Halle d’art; mais encore le directeur de l Académie recommandait aux exposants : la bienséance !
Ceci se passait sous Louis XV. Notre époque, infiniment plus moralisée, sinon plus morale, n’a point de semblables scru
pules. Toutefois, il faut ajouterque, sousle règne du Bien-Aimé,
il y avait déjà des « exempts », —nous n avons rien inventé; — et ccs exempts s’exemptaient assez volontiers de se soumettre aux chastes conseils du directeur et premier peintre du Roi.
Ce furent alors les visiteurs pudiques — nous n’en avons plus qu un aujourd’hui, du nom deM. Bérenger, tandis qu’il y en avait encore beaucoup en ces temps réputés folâtres, —
qui protestèrent avec vigueur. Actuellement on les accablerait de railleries; mais en 1773, on reconnut qu’il y avait un sérieux inconvénient à ne pas restreindre quelque peu certains écarts des exempts qui échappaient à la nouvelle juridiction.
C’est alors que le jury s’adressa à M. de Marigny, lors surintendant, dans les termes que voici :
« Ce serait un avantage de marquer aux académiciens vos intentions sur les égards concernant la décence que Ton doit au public. Il serait convenable que MM. les officiers, qui ne sont point sujets à la révision du comité, fissent un choix dans leurs ouvrages qui exigent du nud. Le mécontentement contre les choses hasardées fut trop marqué lors du dernier Salon pour ne pas apporter tous les soins capables de ne le pas faire renaître. Le public n admet point encore en masse la liberté que la confiance autorise dans l’intérieur des sociétés particulières. »
La question du Nu dans l’art était née; elle avait la vie dure puisqu’elle subsiste encore de nos jours.
En 1773, l’administration, soucieuse de la morale publique et peut-être mieux armée qu’aujourd’hui, intervint avec quel
que sévérité: et ce Salon, qui fut le chant du cygne pour le règne de Louis XV, fut d une austérité propre à satisfaire les plus difficiles.
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On ne s’étonnera pas d’entendre dire que le règne suivant, sous Louis XVI, continua celte tradition épuratrice. C’est ainsi qu’en 1783 Boudon, le sculpteur, eut un sérieux engagement avec le jury.
Houdon, artiste de grande valeur et ordinairement sérieux, se laissait aller parfois à quelques légèretés qui nous semble
raient bien banales aujourd’hui, mais qui choquaient des générations réputées pourtant moins vertueuses que la nôtre.
M. le Premier, peintre et directeur de l’Académie, écrivit donc àM. d’Angivillier, successeur de Marigny :
« On a apporté ici deux petites figures de M. Houdon, deminature. L une qui est drapée n’est pas merveilleuse. L’autre pourrait bien ne pas passer à cause de son genre de nudité : une figure toute nue n’est pas si indécente que celles qui sont drapées avec une fausse modestie. »
Un croquis, d’après la figure si peu modeste, était mis sous les yeux de M. le Surintendant, en lui faisant remarquer qu’elle avait le tort « de montrer bellement son derrière ».
On appelait alors les choses par leurs noms : on était donc plus pudique en actes qu’en paroles; ce qui vaut peut-être mieux.
Toutefois, nous croyons qu’il y a ici erreur de transcription : Bettement ou bêtement ne nous semble guère appartenir au
langage du temps. Nous préférerions : bellement, ce qui est plus galant et ajouterait à la phrase une petite ironie qui,
croyons-nous, serait de meilleur ton et plus conforme aux façons do l’époque, façons qui ne sont pas du tout les nôtres.
Finalement, sur les conseils du Surintendant qui, vis-à-vis du grand sculpteur, préférait employer les mesures diplomatiques, on plaça l’aimable petite dame dans un coin peu
éclairé. De quel côté fut-elle tournée ? Que présentait-elle préféremment au publie? Il parait que les recherches mêmes du savant M. Guilfrey n’ont pu éclairer ce point obscur de l histoire de l’Art.
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Puisque nous en sommes à signaler les différences des temps, des mœurs et des coutumes, rappelons que, sous Louis XV encore, Nicolas Cocliin, graveur célèbre, ami de Soufflot et, avec lui, réformateur des arts, se trouva chargé d’établir « un tableau de la valeur des toiles, qui devait servir désormais pour le règlement des comptes ».
Il doit s’agir ici des acquisitions faites pour le compte de l’Etat, grand protecteur des Arts, grand régulateur des achats; on prétendait sans doute établir la « série des prix » (matériaux et main-d’œuvre), d’après les cours de l’époque.
Comme il faut bien partir d’une commune mesure, on prit pour unité le pied carré, évalué à 130 livres au moins, en ce qui concerne le portrait.
Mais une somme aussi considérable, pensait-on, n’était applicable que pour les œuvres de surface raisonnable. Les tableaux, de superficie supérieure, ne sont ainsi agrandis, estimait honnêtement Cochin, qu’au moyen « d accessoires faciles qui remplissent cet espace ».
Une moins-value pour ouvrages faciles était donc tout indiqué.
Les copies, par la même raison, devraient subir un rabais de 30 pour 100.
Voici, maintenant, un article qui mérite attention et considération : « Les tableaux d’histoire sont cotés à raison de 23 livres seulement par pied carré, les figures y étant de grandeur naturelle. »
Que diraient nos peintres-historiens, à l heure présente, d une semblable dépréciation? Ils s’écrieraient évidemment que leurs œuvres exigent, au contraire, une plus-value notable
pour recherches à faire dans les documents anciens, pour exécution de costumes fidèlement reproduits d’après les estampes, frais de composition, etc., etc., etc.
Au xvme siècle, il est vrai, on se préoccupait moins qu’aujourd’hui de l’exactitude documentaire, et le costume histo
rique était abandonné à une certaine fantaisie qui, aux yeux de quelques-uns, n’enlève pas grand’chose au mérite artis
tique. Même en remontantplus haut que le xvnie siècle, il est des maîtres, parmi les plus grands, qui ne s’en sont pas soucié le moins du monde; d’abord par l’excellente raison que « le document » n’existait pas alors; ensuite parce que tout cela leur paraissait, au moins en peinlurc, assez secondaire.
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Nous pensons autrement, c’est notre droit. II suffisait ici d’expliquer pourquoi Cochin, évaluant simplement et naïvement à la surface, se montrait si durpourlapeinture d’histoire.
Par contre, une mère ne se serait pas montrée plus indulgente pour les petits, pour les tout petits tableaux, que Cochin voulait jolis et bien léchés, tout comme l’ourse de La Fon
taine. Le tarif commun, d’après lui, ne pouvait plus, sans llagrante injustice, leur être appliqué; il fallait le modifier suivant une règle mathématique, aussi savamment combinée