En outre, on peut être assuré que cette puissante administration, qui n’aime nullement être logée à l’étroit, ne se con
tentera pas d’une petite partie des bâtiments, ainsi qu on nous l’annonce si modestement. De même que les petits poissons qui d’ordinaire deviennent grands, l’iiôtel des Postes s’élar
gira, s’allongera, s’étendra, grossira à peu près indéfiniment. De modification en transformation, ce serait la destruction finale à peu près complète.
Il n’est donc pas étonnant que le journal lyonnais n’ait pas voulu laisser cette opération s’engager, en l absence de tout tambour et de toute trompette, de telle sorte que, plus tard, on soitobligôde s’incliner devantle faitaccompli. On sait que telle est la tactique habituelle pour ce genre d’opérations. Lorsque surgissent les réclamations, on répond : il est trop tard.
La Dépêche s est levée de bon matin et crie assez fort pour se faire entendre; on ne pourra donc pas répondre cette fois encore : Vos observations arrivent en retard, les fonds sont votés, les marchés sont passés, et les lauriers sont coupés.
On ne voit pas très bien, d’ailleurs, quel avantage financier en pourra retirer la ville de Lyon, puisqu’il faudra toujours élever des bâtiments nouveaux pour l Ilôtel-Dieu dépossédé. Bâtir pour bâtir, autant vaudrait construire un édifice bien moderne, bien approprié, construit sur des données nouvelles, d après un programme bien étudié pour l administration des Postes, plutôt que de la loger tant bien que mal, plutôt mal que bien, dans un monument qui n’a jamais été conçu pour cette destination imprévue.
Enfin reste cette sage observation du journal lyonnais :
« Une ville se raconte et raconte sa vie par ses édifices, aussi les conserve-t-elle a\ec soin et les défend-elle contre les inévitables mutilations du temps. On servirait mal son renom en ensevelissant sous la poussière des démolitions ses plus chers et ses plus glorieux souvenirs. »
Personne ne le conteste, mais personne n en tient compte. En tout cas, ce ne sont pas les municipalités qui, tous les jours, croient faire du progrès en détruisant ce qui faisait leur propre beauté ; ni les administrations supérieures qui crai
gnent de contrarier les municipalités et les laissent se porter à elles-mêmes les plus rudes coups.
***
A Paris, pour élargir la rue Saint-Jacques, on a dégagé l abside de la vieille église de Saint-Séverin. Celle-ci reste bordée par les étroites rues de Saint-Séverin et de la Parche
minerie, ce qui laisse aux deux bas côtés leur bordure de vénérables maisons. La voie élargie passe derrière l’abside Sans loucher à celle-ci, et conserve dans cette région ses an
ciennes constructions ; sur le flanc de cette abside subsistent un ou deux bâtiments bas qui en sont des dépendances.
Tel est maintenant l’état des choses. S il était maintenu sans nouveau remaniement, il ne serait nullement choquant, à notre avis ; surtout si l’on se décidait, sous prétexte d’éta
blir l’alignement, à planter seulement quelques arbres qui formeraient un cadre heureux à cette abside.
Est-ce lace que nous réserve l’avenir? Question grave, car, si l’on venait plus tard à démolir les maisons à pignons qui bordent encore la rue Saint-Jacques, à les remplacer par de hauts et vastes immeubles de six étages, il est clair que l’as
pect serait totalement changé à son détriment. Si même, ce qui est possible, pour cause de viabilité on se décidait à élargir les deux étroites et tortueuses rues latérales, l’église Saint-Séverin, surgissant au milieu d’un magnifique pavage en bois, n’apparaîtrait plus que comme une chose vieille,
enfumée, bossue et tout à fait déplacée dans ce cadre transformé.
Les édifices gothiques n’ont pas été créés pour être dégagés de toutes parts, et ne demandent nullement à l’être.
M. André Ilallays, des Débats, croit cependant à cette vaste opération de voirie contre laquelle il s’élève d’avance. Souhaitons que sa protestation qui, pour le moment, serait exa
gérée, ne se justifie pas plus tard. En tout cas, voici dans quels termes il la présente.
« Il est inutile de dire que, dans les plans de la ville, rien n’a été prévu à cet égard. On a décidé d’élargir la rue Saint- Jacques. On a ordonné des expropriations sans songer une minute que l’on allait modifier la physionomie d’un des plus pré
cieux édifices de Paris. Ici, comme ailleurs, les architectes et les ingénieurs municipauxont montré leur imperturbable insouciance. Mais, maintenant un peu émus de voir tant de mo
numents déshonorés par le voisinage de bâtisses innommables les Parisiens ne seront peut-être pas d’humeur à tolérer un nouveau désastre. Il en est temps encore. Que l’on crée un jardin tout autour de Saint-Séverin, ou bien que, par de nou
velles expropriations, la ville acquière les terrains situés à proximité de l’église et impose à ses acheteurs une servitude de hauteur ; que l’administration use de tel procédé qui lui
semblera le plus sur et le moins coûteux, mais, que d’une manière ou d une autre, à tout prix, on ne laisse pas s élever aux abords de Saint-Séverin, des immeubles énormes qui tueraient la beauté de la vieille église. »
Certes, nous aussi, nous préférerions encore un jardin créé tout autour de l’église, à une ceinture de maisons de rapport ;
mais le mieux serait, pensons-nous, maintenant que la rue Saint-Jacques est suffisamment dégagée, élargie, alignée pour satisfaire la Voirie la plus exigeante, de conserver les deux rues de la Parcheminerie et de Saint-Séverin, de même que la petite place qui subsiste devant le portail.
Mais l’hygiène, qu’en faites-vous? dira-t-on.
Nous respectons l’hygiène autant qu il convient. Mais ici, ce modeste îlot dont nous souhaitons la conservation se trouve bordé par le boulevard Saint-Germain, le boulevard Saint-Michel, les quais et la rue Saint-Jacques largement ouverte main
tenant. N’est-ce pas suffisant pour le moment? D autant plus
que, dans tous ces parages, les constructions anciennes n’ont que de faibles hauteurs.
En doublant la hauteur des maisons et élargissant les voies, I hygiène s’assurera-t-elle de si grands bénéfices qu’ils vaillent le sacrifice de ce qui faisait le charme tout particulier de ce coin du vieux Paris?
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Nous avons dernièrement signalé la restauration du portail de la cathédrale à Metz,que certains ont considérée comme peu heureuse. L’église Saint-Maximin y est menacée d un sort plus fatal encore, si nous en croyons un article publié par le Messager d’Alsace-Lorraine.
Cette église, où les grandes familles de la ville avaient dès longtemps enterré leurs membres décédés, a des parties fort anciennes, remontant à la période romane ; mais son portail est du xvmc siècle, ce qui ne l’empêche nullement, prétendent certains connaisseurs, d’avoir son mérite intrinsèque.
Nous n’avons pas besoin d’ajouter qued aulresy découvrent un véritable crime de lèse-archéologie et qu’ils trouvent scan
daleux de voir un pareil portail se permettre de donner accès dans un édifice gothique ou roman.