13 Juin 1908
LA CONSTRUCTION MODERNE
LES SALONS DU XVIIIe SIÈCLE
Il y eut au cours du xvmc siècle, après le duc d’Antin, seul tils légitime de M e de Moutespan, plusieurs surinten
dants des Arts. Tournehem et Marigny étaient les proches parents de M c de Pompadour. Tels furent les ancêtres de M. Dujardin-Beaumetz. De M. d’Angivillier, qui fut « intro
nisé » plus tard par Louis XVI, on parle moins que de ses prédécesseurs.
L’art du xvuU siècle passe pour éminemment folâtre; il l’est à certains égards, et l’on pourrait croire que sa légèreté occasionnelle était encouragée par des surintendants d’ori
gine plutôt gaie, comme on voit. Ce serait une grave erreur.
En tout cas, notre siècle n’aurait rien à lui reprocher; tant s’en faut. On pourrait presque dire que les « polissonneries» — tel est le terme consacré — du règne de Louis XV pourraient servir de modèle à notre époque, si elle se souciait le moins du monde de ne pas trop dépasser certaines limites.
Il est bien d’autres usages, adoptés dans ce temps-là, qu’on pourrait également trouver infiniment supérieurs à ceux qui
régissent actuellement nos Salons; on en peut tout au moins citer quelques-uns.
* * *
Lorsque M. Lenormand de Tournehem créa les premières expositions soumises à un jury, il s’inspira de cette juste pensée exprimée par lui-même : Le grand nombre des tableaux n est pas ce qui rend ces fêles très brillantes.
Maxime profonde qui aurait dû être inscrite au fronton du Grand Palais, bien qu’il soit infiniment plus vaste que la galerie d’Apollon jugée bien suffisante en cos temps vraiment remarquables par leur naïveté presque innocente.
La composition de ce jury, aussi restreint que sévère, était des plus simples : le directeur de l’Académie, les quatre rec
teurs et deux adjoints. La Compagnie élisait librement dix professeurs et deux conseillers. Il n’était pas encore question,
pour ces Salons, de suffrage universel, régime éminemment propre à mettre les jurés sous la coupe des exposants, et qui,
malgré ses beautés incontestables, est doué de quelques légers inconvénients.
Il n’était pas non plus question, mémo dans les tribunaux, 23e Année N° 37
de faire nommer les jurés par les accusés eux-mêmes. Il ne faudrait pas trop le reprochera nos ancêtres du xviu° siècle, cette omission existant encore dans nos propres institutions. Elle ne sera réparée que plus tard.
Ceci dit sans établir le moindre rapprochement, qui serait inconvenant, entre les auteurs d’œuvres purement artisti
ques, et les auteurs de véritables délits qui sont dits « de droit commun ».
*
* *
La mission éliminatrice dont se trouvaient chargés les directeurs, recteurs, professeurs et simples conseillers, n’en restait pas moins difficile ; ces sortes d’opérations chirurgi
cales sont pénibles, non seulement pour les opérés, ce qui va de soi, mais en même temps pour les opérateurs, lorsqu’une longue habitude n’a pas encore émoussé leur sensibilité.
AussiM. de Tournehem avait-il cru nécessaire de réconforter le moral des futurs chirurgiens d’art, — c’est ainsi qu’on s’ex
primerait aujourd’hui. Il le ht en termes très dignes et très sensés :
« Ceux à qui ce règlement paraîtrait sévère n’entendraient pas leurs propres intérêts : ce qui peut arriver de plus cruel à un artiste, c’est de recevoir l’improbation générale.
« Je crois témoigner aux artistes par cet arrangement à quel point je cherche à les ménager. Car enfin il leur sera moins
rude d’essuyer l’examen de leurs confrères que de voir par mon ordre déplacer leurs ouvrages; et c’est ce que je ne pour
rais me dispenserdc faire sans manquer aux devoirsque m’im
pose ma place, si malheureusement je voyais des choses capaliles de dégrader une Académie que je chéris. »
L’Académie se conforma scrupuleusement aux prescriptions directoriales et, si nos souvenirs sont exacts, le nombre des œuvres exposées ne dépassait pas 200 à 300 par année, en ces temps tout à l’ail primitifs.
Que les temps sont changés ! Ils l’étaient déjà, parait-il, du vivant d’Abner ; que devrions-nous dire aujourd’hui, soit en vers, soit en prose ?
