Si, au contraire, l’Administration a cru pouvoir, sans danger, revendre ses matériaux, à quoi bon alors nous parler de tant de précautions à prendre, de l intervention indispensable d’un vaste incendie comme unique moyen d assainissement effectif ?
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Déjà, nous descendions comme on voit, de quelques degrés, de l’absolu au relatif. Nous alloué continuer cette descente.
Le feu semblant écarté désormais, on s’est demandé si l’on ne pourrait pas se contenter d’une simple désinfection par la sulfurisation ou la formolisation. Comme il se pourrait faire qu’ellesne représentent pas, malgré les incontestables progrès de la chimie microbicide, une garantie de premier ordre, on pourrait les renforcer par la démolition humide, — en ce sens qu’on arroserait à mesure qu’on démolirait.
La démolition sèche persisterait donc à apparaître sous forme dangereuse ?
Toutes ces solutions et dissolutions sont soigneusement indiquées par M. Duguet; mais elles restent plutôt à l état suspensif de simple interrogation : Ne pourrait-on faire ceci? Ou bien pourrait-on faire cela?
Le Comité décidera. Désireuse de l’éclairer complètement sur l’efficacité réelle des diverses précautions recommandées
et garanties par la science hygiéniqne, l’étude préparatoire a consulté les précédents, déjà nombreux, qui ont été observés et constatés. L’expérience ne fournit-elle pas les enseignements les plus instructifs et les plus probants?
Ils le sont, en effet, comme on va voir d’après le résumé que voici :
« Avant l’annexe de l’Hôtel-Dieu , on a démoli d’autres hôpitaux : d’abord le vieil Hôtel-Dieu lui-même, qui était de l’autre côté de la Seine; puis l’hôpital Andral, et l’hôpital Trousseau, hôpital d’enfants où Ton soignait indistinctement toutes les maladies contagieuses.
« Quelles précautions a-t-on prises alors?
« Pour l’Hôtel-Dieu, aucune; pour Trousseau, aucune; pour Andral, la simple désinfection par les services de la préfec
ture delà Seine, alors que les travaux étaient déjà commencés. Or,qu’est-il résulté de ces négligences? Rien: aucune épidémie, ni chez les démolisseurs, ni dans le voisinage, ni pour les ouvriers qui ont transporté les matériaux! »
Ce qui prouve une fois de plus que le mieux peut être parfois l’ennemi du bien, surtout en matière d’hygiène. Courir de grands risques d’incendies, dépenser du temps et de l’ar
gent en sulfurisations ou formolisations, en inondations préalables aux incendies, — à moins qu elles ne soient consécu
tives, — tout ce travail et tous ces risques sont évidemment recommandés par les plus sages intentions du monde. Ré
sultat final : on obtiendra peut-être un résultat aussi complet qu’en ne faisant rien du tout ; mais pas plus.
On n’en est même pas absolument sûr.
Aussi, ne faut-il pas s’étonner de lire celte Iriplc et raisonnable conclusion de M. Duguet :
« Je ne veux pas, dit-il, aller au delà d’une simple constatation, mais on peut conclure :
« 1° Que la recherche de la sécurité absolue par le feu et l’incendie des bâtiments est aussi inutile qu inapplicable;
« 2° Que la sécurité relative, mais suffisante, par arrosage des matériaux au fur et à mesure de la démolition, à l aide
d’une eau chargée de principes chimiques spéciaux, est facile à obtenir;
« 3° Qu’à la rigueur on pourrait ne rien faire du tout. »
Il semble bien que la dernière proposition se justifie assez facilement d’elle-même. Seulement les hygiénistes ont si éloquemment parlé des immenses dangers que la démolition prochaine peut faire courir aux riverains; — si scientifi
quement démontré que le salut ne peut être obtenu qu’au moyen des plus grands sacrifices et des plus sévères précau
tions, — que tout le quartier s’en est ému. La nomination d’une magistrale Commission d’hygiène, constellation où brillent les étoiles de première grandeur que cette même hygiène pouvait mettre à la disposition de la Préfecture et de l Assis
tance ; les graves réunions qui vont s’y tenir, les arrêts qu’elle va prononcer; tout ce déploiement d’importantes mesures officielles laisse les voisins de l’Hôtel-Dieu dans l appréhen
sion d une terrible épidémie qui reste suspendue sur leurs têtes et va peut-être foudroyer tout l’arrondissement, si elle ne s’étend ensuite sur Paris et la province!
Aussi, jusqu’à présent tout au moins, le Comité pencheraitil, dit-on, vers une décision conciliante, propre tout au moins à rassurer les populations riveraines, et les démolis
seurs eux-mêmes; — car ceux-ci ont déjà fait connaître leurs anxiétés et avouent leurs hésitations.
On désinfectera au fur et à mesure qu’on démolira, parce qu’on a reconnu la nécessité « de donner aux habitants voi
sins de l’IIôtel-Dieu et aux démolisseurs une sécurité morale, au moment où s’effectueront les travaux (1) ».
C’est ainsi qu’entre définitivement en scène la responsabilité dite morale, troisième catégorie (voir plus haut, au bas de l’échelle).
MONUMENT HOMÉRIQUE
Nous recevons la lettre suivante, que nous résumons en supprimant les civilités honnêtes dont nous ne sommes pas moins reconnaissants :
Monsieur le Directeur,
Vous avez, à diverses reprises, signalé le Ilot toujours montant, rarement descendant, des monuments élevés à la gloire de nos grands hommes. A mon sens, vous n’aviez pas tort de demander quelques digues contre cette inondation.
Mais n’avez-vous pas exagéré quelque peu — pas trop, mais quelque peu — le jour où vous parliez d’un monument élevé,
en plein Paris, à la mémoire d’Homère. Ce littérateur est assurément connu, mais il serait vraiment difficile, sauf intervention d’un medium, de retracer son effigie d’après les portraits du temps.
Vous n’ignorez certainement pas que la photographie n’é­ tait pas inventée en ce temps-là; que la peinture était dans l’enfance; qu’IIomère n’a pas laissé de mémoires où il se soit peint en pied. Comment le sculpteur s’en tirerait-il ?
Vous devriez avouer à vos lecteurs que vous avez, ce jourlà, forcé légèrement la note pour plaider une juste cause; mais qu’enfin on n’est pas encore assez déraisonnable, de nos jours, pour concevoir un projet aussi fantaisiste.
J’ajoute que, loin de critiquer, je n’ai qu’à vous féliciter, etc., etc. L.
(N en jetez plus, comme dit Willy; la cour est pleine.)
(1) Le Temps, 9 juillet 1908; article intitula : Si qu on brillerait l’Ilôtel
Dieu... pardon : Si on bridait Vllôlel-Dieu!