifiée: « Vous qui, làhaut, admirez la fécondité picturale de notre cher pays, admirez maintenant sa fécondité poétique! Nos camarades peintres n’opèrent qu’au mètre carré, nous opérons au mètre cube! »
Car, ajouta t-il, le poète est incompressible et insuppressible : « Même quand l’humanité nous déclare qu’elle n’a plus besoin de nous, nous conservons la certitude de répondre à un besoin : le nôtre ! »
Sur un pareil terrain, il n y a pas de discussion possible. Le poète, comme le peintre, comme le sculpteur, a droit à l existence, donc au Salon annuel. Cela est incontestable ; elle
premier devoir du public est d’aller y entendre les vers, puisqu il ne les lit pas.
Il ne faudrait cependant pas laisser nos lecteurs sous l’impression que M. Haraucourl s est borné à plaisanter, si
agréablement que ce soit, ses confrères en poésie. Au fond il garde à celle-ci un culte très fervent et lient à y amener, par des voies fleuries, le public qui l écoute; aussi faut-il, pour rester équitable, citer toute sa conclusion qui est grave et persuasive :
« Après tout, qui donc, dit-il, ne s’est pas senti poète, ne futce que durant une heure? Souvenez-vous, et osez dire que cette heure ne fut pas délicieuse entre toutes, par cela seulement qu elle fut enthousiaste! Rien ne vaut que de s’épanouir. On n’y réussit pas toujours, on n’y persiste pas souvent, mais il suffit de l avoir tenté pour qu’on garde au fond de soi-même une fleurette de printemps qui sent bon pour toute la vie, — et c’est le souvenir d’avoir été poète!
« Vous tous qui le fûtes pendant un beau soir, soyez cléments pour ceux qui le restent toujours. Nous sommes le passé, c’est vrai, mais nous sommes votre passé : nous demeu
rons pareils à ce que vous étiez, et nous vous ressemblons alors que vous ne vous ressemblez plus. Venez vous recon
naître en nous : nos vers sont les miroirs de vos émotions défuntes, et, dans ce Salon des poèmes, les tableaux que nous exposons, c est vos âmes. »
P. Planar.


LE SALON




DES ARTISTES FRANÇAIS


( Voyez page 399.)
En nous engageant sur le premier palier qui donne sur le grand hall de la sculpture, nous tombons sur l’envoi de M. Marcel Cochet, cet artiste qui sait être à la fois amusant, poétique et rêveur. Ses Trois Sanctuaires sont une œuvre qui « n’est pas née d un cerveau d’anlhropopithèque» nous dit Pas
cal Forthuny dans le Malin où il a daigné consacrer dix lignes à notre section, tout à fait à la fin de son article pour lequel il
a vidé, nous apprend-il, son encrier. Enregistrons l’éloge (?) et soyons un peu moins énigmatiques que lui.
Les Trois Sanctuaires,de l’Amour, de la Gloire et de la Mort, soûl une composition d une conception originale, d’un dessin soigné et d’un rendu significatif. Ainsi, tout est rose dans le premier :
Vers l idéal sommet, l humanité se presse,
D’où l amour, flambeau pourpre, embrasse l univers, Et son cœur qui s’élance alterne et choit sans cesse, L)cs roses du printemps aux cendres de l hiver.
Si séduit que l on soit par la facture aimable de cette vision, on est vite rappelé à la réalité en songeant que
L’amour est un beau champ toujours semé de fleurs, Mais qu éternellement on arrose de pleurs...
Le sanctuaire de la Gloire est synthétisé par ces quatre vers :
L aigle au fronton de gloire insulte le zénith Et le froid sanctuaire où le héros s’isole,
Loin des clameurs d’en bas qui montent vers l’idole, Surplombe méprisant sa base de granit!
Enfin, le troisième sanctuaire nous montre que la Mort absorbe et la Gloire et l’Amour dans son néant sans fond qui sur eux se referme.