***
Non seulement les choix étaient sévères, comme il convient si l’on veut conserver un véritable Salon, et non ouvrir une
LA CONSTRUCTION MODERNE
ACTUALITÉS
LES SALONS DU XVIIIe SIÈCLE
Il y eut au cours du xvmc siècle, après le duc d’Antin, seul tils légitime de M e de Moutespan, plusieurs surinten
dants des Arts. Tournehem et Marigny étaient les proches parents de M c de Pompadour. Tels furent les ancêtres de M. Dujardin-Beaumetz. De M. d’Angivillier, qui fut « intro
nisé » plus tard par Louis XVI, on parle moins que de ses prédécesseurs.
L’art du xvuU siècle passe pour éminemment folâtre; il l’est à certains égards, et l’on pourrait croire que sa légèreté occasionnelle était encouragée par des surintendants d’ori
gine plutôt gaie, comme on voit. Ce serait une grave erreur.
En tout cas, notre siècle n’aurait rien à lui reprocher; tant s’en faut. On pourrait presque dire que les « polissonneries» — tel est le terme consacré — du règne de Louis XV pourraient servir de modèle à notre époque, si elle se souciait le moins du monde de ne pas trop dépasser certaines limites.
Il est bien d’autres usages, adoptés dans ce temps-là, qu’on pourrait également trouver infiniment supérieurs à ceux qui
régissent actuellement nos Salons; on en peut tout au moins citer quelques-uns.
* * *
Lorsque M. Lenormand de Tournehem créa les premières expositions soumises à un jury, il s’inspira de cette juste pensée exprimée par lui-même : Le grand nombre des tableaux n est pas ce qui rend ces fêles très brillantes.
Maxime profonde qui aurait dû être inscrite au fronton du Grand Palais, bien qu’il soit infiniment plus vaste que la galerie d’Apollon jugée bien suffisante en cos temps vraiment remarquables par leur naïveté presque innocente.
La composition de ce jury, aussi restreint que sévère, était des plus simples : le directeur de l’Académie, les quatre rec
teurs et deux adjoints. La Compagnie élisait librement dix professeurs et deux conseillers. Il n’était pas encore question,
pour ces Salons, de suffrage universel, régime éminemment propre à mettre les jurés sous la coupe des exposants, et qui,
malgré ses beautés incontestables, est doué de quelques légers inconvénients.
Il n’était pas non plus question, mémo dans les tribunaux, 23e Année N° 37
de faire nommer les jurés par les accusés eux-mêmes. Il ne faudrait pas trop le reprochera nos ancêtres du xviu° siècle, cette omission existant encore dans nos propres institutions. Elle ne sera réparée que plus tard.
Ceci dit sans établir le moindre rapprochement, qui serait inconvenant, entre les auteurs d’œuvres purement artisti
ques, et les auteurs de véritables délits qui sont dits « de droit commun ».
*
* *
La mission éliminatrice dont se trouvaient chargés les directeurs, recteurs, professeurs et simples conseillers, n’en restait pas moins difficile ; ces sortes d’opérations chirurgi
cales sont pénibles, non seulement pour les opérés, ce qui va de soi, mais en même temps pour les opérateurs, lorsqu’une longue habitude n’a pas encore émoussé leur sensibilité.
AussiM. de Tournehem avait-il cru nécessaire de réconforter le moral des futurs chirurgiens d’art, — c’est ainsi qu’on s’ex
primerait aujourd’hui. Il le ht en termes très dignes et très sensés :
« Ceux à qui ce règlement paraîtrait sévère n’entendraient pas leurs propres intérêts : ce qui peut arriver de plus cruel à un artiste, c’est de recevoir l’improbation générale.
« Je crois témoigner aux artistes par cet arrangement à quel point je cherche à les ménager. Car enfin il leur sera moins
rude d’essuyer l’examen de leurs confrères que de voir par mon ordre déplacer leurs ouvrages; et c’est ce que je ne pour
rais me dispenserdc faire sans manquer aux devoirsque m’im
pose ma place, si malheureusement je voyais des choses capaliles de dégrader une Académie que je chéris. »
L’Académie se conforma scrupuleusement aux prescriptions directoriales et, si nos souvenirs sont exacts, le nombre des œuvres exposées ne dépassait pas 200 à 300 par année, en ces temps tout à l’ail primitifs.
Que les temps sont changés ! Ils l’étaient déjà, parait-il, du vivant d’Abner ; que devrions-nous dire aujourd’hui, soit en vers, soit en prose ?
***
Non seulement les choix étaient sévères, comme il convient si l’on veut conserver un véritable Salon, et non ouvrir une