6 Juin 1908
LA CONSTRUCTION MODERNE
LE PRIX DESCHAUMES
Il y a quelques jours, l Académie décernait ce prix à un jeune architecte qui, d’après le programme de fondation : « doit se distinguer par son aptitude pour son art et par ses bons sentiments à l’égard de sa famille ».
Le Figaro signalait ce petit événement en faisant remarquer la saveur toute particulière du style académique mis à réquisition pour formuler cet article du programme.
C’est en effet une littérature très particulière que celle dont font usage les académies en général et celle des Beaux-Arts en particulier. Elle est profondément honnête, elle est inspirée des meilleurs et des plus purs sentiments; mais, par un mal
heureux hasard, elle gâte presque toujours ces excellentes qualités par une gravité quelque peu prudhomesque, vertueuse et archaïque, qui prête inévitablement à sourire tout au moins.
Il est certain, à première vue, que la lecture de ce paragraphe ouvre aussitôt des horizons peuplés de personnages à pantalons de nankin, porteurs de toupets à la Louis-Phi
lippe et revivifie toute une génération de ces tendres mères qui habillaient leurs rejetons en artilleurs.
Heureux temps où 1 on concevait le jeune architecte comme le modèle des vertus domestiques et l’emblème des plus sages qualités artistiques ! Car il devait « se distinguer » simultané
ment par une remarquable aptitude pour son art — non pour celui des autres, — et par des sentiments tout à fait excellents à l’égard de tous, mais de sa famille en particulier.
L’âge d’or, en un mot ! Pour rien au monde nous ne voudrions affirmer que les architectes aient aujourd’hui consenti à perdre ces multiples et précieuses qualités. Seu
lement, on les définirait autrement, entérines moins modestes et peut-être moins bien choisis, car ceux du programme sont véritablement triés sur le violet.
*
* *
Le Figaro n’a pas pu s’empêcher de plaisanter doucement, d une manière bien inoffensive, sur ce style honnête et si « distingué » lui-même ; et de se demander par quels pro
23a Année N 36
cédés l Académie, si docte qu’elle soit, arrivait à filtrer les sentiments louables des lauréats, afin d’en mieux discerner la pureté. L’aptitude pour leur art peut encore aisément apparaître au grand jour; mais les vertus les plus méritantes ne sont-elles pas les plus cachées ?
Comment donc cela s’obtient-il.un prix Deschaumes? Voilà ce que se demande le journal avec grande curiosité, teintée d’une légère anxiété.
Est-ce, disait-il, M. Bonnat (pourquoi ce maître en peinture, plutôt qu’un autre ?) qui fait subir aux candidats architectes un sérieux examen sur leurs sentiments à l’égard de leurs parents? Jusqu’à quel degré de parenté doivent s’étendre ces sentiments; doivent-ils être également « bons » à tous les de
grés; ou bien l’Académie tolère-t-elle quelque atténuation, de degré en degré, à mesure que les liens familiaux se distendent de plus en plus?
La récompense est-elle finalement attribuée à celui qui répond le mieux en cet examen oral? Autre question que se pose le Figaro. Il n’y a cependant pas de sérieuse raison pour penser qu il soit ainsi procédé à l examen nécessaire. Une ré
ponse bien tournée, ou énergiquement accentuée, n’est pas une suffisante garantie de la nature et de la solidité des senti
ments requis pour la circonstance; et M. Bonnat lui-même se refuserait à se laisser convaincre sur de simples paroles, fussent-elles venues du cœur : Verba et voces !
***
Le rédacteur a des doutes probablement, tout comme nous; car il continue à se demander : Ou bien est-ce que l’Ecole, désireuse de se bien renseigner, procède à de discrètes enquêtes?
Pour cela, il lui faudrait adresser un questionnaire à toutes les familles. Il est alors probable que toutes répondraient unanimement des sentiments affectueux de leurs candidats; ce qui ne permettrait pas de conclure à quoi que ce soit.
Quels seraient donc les parents, assez dénaturés eux-mêmes, pour affirmer que leur lits l’est bien davantage?
Cette supposition ne tient pas debout. Aussi, le journal que nous citons incline-t-il à croire que l’on interroge de
LA CONSTRUCTION MODERNE
ACTUALITÉS
LE PRIX DESCHAUMES
Il y a quelques jours, l Académie décernait ce prix à un jeune architecte qui, d’après le programme de fondation : « doit se distinguer par son aptitude pour son art et par ses bons sentiments à l’égard de sa famille ».
Le Figaro signalait ce petit événement en faisant remarquer la saveur toute particulière du style académique mis à réquisition pour formuler cet article du programme.
C’est en effet une littérature très particulière que celle dont font usage les académies en général et celle des Beaux-Arts en particulier. Elle est profondément honnête, elle est inspirée des meilleurs et des plus purs sentiments; mais, par un mal
heureux hasard, elle gâte presque toujours ces excellentes qualités par une gravité quelque peu prudhomesque, vertueuse et archaïque, qui prête inévitablement à sourire tout au moins.
Il est certain, à première vue, que la lecture de ce paragraphe ouvre aussitôt des horizons peuplés de personnages à pantalons de nankin, porteurs de toupets à la Louis-Phi
lippe et revivifie toute une génération de ces tendres mères qui habillaient leurs rejetons en artilleurs.
Heureux temps où 1 on concevait le jeune architecte comme le modèle des vertus domestiques et l’emblème des plus sages qualités artistiques ! Car il devait « se distinguer » simultané
ment par une remarquable aptitude pour son art — non pour celui des autres, — et par des sentiments tout à fait excellents à l’égard de tous, mais de sa famille en particulier.
L’âge d’or, en un mot ! Pour rien au monde nous ne voudrions affirmer que les architectes aient aujourd’hui consenti à perdre ces multiples et précieuses qualités. Seu
lement, on les définirait autrement, entérines moins modestes et peut-être moins bien choisis, car ceux du programme sont véritablement triés sur le violet.
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Le Figaro n’a pas pu s’empêcher de plaisanter doucement, d une manière bien inoffensive, sur ce style honnête et si « distingué » lui-même ; et de se demander par quels pro
23a Année N 36
cédés l Académie, si docte qu’elle soit, arrivait à filtrer les sentiments louables des lauréats, afin d’en mieux discerner la pureté. L’aptitude pour leur art peut encore aisément apparaître au grand jour; mais les vertus les plus méritantes ne sont-elles pas les plus cachées ?
Comment donc cela s’obtient-il.un prix Deschaumes? Voilà ce que se demande le journal avec grande curiosité, teintée d’une légère anxiété.
Est-ce, disait-il, M. Bonnat (pourquoi ce maître en peinture, plutôt qu’un autre ?) qui fait subir aux candidats architectes un sérieux examen sur leurs sentiments à l’égard de leurs parents? Jusqu’à quel degré de parenté doivent s’étendre ces sentiments; doivent-ils être également « bons » à tous les de
grés; ou bien l’Académie tolère-t-elle quelque atténuation, de degré en degré, à mesure que les liens familiaux se distendent de plus en plus?
La récompense est-elle finalement attribuée à celui qui répond le mieux en cet examen oral? Autre question que se pose le Figaro. Il n’y a cependant pas de sérieuse raison pour penser qu il soit ainsi procédé à l examen nécessaire. Une ré
ponse bien tournée, ou énergiquement accentuée, n’est pas une suffisante garantie de la nature et de la solidité des senti
ments requis pour la circonstance; et M. Bonnat lui-même se refuserait à se laisser convaincre sur de simples paroles, fussent-elles venues du cœur : Verba et voces !
***
Le rédacteur a des doutes probablement, tout comme nous; car il continue à se demander : Ou bien est-ce que l’Ecole, désireuse de se bien renseigner, procède à de discrètes enquêtes?
Pour cela, il lui faudrait adresser un questionnaire à toutes les familles. Il est alors probable que toutes répondraient unanimement des sentiments affectueux de leurs candidats; ce qui ne permettrait pas de conclure à quoi que ce soit.
Quels seraient donc les parents, assez dénaturés eux-mêmes, pour affirmer que leur lits l’est bien davantage?
Cette supposition ne tient pas debout. Aussi, le journal que nous citons incline-t-il à croire que l’on interroge de